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Critique de bgbg


bgbg
10 décembre 2018
Roman d'une grande beauté formelle, que traverse une atmosphère de questionnement métaphysique et de narration froide, épurée, distanciée, d'une expérience qui tient de la science-fiction.
Le narrateur est Jeffrey, fils de Ross Lockhart, un richissime financier, généreux donateur d'un centre de recherche secret, situé aux confins du monde, dans une ancienne république soviétique d'Asie centrale. Que fait-on dans cette clinique dite de la Convergence et à quoi correspond le Zéro K ? Au zéro absolu, soit une température égale à – 273 degrés, nécessaire pour mettre en route la cryogénisation d'un corps, sa conservation par le froid. L'individu, s'il n'est pas mort, n'est pas vraiment vivant. Qui est concerné ? Des personnes atteintes de maladies incurables espérant que la médecine aura fait des progrès des années ou des siècles plus tard pour les guérir après les avoir réveillés (s'ils se réveillent), avec l'espoir d'améliorer leurs capacités physiques et cognitives, ou de lutter contre le vieillissement. Des accompagnateurs, des gens sains, des volontaires peuvent être intéressés et intégrés dans les programmes.
Cette clinique impressionne le visiteur novice qu'est Jeffrey par son silence oppressant, ses couloirs sans fin, ses portes sans rien derrière ou portes closes derrière lesquelles on imagine des chercheurs penchés sur des microscopes ou des éprouvettes en rotation accélérée, ses écrans sur lesquels défilent des images d'une actualité inquiétante, et ses mannequins ou ses corps momifiés, nus, alignés, un liquide conservateur à la place du sang, enfermés dans des nacelles telles des chrysalides transparentes.
Artis, la deuxième femme de Ross, souffre d'une maladie neurologique et sera ainsi « euthanasiée ». Ross lui-même est candidat et, s'il finit par renoncer à la suivre dans cette expérience qui reste incertaine, il le fera bien plus tard.
L'objectif de la Convergence in fine est « d'augmenter » par la biotechnologie les candidats partants pour cette aventure une fois leur résurrection assurée, voire de tendre vers leur immortalité. On est dans le transhumanisme, utopie sensationnaliste et controversée.
Mais nous sommes dans un roman et cette dimension est présente grâce au personnage de Jeffrey, le fils, un désoeuvré, romanesque dans son approche du quotidien, des évidences terre-à-terre, mais aussi dans ses incapacités à se réaliser dans le couple ou dans le travail. Il est comme un contre-poids face à cette folie anticipatrice, un résistant. Lui se dit « augmenté » par le chagrin quand il assiste, humain, fragile et affligé, à la mort de sa mère Madeline.
La spécificité de ce roman est d'esquiver la description technique de la cryogénisation pour en cerner les aspects philosophiques, les contours métaphysiques, et jusqu'aux contenus proprement religieux ou du moins sectaires. Don DeLillo le fait, tout en survolant son sujet, par petites touches, légères, désincarnées, et le résultat est semblable à celui d'une peinture impressionniste : écriture minimale et très visuelle à la fois, qui nourrit une fresque très colorée, abonde en descriptions imposantes, suggestives, parfois irréelles, mais aussi en déclarations essentielles, parfois logorrhéiques, dégageant une atmosphère solennelle de fin du monde.
Cette fresque éthérée coexiste avec la vie ordinaire mais clairvoyante que mène Jeffrey. et s'il ne croule pas sous les états d'âme et les interrogations psychologiques (ce que l'auteur ne saurait faire), il ne réfléchit pas moins pour autant, de façon modeste, humaine, acceptant les énigmes qu'il croise pour ce qu'elles sont.
Les arguments métaphysiques sur l'être humain ou philosophiques sur la vie, la mort, le monde ne manquent pas, n'appesantissent pas la lecture pour autant, lâchés comme des ballons de baudruche. Que devient la vie sans la perspective de la mort ? La programmation de la fin de vie n'amène-t-elle pas à réfléchir sur soi, sur la marche du monde, sur le côté éphémère de son passage sur terre, sur la validité de ses choix ?
Don DeLillo a commis là une oeuvre essentielle puisqu'ayant trait à la mort, mais il a introduit la distance nécessaire et le prétexte de l'art contemporain pour faire passer le sujet. Pris entre sa fascination pour les images et son constat de la perte des valeurs qu'accompagnent le triomphe de la technologie et les progrès de la science, il trace une perspective sur le mystère de l'existence en le nimbant d'une dimension humaine. Cela reste troublant, et Don DeLillo reste à déchiffrer.
Lien : https://lireecrireediter.ove..
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