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Citations sur Monsieur Croche - Antidilettante (46)

Sachez donc bien qu’une véridique impression de beauté ne pourrait avoir d’autres effets que le silence… ? Enfin, voyons ! quand vous assistez à cette féerie quotidienne qu’est la mort du soleil, avez-vous jamais eu la pensée d’applaudir ? Vous m’avouerez que c’est pourtant d’un développement un peu plus imprévu.
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Je n’ai pas l’intention de contribuer à l’histoire de la musique. Seulement je voulais insinuer qu’on a peut-être tort de jouer toujours les mêmes choses, ce qui peut faire croire à de très honnêtes gens que la musique est née d’hier, tandis qu’elle a un Passé dont il faudrait remuer les cendres : elles contiennent cette flamme inéteignable à laquelle notre Présent devra toujours une part de sa splendeur.

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RICHARD STRAUSS.

M. Richard Strauss, qui vient de diriger l’orchestre des Concerts Lamoureux, n’est pas du tout parent du Beau Danube Bleu : il est né à Munich, en 1864, où son père était musicien de la Chambre royale. C’est à peu près le seul musicien original de la jeune Allemagne ; il tient à la fois de Liszt par sa remarquable virtuosité dans l’art de jouer de l’orchestre, et de notre Berlioz par son souci d’étayer sa musique sur de la littérature. Les titres de ses poèmes symphoniques : Don Quichotte, Ainsi parlait Zarathoustra, Les équipées de Till Ulenspiegel, en témoignent. À coup sûr l’art de M. R. Strauss n’est pas toujours aussi spécialement fantaisiste, mais il pense certainement par images colorées et il semble dessiner la ligne de ses idées avec l’orchestre. C’est un procédé peu banal et rarement employé ; M. R. Strauss y trouve, au surplus, une façon de pratiquer le développement tout à fait personnelle ; ça n’est plus la rigoureuse et architecturale manière d’un Bach ou d’un Beethoven, mais bien un développement de couleurs rythmiques ; il superpose les tonalités les plus éperdument éloignées avec un sang-froid absolu qui ne se soucie nullement de ce qu’elles peuvent avoir de « déchirant », mais seulement de ce qu’il leur demande de « vivant ».

Toutes ces particularités se trouvent portées au paroxysme dans la Vie d’un Héros, poème symphonique que R. Strauss faisait entendre pour la seconde fois à Paris. — On peut ne pas aimer certains départs d’idées qui frisent la banalité ou l’italianisme exaspéré, mais au bout d’un instant on est pris d’abord par sa prodigieuse variété orchestrale, puis par un mouvement frénétique qui vous emporte là et aussi longtemps qu’il le veut ; on n’a plus la force de contrôler son émotion, on ne s’aperçoit même pas que ce poème symphonique dépasse la mesure d’une patience habituelle à ce genre d’exercice.

Encore une fois, c’est un livre d’images, c’est même de la cinématographie… Mais il faut dire que l’homme qui construisit une pareille œuvre avec une telle continuité dans l’effort est bien près d’avoir du génie.

Il avait commencé par jouer Italie, fantaisie symphonique en quatre parties (œuvre de jeunesse, je crois), où perce déjà l’indépendance future de R. Strauss. Les développements m’en ont paru un peu longs et convenus. Cependant la troisième partie, intitulée : « En rade de Sorrente », est d’une bien jolie couleur… Ensuite, une scène d’amour extraite de Feuersnot, son dernier opéra. D’être ainsi détachée de son cadre fait perdre beaucoup à cette scène ; puis comme le programme ne contenait aucune indication, l’ordonnance en était totalement incompréhensible. Tel épisode qui soulevait des torrents d’orchestre paraissait bien formidable pour une scène d’amour ! Il est probable que dans le drame, ce torrent est justifié. Voici peut-être une occasion pour les théâtres de musique de monter quelque chose de nouveau ; car je ne pense pas qu’on ait la prétention de nous apprendre quoi que ce soit en jouant les opéras modernes de la jeune Italie ?

M. R. Strauss n’a ni mèche folle, ni des gestes d’épileptique. Il est grand et a l’allure franche et décidée de ces grands explorateurs qui passent à travers les tribus sauvages avec le sourire sur les lèvres. — Il faut peut-être avoir un peu de cette allure pour secouer la civilisation du public ? — Son front est tout de même d’un musicien, mais les yeux et le geste sont d’un « Sur-homme », comme disait celui qui doit être son professeur d’énergie : Nietzsche… Il a dû lui prendre aussi son beau dédain des sentimentalités niaises et ce qu’il voulait, que la musique ne continuât pas sempiternellement à illuminer nos nuits, tant bien que mal, mais qu’elle remplaçât le soleil. Je puis vous assurer qu’il y a du soleil dans la musique de R. Strauss. On a pu constater que la majorité du public n’aime pas ce genre de soleil, car des dilettanti pourtant fameux donnaient des signes non équivoques de leur impatience. Cela n’a pas empêché, du reste, que l’on saluât R. Strauss d’ovations enthousiastes… Je vous répète qu’il n’y a pas moyen de résister à la domination conquérante de cet homme !
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En outre, il y a une loi de beauté qu'il importe de ne pas oublier! malgré l'effort de quelques uns, nous semblons marcher vers cet oubli, tant la médiocrité, monstre à mille têtes, a de fidèles dans les sociétés modernes.
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LETTRE OUVERTE
à Monsieur le Chevalier W. Gluck.

