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Après « Cosmopolis » que j'avais lu avec un effort soutenu, « L'homme qui tombe » a été une nouvelle fois pour moi, une vraie torture. Celui qui est adulé, vénéré comme un des grands auteurs de son temps m'est complètement indifférent.
L'écriture sublime semble être là, le choix de déstructurer son récit évident, pourtant je n'y arrive pas. Blocage pur et dur, c'est surement formidable, mais pour moi c'est un supplice. Tandis que Don DeLillo fait avancer son histoire, moi je fais de constants retours en arrière pour tenter de m'y retrouver. Pourtant le sujet était tentant, je me suis accroché (comme pour « Cosmopolis ») mais ma volonté à des limites. Je les ai malheureusement trouvées avec Don DeLillo.
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Bien avant l'effondrement des «Twin Towers», ou que la lutte contre le terrorisme soit devenue l'un des principaux enjeux de sécurité des Etats du XXIe siècle, l'imminence d'une attaque contre l'«Empire américain» et l'éventualité d'un probable choc civilisationnel entre Orient et Occident («Les Noms», 1990), voire celle d'un attentat ayant pour cible le World Trade Center («Joueurs», 1977), avaient déjà été détectées par les capteurs très sensibles d'un des auteurs actuels les plus doués à passer au crible la société moderne. Rien de surprenant, donc, que Don DeLillo ait par la suite consacré un roman aux événements terribles, défiant toute imagination, survenus le 11 septembre 2001.
«Mes livres parlent de peur et de menace car, depuis l'assassinat de Kennedy, la culture américaine est entrée dans la tourmente», déclarera l'auteur dans une interview accordée en 2018, une dizaine d'années après la parution de son livre.
Don DeLillo s'attèle en effet, depuis une cinquantaine d'années, à circonscrire les impacts subjectifs de ce que l'italien Claudio Magris avait défini comme «un processus planétaire de déracinement des individus de leurs attaches fondamentales» ; à inventorier les séquelles provoquées par l'avènement d'un néolibéralisme économique indifférent à toute considération humaine ou principes humanistes, par la standardisation atterrante de nos démocraties occidentales, par cette froideur croissante qui s'y installe insidieusement, souvent sous les traits aguicheurs d'un matérialisme narcissique effréné et d'une accélération technologique facilitatrice, addictive et dissolvante ; à illustrer les effets très paradoxaux d'insécurisation provoqués par une évaluation permanente des risques et dangers contre lesquels on nous invite sans cesse à nous protéger, par la polarisation croissante entre individus et groupes sociaux d'appartenances différentes aboutissant à une judiciarisation progressive des rapports humains ; ou encore, dit tout simplement, et ainsi que l'avait déjà prévu Heidegger, par le triomphe écrasant de la Technique au détriment de l'Être. Les personnages de Don DeLillo ne cesseraient de l'exprimer à travers leurs sentiments diffus de vivre de manière incertaine, hasardeuse, fragmentaire, compartimentée.
Oracle de la postmodernité ? Fasciné par les langues anciennes et par les vestiges épigraphiques du passé (ici encore, l'un des personnages du roman, Lianne, assistante éditoriale, travaille au moment des attentats à la relecture d'un ouvrage portant sur les alphabets antiques), l'aptitude de l'écrivain à scruter l'air du temps semble néanmoins relever davantage d'une observation fine et distancée de son époque, associée à cette faculté d'intuition indispensable au décodage de ces signes élémentaires qui font du langage humain un catalyseur potentiel de sens et un miroir des civilisations qui l'ont forgé, plutôt que d'un mécanisme quelconque de divination ou d'un exercice littéraire de libre-anticipation…
«Mais c'est bien pour ça que vous aviez construit les tours, non ? N'ont-elles pas été conçues comme des fantasmes de richesse et de puissance, destinés à devenir un jour des fantasmes de destruction? C'est pour la voir s'écrouler que l'on construit une chose pareille. La provocation est évidente. Quelle autre raison aurait-on de la dresser si haut puis de la faire en double, de la dupliquer ? Ce que vous dites, c'est : La voici, démolissez-la», lance, provocateur, un des personnages de L'HOMME QUI TOMBE, Martin, Européen de passage à New York le lendemain des attentats.
Car chez DeLillo, tout est signe, et son écriture, pourrait-on dire, autant cursive et analytique que pictographique et condensée de sens possibles à décrypter par le lecteur… Dans L'HOMME QUI TOMBE, plus que partout ailleurs dans l'oeuvre de l'écrivain, la narration s'appuie sur des paragraphes courts et des arrêts-sur-image. Chromos des débris matériels et immatériels de la catastrophe, épinglés par une sorte de scribe moderne muni d'un Polaroïd («C'est avec Les Noms que j'ai compris à quel point le roman était une expérience visuelle. J'ai commencé à écrire en paragraphes plus brefs, en utilisant une feuille par paragraphe, ce qui m'a permis de mieux voir les mots, la forme des mots, la forme des lettres dans les mots. J'étais en Grèce, et l'idée m'est venue en contemplant les inscriptions en langues anciennes sur les monuments»).
