Cette oeuvre splendide et visionnaire de Debord, sortie dans sa version cinématographique en 1978, continue à déranger profondément les serviteurs du Spectacle. Debord, qui connaissait mieux que personne son époque, anticipa le phénomène en faisant éditer "Ordures et décombres", petit livre qui regroupait les différentes réactions dans la Presse, consécutives à la sortie de son film. Près de 35 années plus tard, c'est désormais un très gros volume qui serait nécessaire pour regrouper toutes ces éructations.
C'est le propre des grandes oeuvres, porteuses d'une subversion incompatible avec les systèmes de domination, de provoquer ainsi, DANS LA DURÉE, les réactions haineuses. Debord rejoint ainsi le groupe restreint des maudits de l'histoire officielle, tels Machiavel ou Sade; de ceux que l'on n'a pas pu faire taire et dont il faut, par nécessité, constamment tenter de salir l'image dans les esprits incertains ou simplement mal informés.
Debord disait (de mémoire) que bientôt auraient disparu les conversations, avec les derniers anciens qui savaient encore les pratiquer.
Et qu'avaient déjà disparu bon nombre de choses comme le vrai pain. C'était au milieu des années 80. Il est resté le nom, l'apparence, tandis que la chose a disparu.
Cela résume assez ce qu'est la société du spectacle : pas juste un spectacle : une nouvelle réalité, qui s'est substituée à l'ancienne - et qui entend se substituer à la réalité tout court.
Anecdote : j'évoquais Florence, comme exemple d'une ville bâtie avec goût et sensibilité, en la comparant aux réussites rentables et fonctionnelles des villes dortoirs ; réussites séparées, car elles sont incapables d'intégrer l'ensemble des paramètres émotionnels, urbanistiques, psychologiques, économiques, écologiques, etc., qui vont avec.
D'ailleurs quand bien même certains de ces paramètres, pour certains produits destinés à durer, sont intégrés, ils ne le sont que sur le seul plan du calcul, comme si la réalité de la vie pouvait être enfermée dans un calcul.
La jeune fille à qui je parlais de Florence y avait été : elle n'a pas aimé.
J'en conclus que non seulement la plupart des possibilités de comparaison de l'authentique ont disparu, mais que même quand il en subsiste quelques traces, ont disparu les gens capables de l'apprécier.
Les fanatiques de la vie falsifiée pourront bien dire que d'autres goûts sont venus avantageusement remplacer les authentiques, ces goûts-là n'en ont plus - non plus - que le nom.
Cette société se terminera donc dans un dégoût universel.
(Je me dépêche d'écrire ces mots avant que leur sens ne soit lui-même définitivement remplacé)
Notre temps aura laissé peu d'écrits qui envisagent aussi franchement les grandes transformations qui l'ont marqué. Qu'auraient donc pu en voir et en dire de vrai ceux qui ont partagé quelque chose de ses illusions et de ses ambitions combinées ?
Paris alors, dans les limites de ses vingt arrondissements, ne dormait jamais tout entier, et permettait à la débauche de changer trois fois de quartier dans chaque nuit. On n'en avait pas encore chassé et dispersé les habitants. Il y restait un peuple, qui avait dix fois barricadé ses rues et mis en fuite des rois. C'était un peuple qui ne se payait pas d'images.
Considérant les grandes forces de l'habitude et de la loi, qui pesaient sans cesse sur nous pour nous disperser, personne n'était sûr d'être encore là quand finirait la semaine; et là était tout ce que nous aimerions jamais. Le temps brûlait plus fort qu'ailleurs, et manquerait. On sentait trembler la terre.
A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d'une sombre mélancolie, qu'ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue.
Quel livre a inspiré le film "La piel que habito" de Pedro Almodovar ?