« Monsieur,
» Vais-je vous écrire ou vous évoquer ? Ma lettre ne vous arrivera vraisemblablement pas, et il est douteux que vous consentiez à quitter le séjour des ombres heureuses pour venir causer avec moi des destinées d’un art, dans lequel vous avez suffisamment excellé, pour désirer que l’on vous laisse en dehors des discussions qui ne cessent de l’agiter. J’userai donc alternativement de l’écriture ou de l’évocation en vous dotant d’une vie imaginaire qui permet certaines licences. Veuillez excuser le manque d’admiration pour votre œuvre ; je n’en oublierai pas le respect dû à un homme aussi illustre que vous.

» En somme, vous fûtes un musicien de cœur. Des mains royales tournèrent les pages de vos manuscrits, en penchant sur vous l’approbation d’un sourire fardé. On vous tracassait bien un peu avec un nommé Piccini qui écrivit plus de soixante opéras. Vous supportiez en cela une loi commune qui veut que la quantité remplace la qualité et que les Italiens aient encombré de tout temps le marché musical. — Le Piccini ci-dessus est tellement oublié qu’il a dû prendre le nom de Puccini pour arriver à se faire jouer à l’Opéra-Comique. — Par ailleurs, ces discussions entre abbés élégamment érudits et encyclopédistes dogmatiques devaient vous importer assez médiocrement ; les uns comme les autres parlaient de musique avec cette incompétence que vous retrouveriez aussi vive dans notre monde. Et si vous témoigniez d’indépendance en dirigeant, sans perruque, votre bonnet de nuit sur la tête, la première représentation d'Iphigénie en Aulide, il vous importait davantage de plaire à votre roi, à votre reine. Mais, voyez-vous, votre musique garde de ces hautes fréquentations une allure presque uniformément pompeuse : Si l’on y aime, c’est avec une majestueuse décence, et la souffrance même y exécute de préalables révérences… Qu’il soit plus élégant de plaire au roi Louis XVI qu’au monde de la troisième République est une question que votre état de « mort » m’empêche de résoudre par l’affirmative.

« Votre art fut donc essentiellement d’apparat et de cérémonie. Les gens du commun n’y participèrent que de loin… Ils regardaient passer les autres (les heureux… les satisfaits !) Vous représentiez en quelque sorte, pour eux, le mur derrière lequel il se passe quelque chose.

« Nous avons changé tout cela, Monsieur le chevalier, nous avons des prétentions sociales et nous voulons toucher le cœur des foules. — Ça n’en va pas mieux et nous n’en sommes pas plus fiers pour cela ! (vous ne vous figurez pas combien nous avons de mal à fonder un Opéra populaire).

« Malgré le côté « luxe » de votre art, il a eu beaucoup d’influence sur la musique française. On vous retrouve d’abord dans Spontini, Lesueur, Méhul, etc. ; vous contenez l’enfance des formules wagnériennes et c’est insupportable (vous verrez pourquoi tout à l’heure). Entre nous, vous prosodiez fort mal ; du moins, vous faites de la langue française une langue d’accentuation quand elle est au contraire une langue nuancée. (Je sais… vous êtes Allemand.) Rameau, qui aida à former votre génie, contenait des exemples de déclamation fine et vigoureuse qui auraient dû mieux vous servir — je ne parle pas du musicien qu’était Rameau pour ne pas vous désobliger. — On vous doit aussi d’avoir fait prédominer l’action du drame sur la musique… Est-ce très admirable ? À tout prendre, je vous préfère Mozart, qui vous oublie absolument, le brave homme, et ne s’inquiète que de musique. Pour exercer cette prédominance, vous avez pris des sujets grecs ; cela permit de dire les plus solennelles bêtises sur les prétendus rapports entre votre musique et l’art grec.

« Rameau était infiniment plus grec que vous (ne vous mettez pas en colère, je vais bientôt vous quitter). Il y a plus, Rameau était lyrique, cela nous convenait à tous points de vue ; nous devions rester lyriques sans attendre un siècle de musique pour le redevenir.