Le titre original du roman, «Falling Man», reprend celui de la célèbre photographie de Richard Drew, censurée dans un premier temps par les médias américains (après avoir fait la couverture du «Times») et devenue depuis l'une des plus iconiques du 11 septembre. Figurant un homme en chute libre, tête la première, corps aligné en parfaite verticalité par rapport à la tour, une jambe légèrement fléchie sous l'autre, l'image inspire à l'un des personnages périphériques du roman, David Janiak, des performances qui diviseront l'opinion publique, la presse et les autorités new-yorkaises : à l'aide d'un harnais de sécurité, Janiak se laisse suspendre aux immeubles, ponts et monuments de la ville reprenant exactement la position du «Falling Man». L'acteur-performer transforme ainsi son corps en signe vivant, pré-écriture picturale d'un des nouveaux arcanes modernes de la terreur. Lianne le verrait bien, d'ailleurs, figurant sur une planche supplémentaire au Tarot de Marseille. (Et, pourrait-on peut-être rajouter, dont la ressemblance avec l'arcane déjà existant du «Pendu» ne serait qu'apparente et superficielle -même position, même verticalité, même jambe repliée-, car, en l'occurrence, «Falling Maun» incarne un archétype nouveau : celui de l'homme évoqué plus haut par Magris, arraché à toutes «attaches fondamentales»).
(Cette image de la chute de l'Etre, outre l'évocation du 11 septembre à travers le cliché de Richard Drew, ne pourrait-elle, à un autre niveau, devenir pour nous une sorte de Sphynx des temps modernes : «déchiffre-moi ou je te dévore" ? La date du 11 septembre 2001 ne serait-elle d'autre part susceptible de constituer, dans un futur lointain, à l'instar de celles de la chute de Constantinople ou de l'invention de la machine à vapeur, un marqueur temporel diviseur entre deux ères de l'histoire de l'humanité? – Je m'égare…)
Il suffit de fermer les yeux et revoir mentalement les avions percutants les tours pour se rappeler la sidération abyssale dans laquelle nous étions plongés à des milliers de kilomètres de là, assis devant nos écrans à les regarder tourner en boucle, comme au ralenti, sans pouvoir nous en détacher.
«Chaque fois qu'elle voyait la vidéo des avions, elle avançait un doigt vers la touche d'arrêt de la télécommande. Puis elle continuait à regarder. le second avion surgissant de ce ciel bleu glacier, c'était la séquence qui entrait dans le corps, qui semblait lui courir sous la peau, la course brève qui emportait des vies et des histoires, les leurs et la sienne, toutes, quelque part ailleurs, loin au-delà des tours».
Keith, rescapé des attentats -qu'on voit au début du roman émerger d'un «espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit» tout en serrant étrangement dans ses mains une mallette qui ne lui appartient pas- rentre chez son ex-femme, Lianne, qui accepte comme une évidence qu'il s'y réinstalle. «La longue spirale descendante du temps» vécue par le couple reformé malgré eux et par leur environnement proche, sert de fil conducteur fragile au récit des jours de l'après-attentat, bâti à l'image des brisures qui ont pénétré les corps et les esprits de ses personnages -éclats de verre et d'acier, lambeaux de chair, «shrapnel organique». Âpre et désaffectée, envahie régulièrement par ces mêmes «pensées surgies de nulle part» qui les hantent, la narration, par moments erratique et morcelée, frôle ainsi de très près les contours même de l'expérience que traversent ces derniers.
L'HOMME QUI TOMBE : dépourvu pourtant de tout effet spectaculaire, de tout pathos inutile..!Le seul pathos qu'on pourrait légitimement lui attribuer serait justement ce «pathos en négatif» qui menace la conscience moderne –poussé ici, par la force des choses, à ses derniers retranchements- à savoir, cette technique de survie (à laquelle on semblerait de plus en plus prêts à recourir par les temps qui courent…), élevant la volatilité, les hésitations et les contradictions de ses personnages au rang de système de conduite.
La lecture de ce livre pourrait résulter une épreuve difficile pour le lecteur qui s'attendrait à une mimésis classique, «romancée» des évènements : en réussissant à insuffler à l'écriture de son roman les effets du traumatisme qu'elle cherche à retranscrire, DeLillo instille chez le lecteur aussi des états proches de l'hébétude dans laquelle évoluent ses principaux protagonistes (y compris les terroristes, Mohammed Atta et «Ahmad», personnages eux-aussi du roman, suivis jusque dans leurs derniers instants de déréliction avant le choc contre la tour nord).
L'HOMME QUI TOMBE ne se résume pas pour autant à une vision hasardeuse et déroutante des incidences subjectives des attentats du 11 septembre sur quelques-uns de leurs protagonistes. Invitant, grâce au génie caractéristique d'une des plumes les plus ambitieusement chirurgicales de toute la littérature contemporaine, à les sortir définitivement des raisonnements réducteurs autour d'un supposé «axe du Mal» à combattre, pour les replacer dans un contexte plus large, multifactoriel et multilatéral, et notamment comme une conséquence inévitable du déséquilibre à échelle planétaire provoqué par un nouvel ordre mondial dont, hélas, d'autres catastrophes terribles sont à craindre dans un avenir plus ou moins rapproché… - Don DeLillo aura, à mon sens, signé l'ouvrage le plus complet, pur chef-d'oeuvre de toute la littérature engendrée par les attentats du 11 septembre jusqu'à ce jour.


