Le genre de boulot qu’elle détestait: des enquêtes qui piétinaient depuis trop longtemps, au point que l’espoir de les voir se conclure s’amenuisait. Elle pensait, et elle n’était pas la seule, que les chances de boucler une enquête sont inversement proportionnelles au temps qui passe. Mais elle savait aussi que rien ne reste éternellement caché, du moins elle tentait d’y croire. C’était dans cette maigre conviction que les policiers plaçaient souvent leurs espérances lorsque, année après année, ils rouvraient les affaires non résolues.
Elle avait fui son milieu et sa région, mais ils en ignoraient les raisons. Johnny avait l’impression qu’elle taisait un gros secret. Elle ne parlait jamais de son passé. Sophie fumait un peu de hasch avec eux, mais elle ne prenait pas d’autres drogues et ne buvait que rarement. En réalité, si ce n’était pas qu’elle se prostituait de temps à autre, il aurait eu d’elle l’image d’une jeune fille sage et sans problème. Il pensait souvent que lorsqu’elle disparaissait plusieurs jours, c’était parce qu’elle avait rencontré quelqu’un, mais en vérité il n’en savait rien puisqu’elle ne parlait jamais de ses escapades.
Nous avons passé des semaines sur le terrain à tenter de trouver des indices, en vain. Pas de témoin, pas de source d’information et pas de piste. Les journalistes et l’opinion publique nous accusaient de nous traîner les pieds, et pourtant, nous en avons passé des nuits blanches sur cette affaire! Il y a des cas qui nous touchent plus que d’autres.
Sophie faisait des passes, ce n’était pas vraiment une prostituée, elle ne le faisait pas tous les jours, mais de temps en temps quand elle avait besoin d’argent. Sinon, elle travaillait comme serveuse dans une boîte, lui avait-elle dit, mais il ignorait où exactement. Il aimait beaucoup cette fille, et il aurait bien aimé devenir son chum, mais il était incapable de le lui dire. Sophie était, à ses yeux, inatteignable. Quelque chose de particulier se dégageait d’elle, une force tranquille. Elle l’intimidait.
Elle se souvenait très bien de ses premières années dans le service. Les hommes qui formaient alors le corps policier n’avaient pas été tendres avec elle. Le message était clair: le métier d’enquêteur n’était pas fait pour une femme. Mais elle avait su prendre sa place et ils avaient bien fini par comprendre qu’elle avait ce qu’il fallait pour réussir dans le domaine.