« De vous avoir connu, la musique française a tiré le bénéfice assez inattendu de tomber dans les bras de Wagner ; je me plais à imaginer que, sans vous, ça ne serait non seulement pas arrivé, mais l’art musical français n’aurait pas demandé aussi souvent son chemin à des gens trop intéressés à le lui faire perdre.

« Pour conclure, vous avez bénéficié des diverses et fausses interprétations que l’on donne au mot « classique » ; d’avoir inventé ce ron-ron dramatique, qui permet de supprimer toute musique, ne suffit pas à légitimer ce classement, et Rameau a des titres plus sérieux à être appelé ainsi.

« Il faut regretter encore une fois votre mort à cause de Mme Caron. Elle a fait de votre Iphigénie une figure de pureté infiniment plus grecque que vous ne l’avez imaginée. Pas une attitude, pas un geste qui ne furent d’une parfaite beauté.

« Tout ce que vous n’avez pas mis d’émotion intérieure dans ce rôle a été retrouvé par elle. Chacun de ses pas semblait contenir de la musique. Si vous aviez pu voir, au troisième acte, sa façon d’aller s’asseoir près de l’arbre sacré, avant le sacrifice, vous auriez pleuré, tellement il y avait de suprême douleur dans ce simple geste.

« Et quand, à la fin d’Iphigénie, vous unissez par les liens de l’hyménée la tendre Iphigénie au fidèle Pylade, Mme Caron a su illuminer sa figure d’un tel rayonnement, que l’on oubliait la quotidienne banalité de ce dénouement, pour ne plus admirer que la couleur violette de ses yeux, dont vous savez qu’elle est particulièrement chère à ceux qui rêvent indéfiniment de la beauté grecque.

« Avec cette femme, votre musique s’immatérialise, on ne peut plus l’étiqueter d’une époque précise, car, par un don qui fait croire à la survivance des anciens dieux, elle a cette âme tragique qui soulève le voile noir du Passé et fait revivre ces villes mortes où le culte de la Beauté s’unissait harmonieusement à celui de l’art.

« M. Cossira vous aurait plu par le charme de sa voix et M. Dufrane par la façon convaincue dont il a rugi les fureurs d’Oreste. Je n’ai pas beaucoup goûté le divertissement scythe du premier acte, qui tient à la fois du moujik et des ébats d’une brigade d’agents des voitures. Vos divertissements guerriers sont, permettez-moi de vous le dire, difficilement réalisables, la musique, comme le rythme, ne contenant pas d’indications bien précises. Soyez sûr que, partout ailleurs, M. Carré a trouvé le cadre qu’il fallait.

« Avec quoi, j’ai l’honneur d’être. Monsieur le chevalier, votre très humble serviteur. »
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GOUNOD.

Beaucoup de gens sans parti pris, c’est-à-dire qui ne sont pas musiciens, se demandent pourquoi l’Opéra s’obstine à jouer Faust. Il y a à cela plusieurs raisons dont la meilleure est que l’art de Gounod représente un moment de la sensibilité française. Qu’on le veuille ou non, ces choses-là ne s’oublient pas.

A propos de Faust, des musicographes éminents ont reproché à Gounod d’avoir travesti la pensée de Gœthe ; les mêmes éminents personnages ne pensèrent jamais à s’apercevoir que Wagner avait peut-être faussé le personnage de Tannhæuser qui, dans la légende, n’est pas du tout le bon petit garçon repentant qu’en a fait Wagner et dont le bâton brûlé du souvenir de Vénus n’a jamais voulu refleurir. Dans cette aventure, Gounod est peut-être pardonnable parce qu’il est Français ; tandis que Tannhæuser et Wagner étant tous les deux Allemands, cela reste sans excuse.

Nous aimons tant de choses en France que nous en aimons peu la musique. Pourtant il y a des gens très forts qui d’en entendre tous les jours et de toutes les marques se déclarent musiciens. Seulement, ils n’écrivent jamais de musique… ils encouragent les autres. C’est généralement comme cela que l’on crée une école. À ceux-là, n’allez pas parler de Gounod ; ils vous mépriseraient du haut de leurs dieux, dont la qualité la plus charmante est d’être interchangeable. Gounod ne faisait partie d’aucune école. Et c’est un peu l’attitude habituelle des foules qui, à beaucoup de sollicitations esthétiques, répondent en retournant à ce à quoi elles se sont accoutumées. Ce n’est pas toujours du meilleur goût. Cela oscille, sans précaution, du Père la Victoire à la Walküre, mais c’est ainsi. Les personnes qui composent si curieusement l’élite peuvent battre du tambour pour des noms célèbres ou autorisés, cela passe comme une forme de chapeau. Rien n’y fait ; les éducateurs y perdent leur souffle ; le grand cœur anonyme de la foule ne se laisse pas prendre ; l’art continue à souffler où il veut… L’Opéra s’obstine à jouer Faust.