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Je peux comprendre les lecteurs qui disent qu'ils ont souffert à la lecture de ce livre ou même qu'ils l'ont détesté. J'ai été moi-même à deux doigts de laisser tomber cette lecture. Plus précisément, c'est ce que j'ai fait, arrivé environ au milieu du livre. Cette lecture m'avait plombé et j'avais l'impression de "tomber" moi aussi comme l'homme qui donne son titre au roman, un comédien qui, dans les semaines qui ont suivi l'attentat du 11 septembre à New York a décidé de se produire à différents endroits de la ville, pendu la tête en bas, une jambe repliée, en référence aux personnes qui s'étaient jetées dans le vide depuis les tours du World Trade Center et dont les caméras ou les objectifs avaient pu capter la chute.

Et puis quelques jours plus tard, j'ai rouvert le livre et j'ai pu poursuivre ma lecture en y trouvant, sinon du plaisir, du moins de l'intérêt. En nous décrivant la vie de cinq ou six personnages new-yorkais (ou du moins familiers de New-York, comme l'allemand Martin) dans les semaines et les mois qui ont suivi l'attentat du 9/11, c'est un monde très fragmenté que nous dépeint ici Don DeLillo, une sorte de puzzle cubiste auquel le lecteur a bien du mal à trouver un sens. Tous semblent soumis à un mélange de forces centripètes et centrifuges qui les poussent à la fois à se rassembler et à se fuir. L'onde de choc de l'attentat est bien présente mais il est souvent difficile de mesurer l'impact réel que cet évènement traumatique a eu sur leur vie, faute de connaître (sauf par bribes) ce qu'était leur vie avant l'attentat. On a l'impression que les vies de ces personnages se prolongent dans l'épais nuage de fumée provoqué par l'effondrement des tours.

Cette difficulté à progresser dans la compréhension des motivations des personnages (Keith, le survivant, qui a pu s'échapper de la tour où il travaillait, son ex-femme Lianne, leur fils Jason, Florence, elle aussi rescapée, Nina, la mère de Lianne et son ami Martin, activiste engagé en Allemagne dans les années 60 et reconverti en marchand d'art...) est ce qui m'a rendu la lecture de la première partie difficile. Mais c'est cette même difficulté qui m'a ensuite fait apprécier ce roman, une fois accepté le principe que la chute des deux tours, et celle des corps qui s'y trouvaient nous a plongé (nous lecteurs, comme les américains et les occidentaux) dans une quasi-nuit dans laquelle, désorientés, nous ne pouvons qu'avancer à tâtons, hors de toute certitude.

