On peut le dire sans conteste,
le Parrain de
Mario Puzo fut un chef-d'oeuvre à partir duquel Francis Ford Coppola adapta son triptyque éponyme que l'on peut considérer comme un monument du cinéma. Malgré la violence des scènes et le sort tragique de certains personnages (pour l'époque) il faut néanmoins admettre que l'on pouvait avoir une certaine empathie pour cette famille Corléone qui s'opposait au trafic de drogue et tentait même de se racheter une conduite. D'un certain point de vue, et particulièrement dans le dernier épisode de la saga, on pouvait même considérer que c'était la mafia qui corrigeait les travers d'une société bien plus sordide que les membres de cette « belle famille ». Une mafia acceptable en quelque sorte !
Pour déconstruire ce mythe, il fallut attendre bien des années avant que ne paraisse Gomorra de
Roberto Saviano. Une véritable bombe littéraire que l'on ne peut pas considérer comme un roman noir, mais comme la réalité ultra sombre de ces empires mafieux qui gangrènent toutes les strates de la société. Personne n'oubliera le destin de ce tailleur qui façonne des vêtements de luxe pour les stars dans des ateliers clandestins dans lesquels travaillent les esclaves du 21ème siècle. Sa reconversion comme conducteur de camion nous entraine vers la problématique du traitement des déchets version camorra. L'adaptation cinématographique du livre est également époustouflante. Vous pourrez suivre l'ascension de deux jeunes camorristes issus de la Scampia, une des banlieues les plus sordides de Naples.
C'est ainsi que l'on s'est éloigné de cette image édulcorée du mafieux en costume rayé et borsalino évoluant dans des cadres somptueux, que ce soit en Sicile, à New-York, Chicago, Long Island ou au Nevada.
Pour poursuivre cette démarche de démystification, il y a l'Offense de Francesco de Filippo. Gennaro ne travaille pas, il se débrouille en rendant de menus services aux mafieux d'un quartier populaire de Naples où il vit avec sa femme et ses deux enfants. Satisfait de son sort, il se complait dans ce petit train-train quotidien qui lui permet de rester éloigner des "affaires". Mais Don Rafa
le, parrain du quartier en décide autrement et c'est ainsi qu'à 23 ans, le jeune homme devient membre de mafia. Sous la houlette, de Paolino, tueur psychopathe sans scrupule, Gennaro va entamer son apprentissage de camorriste et commencer son voyage en enfer. Au menu ce sont magouilles électorales, contacts avec immigrés clandestins, trafic de stups, intimidations en tout genre et torture. Il servira de prête-nom aux diverses sociétés que Don Rafale possède à travers le monde. Des voyages aux quatre coins de la planète pour prendre en charge des mules bourrées de cames par ses soins et une traversée de guérilla mafieuse achèveront de déshumaniser cet homme dépassé par l'horreur qu'il vit au quotidien. Il y perdra son âme, sa femme et ses enfants au coeur d'une région complètement ravagée par l'économie mafieuse.
C'est tout d'abord un hommage à Naples et à son petit peuple que
Francesco de Filippo a voulu rendre dans ce livre baroque et époustouflant. Et puis, il y a cette plongée hallucinante au coeur de l'appareil mafieux qui semble tellement irréaliste qu'elle ne peut être qu'inspirée de faits réels. Dans un univers de violence, de prostitutions, de viols et de drogue où la vie n'a plus aucune valeur, les hommes qui composent ce monde tentaculaire perdent rapidement pied et sombrent dans la folie et le désespoir, sans qu'il n'y ait aucune possibilité de rédemption. le texte est particulièrement rythmé et intense et on peut saluer l'excellente traduction de
Serge Quadruppani qui a su restituer le langage populaire des quartiers napolitains. Les scènes que l'on découvre au fil des chapitres sont parfois d'une violence extrêmement crue et presque troublante suscitant auprès du lecteur une palette de sentiments contradictoires qui varient entre la fascination et le dégoût. L'Offense de Francisco de Fillipano est grand roman noir aux couleurs baroques, dont les descriptions flamboyantes et terrifiantes n'ont pas encore fini de vous faire frissonner, même si l'on regrettera peut-être un épilogue un peu mièvre. Peu importe, vous serez secoué par cette complainte d'un camorriste dépassé par les forces noires d'une organisation tentaculaire qui a su altérer toutes les couches de cette magnifique cité napolitaine que l'auteur se plaît à nous décrire avec passion.