On devrait, pourtant, en prendre son parti et admettre que l’art est absolument inutile à la foule. Il n’est pas davantage l’expression d’une élite, — souvent plus bête que cette foule — ; c’est de la beauté en puissance qui éclate au moment où il le faut, avec une force fatale et secrète. Mais on ne commande pas plus aux foules d’aimer la beauté qu’on ne peut décemment exiger qu’elles marchent sur les mains. En passant, il est à remarquer que, sans préparation aucune, l’action de Berlioz sur la foule est presque unanime.

Si l’influence de Gounod est niable, celle de Wagner est évidente ; pourtant, elle n’atteignit jamais que les spécialistes, ce qui revient à dire qu’elle est incomplète. Il faut avouer que rien ne fut plus mélancolique que cette école néo-wagnérienne où le génie français sombra dans des contrefaçons de « Wotans » en demi-bottes et de « Tristans » en veston de velours.

Si Gounod ne décrit pas la courbe harmonieuse qu’on pouvait lui souhaiter, on doit le louer d’avoir su échapper au génie impérieux de Wagner, dont le concept tout allemand ne se justifie pas très nettement dans ce qu’il voulut d’une fusion des arts : ce qui maintenant n’est guère plus qu’une formule qui achalandé la littérature.

Gounod, avec ses défaillances, est nécessaire. D’abord : il est cultivé ; il connaît Palestrina, collabore avec Bach. Son respect des traditions est assez clairvoyant pour ne pas clamer le nom de Gluck — autre influence étrangère assez mal déterminée. — Il recommande plutôt Mozart à l’amour de jeunes gens, — preuve de grand désintéressement ; car jamais il ne s’en inspira. Ses relations avec Mendelssohn furent plus transparentes, puisqu’il lui doit cette façon de développer la mélodie en étagère, si commode quand on n’est pas en train (influence, en somme, peut-être plus directe que celle de Schumann). Au surplus, Gounod laisse passer Bizet, et c’est très bien. Malheureusement, ce dernier meurt trop tôt, et quoique laissant un chef-d’œuvre, les destinées de la musique française sont remises en question. La voici encore, telle une jolie veuve qui, n’ayant autour d’elle personne d’assez fort pour la conduire, se laisse aller dans des bras étrangers qui la meurtrissent. On ne peut nier qu’en art certaines alliances ne soient nécessaires ; au moins faut-il y apporter quelque délicatesse ; et, choisir celui qui crie le plus fort n’est pas suivre le plus grand. Ces alliances ne sont trop souvent qu’intéressées et cachent plutôt le moyen de ranimer un succès défaillant. Comme les mariages de raison, cela finit mal. Recevons généreusement ce qui s’importe d’art en France ; seulement, ne nous laissons pas duper, ne tombons pas dans l’extase à propos de mirlitons. Soyons persuadés que cette attitude n’a pas de réciproque ; bien au contraire, notre amabilité donne aux étrangers cette sévérité sans civilité, à peine ridicule, puisque nous l’avons provoquée. Pour conclure ces notes trop brèves pour les idées qu’elles remuent, et, quelquefois, contradictoires à Gounod, prenons sans raideur dogmatique l’occasion de saluer respectueusement son nom. Constatons encore que les raisons de durer dans la mémoire des hommes sont multiples et n’ont pas toujours besoin d’être considérables ; émouvoir une grande partie de ses contemporains est un des meilleurs moyens. Nul ne songera à nier que Gounod s’y employa généreusement.
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BERLIOZ.

Berlioz n’eut jamais de chance. Il souffrit de l’insuffisance des orchestres et des intelligences de son temps. Voici aujourd’hui que le génie inventif de M. Gunzbourg, avec l’appui de la Société des Grandes Auditions Musicales de France, se charge de revoir et d’augmenter sa gloire posthume en adaptant à la scène la Damnation de Faust.

Sans parti pris, on peut au moins opposer à cette adaptation le fait indéniable que, Berlioz étant mort sans laisser d’indications précises sur son opportunité, elle est d’une esthétique discutable. Au surplus, chausser les souliers d’un mort sans y être autrement invité me paraît envoyer promener bien délibérément ce sentiment de respect que nous avons habituellement pour les morts ; mais, encore une fois, la confiance que M. Gunzbourg n’a jamais cessé d’avoir dans son génie lui permet tout naturellement de traiter Berlioz comme un frère et d’exécuter des volontés qui lui sont parvenues probablement d’outre-tombe.