Cette incertitude, ce flou qui nimbe les personnages américains du livre sont mis en évidence, par contraste, par les brefs chapitres, à la fin de chaque partie du livre, où l'auteur nous montre la tranquille assurance avec laquelle les terroristes préparent leur attentat, planifié de longue date. Saisissant.

C'est un roman complexe, difficile à lire mais l'effort qu'il exige peut trouver sa récompense au bout du compte.
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En lisant ce livre, je me suis souvent dit “Que la littérature américaine contemporaine est riche! Que de grandes autrices et auteurs, et dans tant de registres!” Et Don DeLillo, dont je viens pour la première fois de lire un roman, en fait assurément partie!

Et aussi, trottait dans ma tête cette petite phrase si juste de mon amie babeliote Fabinou7. « Comme souvent avec un bon livre, ce n'est pas tant ce qui est narré qui rend l'expérience de lecture singulière et prenante, mais l'art et la manière de réinventer la narration ».
Ce roman, « L'homme qui tombe », c'est tout à fait cela.

J'aurais voulu débuter avec cet auteur par son plus célèbre roman « Bruits de fond », mais celui-ci en prêt dans ma médiathèque, j'ai choisi celui-là dont mon ami babeliote Creisifiction a fait une critique très fouillée, comme toujours.

Avec un thème aussi connu que les attentats du 11 septembre 2001, l'auteur nous emmène dans la vie d'un couple dans lequel cet événement tragique est le déclencheur d'un essai de reprise de vie commune, mais pas que cela.
C'est aussi, sans pathos, ni démonstration aucune, sans parti-pris, le récit d'humains initialement en état de sidération, qui essaient de trouver un sens à leur vie.
A travers une narration si spéciale, faite de phrases courtes, dans laquelle le lecteur passe de façon très fluide d'un protagoniste à un autre, les pensées qui traversent Lianne, personnage le plus sensible, le plus attachant et le plus complexe du roman, son mari Keith revenu chez elle sans s'en expliquer juste après avoir quitté une des tours jumelles en feu, leurs échanges avec leur fils Justin, avec la mère de Lianne, Nina et son vieil amant Martin, et avec quelques autres, témoignent de leur désarroi, de leur volonté de prendre un nouveau départ, sans que cela soit dit, mais aussi, et surtout pour Lianne, de leur questionnement sur la mort, sur l'art, la religion, sur leur mode de vie, et de leurs doutes aussi, entre autres, leur rapport à l'humanité qui habite notre planète et qui leur envoie ce terrible signal de haine. Et les propos de Martin, marchand d'art dont on apprendra qu'il appartint probablement au groupe terroriste allemand de la Bande à Baader, sur la provocation que représentent les tours, exhibition de la puissance du monde capitaliste, sont un des exemples d'un récit tout en nuances, d'une grande richesse.

En opposition à ce monde « civilisé » plein d'incertitude, l'auteur nous donne à voir les certitudes folles d'un des terroristes, Amir, qui participe au commando qui jettera ses avions sur les tours du World Trade Center.

Et en contrepoint, apparaîtra, jusqu'à sa mort énigmatique, « l'homme qui tombe », un artiste « performer » un peu paumé qui saute d'immeubles en saut à l'élastique, tout en prenant la posture de ceux qui chutèrent des tours, une performance mystérieuse qui suscite la controverse.

