(...) il existe des livres qui font ressentir un amour plus intense que celui qu'on a connu, un courage plus grand que celui dont on a fait preuve. C'est l'effet que doit produire l'art: il dépasse l'expérience personnelle, il fait atteindre des limites inconnues aux corps, aux nerfs, au sang. (p. 43-44)
Les dangers cessent toujours au moment où les paupières tombent comme un rideau de théâtre. On est toujours sauvé dans un sommeil.
De l'autre oreille, j'entends le bruit amplifié de la vague qui passe et repasse sur le gravier. C'est le plus vieux bruit du monde, il est là depuis les premiers âges de la terre. Il y était quand personne ne pouvait l'entendre. Il a mis des millions d'années avant de se glisser dans une ouïe. (p. 56)
Je ramasse un coquillage en forme d'oreille, je l'approche de la mienne, on dit qu'on entend les vagues. Ce n'est pas l'impression que j'ai. Je perçois comme l'écho d'une citerne qui reprend le bruissement intérieur de mon oreille, le glissement des sons dans un labyrinthe.
De l'autre oreille, j'entends le bruit amplifié de la vague qui passe et repasse sur le gravier. C'est le plus vieux bruit du monde, il est là depuis les premiers âges de la terre. Il y était quand personne ne pouvait l'entendre. Il a mis des millions d'années avant de se glisser dans une ouïe. Ce sont des pensées qui montent de mes pieds nus sur le gravier de frontière entre la terre et la mer.
Ils sont cocasses ces Etats qui mettent des frontières sur les montagnes, ils les prennent pour des barrières… Les frontières fonctionnent dans la plaine. On dresse des barbelés et personne ne passe. Impossible en montagne.
p. 13
Le dernier que j'ai lu était un livre de Balzac, un petit traité sur l'art de payer ses dettes. L'écrivain explique que l'art consiste à ne pas les payer du tout. Il s'est inspiré d'un oncle dépensier et arnaqueur. Sur moi, il produit exactement l'effet inverse, il me pousse à rechercher mes dettes dans mes souvenirs. Ce sont des dettes de reconnaissance, insolvables, qui vont de mes parents au cadeau de l'ouvrier algérien.
Pour la femme qui voulait faire de moi un artiste, je n'arrive pas à imaginer de dédommagement pour le temps qu'elle a perdu. (p. 122)
Je regarde mes mains vidées des siennes, j'empoigne ciseau et marteau par besoin de tenir quelque chose. (p. 49)
Je lui demande ce que veut dire vivre en musulman.
«Adorer Dieu comme si on devait mourir demain, travailler comme si on ne devait jamais mourir.» Dommage qu'il soit impossible de boire ensemble un verre de vin en l'honneur de ces paroles.
Ils sont cocasses ces États qui mettent des frontières sur les montagnes, ils les prennent pour des barrières. Ils se trompent, les montagnes sont un réseau dense de communication entre les versants, offrant des variantes de passage selon les saisons et les conditions physiques des voyageurs.
Je suis content d’être utile à un âge où, dans cette région, on est voué au pilon, au délire alcoolique, à l’hospice.
pp. 18-19