En cela, M. Gunzbourg continue cette regrettable coutume qui veut que les chefs-d’œuvre engendrent : les commentateurs, les adaptateurs, les tripatouilleurs… race innombrable, dont les représentants naissent sans mandat bien précis, que celui d’entourer d’un brouillard de mots et d’épithètes considérables les pauvres susdits chefs-d’œuvre.

Il n’y a pas que Berlioz, hélas ! Il y a le célèbre Sourire de la Joconde, qu’une curieuse obstination étiqueta à jamais de « mystérieux »… La symphonie avec chœurs de Beethoven, laquelle prêta à des interprétations tellement surhumaines que de cette œuvre si forte et si claire on ne fit, pendant longtemps, qu’un épouvantail à public… L’œuvre entière de Wagner, dont il fallut la solidité pour qu’elle résistât à la fougue industrieuse de ses compilateurs.

Toutes ces pratiques représentent une sorte de littérature spéciale et même une profession classée qui mène à tout, à condition de n’en jamais sortir, le soin de parler des autres supprimant inévitablement celui de parler de soi-même, besogne parfois dangereuse. Par certains côtés, cela est louable ; par d’autres, il ne faut peut-être y voir qu’une insuffisance, que plus ou moins d’habileté peut rendre notoire.

Jusqu’ici, Berlioz avait échappé à cet envahissement. Seuls, M. Jullien, dans un livre admirablement documenté, avait raconté pieusement le calvaire de cette gloire, et M. Fantin-Latour, rêvé lithographiquement d’après cette musique. D’ailleurs, par son souci de la couleur et de l’anecdote, Berlioz a été immédiatement adopté par les peintres ; on peut même dire sans ironie que Berlioz fut toujours le musicien préféré de ceux qui ne connaissaient pas très bien la musique… les gens du métier s’effarent encore de ses libertés harmoniques (ils disent même ses « gaucheries » ), et le « va te promener » de sa forme. Sont-ce les raisons qui rendent presque nulle son influence sur la musique moderne et qui resta, en quelque sorte, unique ? En France, je ne vois guère que dans Gustave Charpentier où l’on puisse retrouver un peu de cette influence, encore n’est-ce qu’à un point de vue décoratif, l’art de Charpentier étant indubitablement personnel, quant à ce qu’il veut intimement de la musique.

Ceci m’amène à dire que Berlioz ne fut jamais, à proprement parler, un musicien de théâtre. Malgré les réelles beautés que contiennent les Troyens, tragédie lyrique en deux parties, des défauts de proportion en rendent la représentation difficile et l’effet presque uniforme, pour ne pas dire ennuyeux… Du reste, Berlioz n’apporte là aucune invention. Il s’y souvient de Gluck, qu’il aimait passionnément. et de Meyerbeer, qu’il détestait religieusement. Non, ce n’est pas là où il faut chercher Berlioz… C’est dans la musique purement symphonique ou bien dans cette Enfance du Christ, qui est peut-être son chef-d’œuvre, sans oublier la Symphonie fantastique et la musique pour Roméo et Juliette.

Mais M. Gunzbourg veillait et dit : « Mon cher Berlioz, vous n’y connaissez rien !… Si vous n’avez pas réussi au théâtre, c’est que je ne pouvais malheureusement pas vous aider de mon expérience… Enfin, vous êtes mort et nous allons pouvoir remettre tout en place. Tenez ! vous avez fait une légende dramatique : la Damnation de Faust. Ça n’est pas mal, mais ça ne vit pas ! Ainsi quel intérêt voulez-vous qu’on prenne à votre « Marche hongroise » si on ne voit pas s’agiter des soldats dans le fond de la scène ?… Et ce « ballet des Sylphes », c’est gentil de musique, quoique vous ne me ferez jamais croire qu’un simple orchestre symphonique puisse remplacer le charme d’une danseuse !… Et cette « Course à l’abîme », c’est terrifiant, mon cher ! Mais vous allez voir, ça sera angoissant et terrible. Je détournerai le cours des rivières pour fournir des cascades naturelles ; je ferai pleuvoir du vrai sang, fourni par les abattoirs ; les chevaux de Faust et de Méphistophélès fouleront de vrais cadavres. D’ailleurs, vous ne pourrez vous mêler de rien, heureusement ! Vous étiez si bizarre, étant vivant, que votre présence ne pourrait que tout gâter. »

Ayant ainsi parlé, M. Gunzbourg se mit à l’œuvre et adapta éperdûment. Tout en cheminant à travers la Damnation, il se convainquit une fois de plus que ce « sacré Berlioz » n’y connaissait décidément rien… « Trop de musique », bougonnait-il, « et comme c’est facile ! » mais « ça manque de lien, il me faut des récits. Dommage tout de même qu’il soit vraiment mort !… Tant pis, nous nous en passerons… » Et M. Gunzbourg se passa de Berlioz, fit faire des récits et dérangea l’ordre des scènes. Tout lui fut, ou à peu près, prétexte à ballets, figuration, et le résultat donna une œuvre où les artifices de la féerie se mêlèrent aux agréments qu’offrent les Folies-Bergère.