Et Don DeLillo dit les choses sans vraiment les dire, et ce mode de narration est particulièrement efficace pour nous attacher à ces êtres souffrants et incertains.
Un écrivain unique, dont j'attends avec impatience de lire « Bruits de fond » et bien d'autres livres.
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11 septembre 2001
Deux tours s'effondrent
C'est l'horreur
Keith sort des décombres perdu, abasourdi.
Il se rend chez son ex-femme,Lianne, sans savoir pourquoi.
A travers ces deux personnages et ceux qui les entourent, l'auteur tente de raconter l'indicible, les séquelles, les traumatismes.
Quel étrange livre
Paradoxalement, j'avais tout le temps envie de l'abandonner et en même temps de continuer.
Tout est enchevêtré, comme l'est la vie des rescapés de cette tragédie.
On ne sait jamais au début d'un paragraphe de qui ça parle, où c'est.
Une construction en chaos comme l'est la situation.
Finalement un bon livre, perturbant, mais que je ne regrette pas d'avoir lu.
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Voilà un livre compliqué à circonscrire, aussi imbécile que génial, aussi brutal qu'anodin. Des générations de critques littéraires pourraient me lapider pour une sentence comme celle-ci concernant leur chouchou parmi les chouchoux, l'écrivain américain que l'on se doit d'adorer. Alors effectivement, Don DeLillo est un romancier particulier, surtout redoutable : fin, précis, grand architecte du roman, à l'écriture toujours nette, parfois magnifique, un romancier qui sait complétement évoquer les petits instants, lorsque le temps T dure une éternité, lorsque la seconde se dilate et que l'oeil nous fait découvrir l'un après l'autre les dix milles points précis d'un paysage. Don DeLillo sait écrire, il est le grand écrivain contemporain avec Paul Auster pour Femmes actuelles et Bret Easton Ellis pour Télérama. Il n'empêche que parler du 11 septembre pour cet écrivain de la suspicion, du conflit mondial, aracchnéen, était irrémédiable : il devait fournir sa réalité au 11 septembre, abreuver de sa vision les visions étriquées du grand cirque critique littéraire.
Il y arrive. Don DeLillo parvient à chacun de ses bouquins à élaborer une intrigue fragmentée, assez complexe et qui dévoile au fil des pages sa singulière hétérogénéité. Keith est cet homme qu'on a tous remarqué sur nos écrans de télé, cet homme qui marche en chemisette blanche ensanglantée, derrière lui la tour en feu, une mallette dans la main. Il erre dans manhattan, à demi conscient de la réalité des choses qui l'entourent, et se rend chez sa femme, de laquelle il est séparé depuis quelques temps. Lianne et Keith vont se reconstruire autour des attentats, elle en sur-interprétant chaque signe et lui en vivant sur une brêche permanente, comme si le fluctuant ne pouvait qu'être, comme si les choses immobiles n'existaient plus pour lui. On croise peu de personnages dans ce roman, Lianne et sa mère, malade, son fils à elle et Keith, un petit paranoïaque de 8 ans, qui guette le ciel en compagnie de deux faux-jumeaux, et attendent Bill Lawton. Ben Laden. Voilà pour les personnages, cette Lianne véritablement insupportable, tellement choquée qu'on lui jetterait le livre à la figure, lorsqu'elle s'emporte sur son palier face à une femme qui passe une musique ni trop forte, ni suffisamment faible qu'on ne la remarque pas en passant. Elle attaque cette femme, jugeant indécent d'écouter maintenant cette musique orientale, quasi blasphématoire. L'Amérique, vous êtes avec elle ou contre elle.
Don DeLillo a parfaitement réussi ces instants là. Il s'est situé dans la vérité du moment, entre nos yeux et l'écran de télé, captant les messages codés que nos cerveaux ne manquaient d'envoyer à la Terre entière. C'est magnifique de vérité crue, glaciale comme ces temps l'étaient mais malheureusement, c'est aussi très affecté. Lorsque Lianne interprète tout, lorsqu'elle soigne des malades atteinds d'Alzheimer (qui pourrait oublier ça ?) le romancier accroche trop de fils à son intrigue. Il fallait penser au couple. La vérité était dans ce couple brisé, on aurait compris le rapprochement, inutile de nous coller des jumeaux, des inconscients, des blancs et des noirs, des oppositions franches. On aurait compris la subtilité de la situation. Au lieu de ça Don DeLillo s'égare à nous gâver et encore et encore de ce pathos un peu lourd, comme si les images que l'on avait tous vues devaient encore et encore nous être expliquées et décortiquées. (Pourquoi nous infliger Mohamed Atta ?)
Cet Homme qui tombe est un artiste de rue qui se pend à des endroits stratégiques, il évoque cet homme qui s'est jetté au delà de l'horreur.
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Je me permets de prendre quelque peu la défense de cet ouvrage.

Lorsqu'on m'a parlé de ce livre, on m'a dit « il parle du 11 septembre ». Je l'ai immédiatement reposé. Plus tard, j'ai toutefois pris le temps de m'y attarder. Après l'avoir lu, je dirai « ‘il parle du 11 septembre mais attend, pas comme tu l'imagine ».
Avant d'observer l'errance et la chute des personnages c'est d'abord son propre chemin que l'on cherche car l'écriture est totalement fragmentaire. Mon enseignant de littérature Nord-Américaine nous avait confié que Don Delillo avait la volonté de perdre son lecteur. Voici qui est confirmé !Dans The falling men (L'homme qui tombe pour la traduction), l'auteur ne cesse d'utiliser les pronoms « il », « elle » sans expliciter de quel personnage il est question. Il use également d'un effet de distanciation.
Mais là encore, ce livre vaut le coup qu'on s'y attache d'avantage, qu'on défit Don Delillo « non tu ne me perdra pas, j'y arriverai ! »
C'est un livre que j'ai beaucoup apprécié pour sa complexité et sa construction.

L'histoire débute par le dernier souffle de certaines vies. le premier tableau s'anime par la déambulation d'un homme parmi les décombres, une mallette à la main. Il est dépassé, avance dans un état de semi conscience. le rapport au temps est dilaté. Les éléments perçus nous sont décrits, il s'agit bien de l'effondrement des deux tours.
Cet homme est Keith. Suite aux évènements, il est pris en charge par du personnel soignant. L'un des médecins évoque la présence de certaines blessures de peau chez des survivants. Il s'agirait d'éléments des corps des kamikazes projetés lors de l'attentat, venus se loger dans les blessures des personnes proches, provoquant des rougeurs et gonflements. Voici un premier élément qui m'a beaucoup marqué lors de ma lecture, pour son étrangeté d'une part, et pour sa valeur symbolique d'autre part.
The falling men, L'homme qui tombe apparaît dans le livre. Il s'agit d'un artiste de rue, qui gravit les buildings et les espaces urbains pour y demeurer ensuite suspendu, la tête en bas, vêtu d'un costume. A la fin du roman, nous découvrons sa mort dans le journal, par suicide. Son acte fait évidemment référence aux hommes d'affaires, qui se sont jetés des tours le 11 septembre. L'univers apocalyptique est ressassé de manière très forte et incessante. Aussi, The falling men peut faire référence à une humanité qui s'écroule. Peut-être également la chute d'un homme, Keith précisément dont l'univers s'effondre au fur et à mesure de l'histoire. A la lecture de ce roman, j'avais toujours l'impression et l'envie de me dire que si j'était dans les tours, j'aurait pu m'en sortir comme Keith. Mais l'histoire montre que même s'il est vivant, il ne s'en est pas vraiment sorti, qu'il chute. Keith est en quête du passé. Il ne cesse de jouer au poker en souvenir des parties avec ses anciens collègues. Il en retrouve même un dans les salles de jeux. de plus, il portait une mallette qui n'était pas la sienne lors de l'effondrement des tours. Il retrouvera la propriétaire de cet objet, Florence avec qui il aura une liaison. En somme, la vie de Keith est presque fantomatique malgré sa tentative de revenir vers sa femme, Lianne. Elle-même ne va pas bien. Elle anime des ateliers d'écriture en maison de retraite dont elle est autant dépendante sinon plus que les participants . «Ils voulaient écrire sur les avions ».La relation entre Keith et Lianne est pleine d'ambigüité et de non-dits, entre douceur et rejet. « Elle [Lianne] aimait l'espace qu'il créait », mais ne se fait pas d'illusion envers Keith.
Par aileurs, les enfants eux-mêmes perdent leur innocence dans ce récit. le fils de Lianne et Keith se nomme Justin. Lui et ses amis ne cessent de scruter le ciel avec des jumelles attendant un autre avion. Ils parlent également d'un Ben Lawkin. C'est un nom qu'ils ont peut-être entendu à la télé et qui leur fait peur. Il s'agit de Ben Laden.
La question de l'identité est forte : Keith s'attarde à rectifier la mauvaise orthographe de son nom sur le courrier reçu, et ce de manière dissimulée. Les personnages errent sans l'espace. En effet, ils prennent part à des évènements, ils sont comme parachutés dans des situations. Mais tout se déroulerai de la même manière sans leur présence. Les personnages errent également dans le temps. Lorsqu'un d'eux regarde de vieilles photos, il s'exprime ainsi : « ces visages sont entrain de vous regarder depuis leur distance perdue dans le temps ».
Ces personnages se consument « Dieu la décréait » :la condition humaine est une condition mortelle.
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Avec son dernier roman "L'Homme qui tombe", DeLillo et son écriture fragmentaire livre un ouvrage marquant, qui poursuit le lecteur de loin en loin une fois les pages refermées. Face aux débris de leurs vies, les personnages sillonnent les rues de Manhattan meurtries à tenter de recoller les morceaux, comme on peut, maladroitement souvent.