Mon Dieu ! à Monte-Carlo ça pouvait marcher. On n’y vient pas absolument pour entendre des œuvres d’art, et la musique y prend à peu près l’importance d’une jolie après-midi Les délicieux rastaquouères qui en font l’ornement n’y regardent pas de si près, et les charmantes demoiselles cosmopolites n’y voient qu’un accompagnement discret autant qu’utile à leurs sourires…

Pour Paris, il fallait trouver mieux. C’est ici qu’intervient la Société des Grandes Auditions, dont l’éclectisme bien connu ne recule devant aucun sacrifice. Cette fois-ci, elle me paraît avoir sacrifié jusqu’au bon goût le plus simple. Son désir de donner à la France des leçons de haute musique l’a, je crois, entraînée plus loin qu’il n’est permis. Quoique les gens du monde puissent se tromper plus que les autres, en raison de leur manque d’entraînement dans la matière. Et l’on trouva aussi des chanteurs admirables, comme M. Renaud, qui est peut-être le seul artiste qui fasse supporter le Méphistophélès imaginé par la verve de M. Gunzbourg, tant il y apporte de tact et de goût personnel. M. Alvarez et Mme Calvé sont trop célèbres pour ne pas être parfaits, même dans la Damnation. Dieu sait, pourtant, quels rôles de marionnettes ils assument !

Enfin, il y a deux personnages qui n’en reviennent pas, d’abord Faust ! Que voulez-vous, il a bien retrouvé M. Colonne, mais il s’étonne de remplir les mesures où il avait l’habitude de rester tranquille, par une pantomime qu’il cherche vainement à s’expliquer. Puis, la musique regimbe aussi, elle a conscience d’être quelquefois de trop, et même complètement inutile. Elle est si peu de la musique de théâtre, la pauvre, qu’elle a honte d’être sonore et de participer si maladroitement au mouvement scénique que M. Gunzbourg lui imposa.

Désormais, M. Gunzbourg peut dormir tranquille, il aura son buste en face de celui de Berlioz, dans les jardins de Monte-Carlo ; il y sera même beaucoup plus à sa place, et Berlioz n’aura vraiment pas à se plaindre du voisinage.
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LE Dr RICHTER.

Il ne m’appartient pas de savoir exactement « à quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons », mais entre autres choses ils ont Covent-Garden… Ce théâtre a ceci de particulier que la musique y est à son aise. On s’y est aussi beaucoup moins préoccupé de décoration somptueuse que de parfaite acoustique, l’orchestre en est nombreux et strictement attentif ; au surplus, M. André Messager en assume les responsabilités artistiques avec un goût parfait et sûr qui ne surprendra personne, il me semble. Vous voyez combien tout ceci est curieux puisque l’on a pensé qu’un musicien pouvait s’occuper utilement d’un théâtre de musique ! En vérité, ces gens sont fous ou peut-être routiniers ! En tout cas je ne tenterai pas de comparaisons ; elles constateraient trop victorieusement l’indigence de nos moyens et notre orgueil national pourrait en souffrir… Seulement, ne faussons pas les trompettes de la Renommée pour célébrer la gloire de notre Opéra, ou mettons une sourdine.

Je viens d’assister aux représentations de l’Or du Rhin et de la Walkyrie… Il me paraît impossible d’atteindre à plus de perfection. Si on peut en critiquer les décors ou certains jeux de lumière, il faut rendre hommage aux soins artistiques qui minutieusement les entourèrent.

Le docteur Richter dirigea la première exécution de la Tétralogie de Bayreuth en 1876. À cette époque, ses cheveux et sa barbe étaient d’un blond ardent ; depuis, ses cheveux sont tombés, mais derrière ses lunettes d’or, les yeux ont conservé une lumière admirable… Des yeux de prophète, qu’il est en réalité et qu’il ne cesse d’être, au moins au profit de la religion wagnérienne, que par suite de la décision prise par Mme Cosima Wagner, de le remplacer par son estimable autant que médiocre fils : Siegfried Wagner.

C’était parfait à un point de vue d’économie domestique, mais déplorable pour la gloire de Wagner… À un homme comme lui, il faut des hommes comme Richter, Lévy ou Mottl… Ils font partie de la prodigieuse aventure qui lui fait rencontrer à un point nommé : un roi. Sans parler de Liszt qu’il pilla consciencieusement, à quoi ce dernier n’opposa jamais que l’acquiesçante bonté d’un sourire.

Il y avait du thaumaturge dans Wagner, et cette impunité dans la domination excusa presque son imperturbable vanité.

Si Richter ressemble à un prophète, quand il dirige l’orchestre c’est le bon Dieu… (et encore soyez sûr que le bon Dieu ne risquerait cette aventure qu’après avoir demandé quelques conseils à Richter).

Pendant que sa main droite armée d’un petit bâton sans prétention assure la précision des rythmes, sa main gauche se multiplie, indiquant à tout le monde ce qu’il doit faire. Cette main est « ondoyante et diverse », sa souplesse est invraisemblable. Puis, lorsque l’on croit qu’il n’y a vraiment pas moyen d’avoir plus de richesse sonore, ses deux bras se lèvent à la fois, l’orchestre bondit à travers la musique avec une fougue irrésistible qui balaie, comme fétu de paille, l’indifférence la plus enracinée. Toute cette pantomime reste discrète, sans jamais accrocher désagréablement l’œil, ni s’interposer entre la musique et le public.

J’ai essayé vainement de voir ce prodigieux homme. C’est un sage qui se dérobe farouchement à l’interview… Pendant un instant j’ai pu l’apercevoir faisant répéter Fafner, le pauvre dragon sur lequel Siegfried, petite brute héroïque, essayera tout à l’heure la vertu de son épée… On comprendra, j’en suis sûr, mon émotion à contempler, courbé sur un piano, le consciencieux vieil homme, accomplissant une besogne d’anonyme répétiteur… Dérange-t-on un pareil brave homme sous le futile prétexte de lui arracher des confidences ? Ne serait-ce pas aussi exorbitant que l’offre outrecuidante de se faire arracher subitement une dent ?

Vous pensez bien qu’on avait écrémé les théâtres d’Allemagne pour trouver les chanteurs dignes d’une pareille exécution ; il faudrait les citer tous… J’en détacherai pour aujourd’hui M. Van Dick qui eut la fantaisiste ironie de Loge dans l’Or du Rhin et le lyrisme passionné de Siegmund dans Walkyrie. M. Lieban, dans le rôle du nain Mime, incroyable de sournoiserie rampante, chante merveilleusement malgré cela. Ces deux hommes sont de grands artistes… Mlle Zimmermann fait presque oublier Mme Caron qui avait revêtu la figure de Sieglinde, d’un charme si angoissant. Quant aux trois filles du Rhin, je vous souhaiterai simplement de les entendre…

Le public anglais écoute avec une attention, on peut dire forcenée. S’il y a ennui, cela ne se trahit jamais ; la salle étant, d’autre part, plongée dans l’obscurité pendant la durée des actes, on peut même y dormir en toute sécurité. On applaudit seulement à la fin de chaque acte, tradition essentiellement wagnérienne ; et le docteur Richter s’en va content, insensible aux ovations, peut-être impatient d’une bière réparatrice.
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V. D’INDY.

L’Étranger est ce que les personnes dogmatiques appellent « une hautaine et pure manifestation d’art » ; à mon humble avis, c’est mieux que cela.

C’est la libération de formules certainement pures et hautaines, mais qui avaient d’un mécanisme d’acier le froid, le bleu, le fin et le dur. La musique s’y manifestait très belle, mais comme engainée, cela vous stupéfiait avec une telle maîtrise que l’on osait à peine être émotionné, — ce n’eût pas été convenable.

Quoi qu’on en ait dit, jamais l’influence de Wagner ne fut réellement profonde chez d’Indy ; l’héroïque cabotinisme de l’un ne put s’allier à la probité artistique de l’autre. Si Fervaal est encore soumis à la tradition wagnérienne, il s’en défend par sa conscience, son dédain de l’hystérie grandiloquente qui surmènent les héros wagnériens.

Je sais bien que l’on reprochera à Vincent d’Indy de s’être libéré, de n’aimer plus autant le feu du « Rendez-vous des thèmes », — joie des vieux wagnériens, renseignés d’avance par de spéciaux indicateurs.

Que ne s’est-il libéré tout à fait de ce besoin de tout expliquer, tout souligner qui alourdit parfois les scènes les plus belles de l’Étranger !

À quoi bon tant de musique pour un douanier, personnage anecdotique, dont je comprends l’intérêt d’opposition à l’humanité débordante de l’Étranger, mais qu’on pouvait souhaiter plus falot, plus vraiment : un de ces vagues humains qui ne songent qu’à leur petite vilaine peau ?