Keith remonte Broadway complètement hagard, le bras gauche meurtri, la main droite serrant une mallette, alors qu'autour de lui tout n'est que brouillard de cendres, odeur infecte de kérosène et courses éperdues de compagnons d'infortune.

Lianne, épouse séparée de Keith depuis deux ans, le voit revenir tel un zombie sur le pas de sa porte, le visage incrusté de petits éclats de verre. Ils ne cherchent même pas à comprendre ce qui les réunit soudain à nouveau. Dans ces minutes et celles qui suivront dorénavant, doit-on encore chercher un sens à la vie ? Ils assumeront peu à peu leur tendance à l'incommunicabilité, pour en faire un atout, une protection. Keith continuera à avancer dans la vie, en la domptant grâce au poker entre hasard, chance et stratégie. Pourquoi lui s'en est sorti?

Dérives, tempêtes sous des crânes, (se laisser) tomber au plus profond de soi-même pour trouver une paix impossible. Bribes de pensées éparses jeter à la face du lecteur pour percer le mutisme des traumatisés, de ceux qui ont laissé une part d'eux-mêmes au pied des tours en miettes.

Lianne anime également des ateliers de mémorisation et d'écriture pour des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, tentant d'exorciser le souvenir d'un père n'ayant pu supporter cette déchéance. Pansements de la mémoire de ceux qui peu à peu la perdent.

Le cheminement d'êtres trimballant leurs doutes. Doute qui devient certitude inébranlable pour Hammad celui qui, de Hambourg en passant par l'Afghanistan et la Floride, dit se combattre lui-même et ira jusqu'à briser ses ailes contre ces vitres qui semblent dominer le monde. L'événement tragique et marquant de ce début de siècle n'est qu'une toile de fond, à aucun moment l'auteur ne cherche à en comprendre les raisons ou les causes, mais plutôt à replacer la vie à l'échelle d'êtres humains qui se battent avant tout avec eux-mêmes.

Dans les oeuvres de DeLillo, il y a souvent tout ce que j'aime avec l'ancrage historique et social, la fiction dans le réel, l'introspection des personnages, le soucis du détail, et bien sûr le style inimitable... Des pages parfois âpres qui demandent toute l'attention du lecteur, qui dérangent dans leurs constructions, qui s'impriment petit à petit dans l'esprit.
Un immense auteur, maître de la psyché, au summum de son art. le souffle puissant d'une prose entêtante qui vous happe. Une écriture expressionniste par petites touches, déroutante mais qui fait peu à peu apparaître ce qui fait le charme complexe des âmes humaines.
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« Voilà ce qu'était le monde à présent » : un amas de cendre, de gravats, de décombres. Une course désordonnée de gens, une masse informe et disparate à la forme, hurlant, toussant, cherchant à fuir « le fracas de la chute ». Derrière Keith, les tours du World Trade Center s'effondrent. Un monde s'effondre, car il y aura un avant et un après 11 septembre. S'il est sortit vivant de ce building où il travaille, il ne sera pourtant plus jamais le même, car « revenir d'entre les morts n'est pas la même chose qu'être vivant ». *

C'est de manière instinctive, sans pouvoir se l'expliquer, que Keith se dirige vers le domicile de son épouse, dont il est séparé depuis peu. Il se réinstalle dans une vie conjugale, dans la monotonie des jours, car « il a besoin de se tenir à l'écart des choses ». La sidération passée, chacun doit s'approprier à sa manière les évènements. Lianne, sa femme, se pose beaucoup de questions. Attentive à son mari retrouvé, mais aussi à elle-même, à ses propres désirs et à ses peurs, elle est une figure centrale du roman. Active, entreprenante, elle anime un atelier d'écriture pour malades souffrant de la maladie d'Alzheimer. Ces échanges nourrissent sa pensée, tout comme ses conversations avec sa mère, Nina, qui fut professeure. Une intellectuelle, amatrice d'art, mais qui tend avec l'âge à décliner physiquement. Tandis que les adultes essayent de faire face au quotidien, tant bien que mal, leur fils Justin et ses amis scrutent le ciel. Ils inventent dans leurs jeux d'enfants des mensonges qui déforment la réalité. Ils parlent sans cesse d'un certain « Bill Lawton » (Ben Laden) dont il ne faut pas prononcer le nom.

De tous les personnages du roman, Lianne est indéniablement le plus « vivant » à mes yeux. Attachante et agaçante à la fois, sa complexité la rend singulière. Elle est altruiste, cherche à aider les autres – même si en agissant ainsi elle cherche surtout à s'aider elle-même, à répondre aux questions qui l'obsèdent, notamment la mort de son père. Keith est beaucoup plus insaisissable. Que penser de sa passion pour le poker ou encore sa manière d'être « absent » au monde ? Il est paradoxal de voir un personnage aussi central dans un roman se dérober à ce point au lecteur. Pour être honnête, je crois ne pas avoir réussi une seule fois à le « comprendre ». C'est une figure qui m'a échappé, que j'ai trouvé trop « morcelée », à la limite de la duplicité vis à vis des autres et de lui-même. de manière plus générale, cette lecture me laisse en tête plus de questions que de réponses, plus d'incertitudes que d'affirmations. L'homme qui tombe et donne son titre au roman, qui est-ce ? Keith, qui a du mal à « atterrir » dans sa vie ? Ou cet artiste de rue, qui dans ses performances, rappelle la chute de ceux qui se sont jetés des tours ? Ce personnage aussi est tout juste esquissé, comme une silhouette fantôme qui illustre le malaise des new-yorkais après les attentats.

La structure du récit tend à brouiller les repères spacio-temporels. En effet, le texte fait alterner les différentes voix des personnages en espaçant seulement d'une ligne ces « parties ». Si ce parti-pris peut perturber le lecteur, j'ai trouvé également que cela le force à plus d'attention. Cela donne une atmosphère très spécifique au roman, comme en dehors du temps et de l'espace. Don Delillo donne à voir, par le biais d'une écriture qui restitue les errements de ses héros, ce temps de latence, ce temps suspendu après le drame. Les thèmes soulevés le sont de manière subtile, insérés dans la narration ; la question de la mémoire, notamment, à travers l'atelier d'écriture de Lianne. C'est une belle idée que d'avoir décrit un groupe de personnes qui perd la mémoire, tandis que tout un pays est plongé dans un « impératif mémoriel » extrêmement fort. C'est un parallèle intéressant d'un point de vue narratif, car il permet de dresser un pont entre le drame d'un pays tout entier et celui, plus intime, des individus en marge de la société, comme le sont les personnes âgées et les malades. En revanche, je suis plus dubitative concernant le récit des parties de poker de Keith. Si celles du début ont un sens, parce qu'elles évoquent ceux qui ne sont plus, les nombreux tournois auxquels le héros participe à la fin du roman m'ont plutôt ennuyée et je n'ai pas toujours vu leur intérêt. Idem pour les passages qui mettent en scène les terroristes ou l'artiste de rue ; ils m'ont paru reliés de manière artificielle au reste du récit.

En définitive, cette lecture aura été assez déstabilisante ; passionnante à certains égards et plus monotone à d'autres. Je reste cependant satisfaite d'avoir pu découvrir Don Delillo et n'exclus absolument pas de le lire de nouveau un jour…


* (citation extraite du livre Les nouveaux monstres, de Simonetta Greggio)
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Destins éclatés et chaotiques de quelques personnages marqués à tout jamais par les attentats du 11 septembre 2001 contre les Tours de New York. Je dois avouer que je n'ai pas su entrer dans le livre trop éclaté à mon goût, au début particulièrement, reflet des troubles physiques (quête des corps) et psychologiques (troubles de la mémoire) des héros de ce roman. Il aurait certainement fallu que je consacre de plus longues plages de lecture pour mieux m'immerger dans l'univers de l'écrivain alors que j'ai lu le bouquin par petits bouts, fractionnant un texte par lui-même déjà déstructuré. Quant à l'Homme qui tombe, il s'agit d'un artiste créant des performances en se jetant dans le vide, retenu par un simple harnais, pour styliser ces corps qui pour se sauver, se jetèrent des tours lors de l'attentat apocalyptique. Peut-être qu'en le relisant plus sérieusement j'en savourerais la moelle ?
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