L’action dramatique de l’Étranger n’est pas, malgré sa simplicité, un brutal fait-divers. Elle se passe dans un petit village de pêcheurs, au bord de la mer. Un homme est venu depuis peu s’établir dans ce village ; on l’appelle l’Étranger, faute d’un autre nom ; il est violemment antipathique, ne fréquentant ni ne parlant à personne ; son bonnet est surmonté d’une émeraude qui naturellement lui vaut une réputation de sorcier. Il essaye d’être serviable et bon ; donnant sa part de pêche à ceux qui n’ont pu rien prendre, essayant de délivrer un malheureux que l’on traîne à la prison, — mais l’autorité n’aime pas les symbolistes, — les pêcheurs non plus.

Par deux phrases simples de lignes, Vincent d’Indy a exprimé très clairement ce personnage de l’Étranger. C’est un héros chrétien qui se rattache directement à cette lignée de martyrs qui accomplissaient sur terre une mission de charité imposée par Dieu. L’Étranger est donc le fidèle serviteur que le Maître a voulu tenter par l’amour de la femme, et dont le cœur a faibli, et que la mort seule pourra racheter.

Jamais la musique moderne n’a trouvé d’expression plus profondément pieuse, plus chrétiennement charitable. C’est en vérité une conviction profonde chez d’Indy qui rend ces deux phrases si souverainement bonnes ; elles illuminent le sens profond du drame mieux que n’importe quel commentaire symphonique.

Pourtant une jeune fille, Vita, est attirée par le mystère et la tristesse songeuse de cet homme ; elle aime d’ailleurs profondément la mer, confidente habituelle de ses chagrins, de ses désirs secrets. Vita, est, d’autre part, la fiancée d’André, le beau douanier, qui révèle, dans une scène familière, une âme d’égoïste satisfait. C’est un fonctionnaire qui ne comprendra jamais qu’une jeune fille peut rêver à autre chose qu’à un beau douanier.

Dans une scène où Vita et l’Étranger sont en présence, l’intrigue se noue. Vita avoue son amour. La mer n’est plus sa confidente depuis que l’Étranger est là… Ce dernier, profondément troublé, laisse échapper son douloureux secret : « Adieu, Vita, le bonheur je te souhaite… Moi, je pars dès demain, car je t’aime, je t’aime, oui, je t’aime d’amour, et… tu le savais bien. »

En effet, Vita est jeune, et Vita est fiancée. L’Étranger a perdu, en prononçant les paroles d’amour, la pureté de cœur qui faisait sa force. Car la solitude morale est nécessaire à la mission rédemptrice qu’il a assumée. Se dévouer à tous défend de se dévouer à un seul. Ça n’est pas gai tous les jours de pouvoir faire des miracles. Enfin, l’Étranger est vieux, et ce souci purement humain ne me déplaît pas chez ce personnage miraculeux.

D’avoir oublié sa mission un instant, l’empêchera à l’avenir de continuer son œuvre de charité. Il donne à Vita l’émeraude désormais inutile et lui dit à jamais adieu. Vita, sanglotante, jette dans la mer inquiétante, d’où s’élèvent des voix mystérieuses, l’émeraude sacrée, qui a fait son malheur. La mer se referme sur cette pierre, avec une joie sauvage de toutes ses vagues, d’avoir repris ce talisman qui jadis l’apaisait malgré elle. La tempête s’élève, une barque est en perdition. On pense bien que les bons pêcheurs du premier acte n’oseront pas lui porter secours. André, le beau douanier, profite du désarroi général pour venir montrer à Vita son nouveau galon et lui offrir un bracelet en argent fin. Ce douanier abuse du droit de l’égoïsme et Vita lui prouve, par son silence, combien il est insupportable. Il s’en va sans honte et l’Étranger survient, ramené par le danger, ordonne d’amener un canot, et va partir seul, personne ne voulant se dévouer avec lui. Vita s’élance, et dans un des plus beaux cris que l’amour ait jamais jeté, elle accompagne l’Étranger. Ils s’embarquent, disparaissent parmi la furie des lames, qu’ils n’ont plus le pouvoir de calmer. Un vieux marin suit leur lutte des yeux. Puis tout à coup, la corde qui les maintenait au rivage se rompt. Le vieux marin ôte son bonnet, en prononçant les paroles du De Profondis. Ces deux âmes ont trouvé le repos dans la mort qui, seule, eut pitié de leur impossible amour.

Libre celui qui cherchera d’insondables symboles dans cette action. J’aime à y voir une humanité que Vincent d’Indy n’a revêtue de symbole que pour rendre plus profond cet éternel divorce entre la Beauté et la vulgarité des foules.

Sans m’attarder à des questions de technique, je veux rendre hommage à la sereine bonté qui plane sur cette œuvre, à l’effort de volonté à éviter toute complication et surtout à la hardiesse tranquille de Vincent d’Indy à aller plus loin que lui-même.

Et si tout à l’heure je me plaignais de trop de musique, c’est que, çà et là, elle me paraît nuire à cet épanouissement complet qui orne d’inoubliable beauté tant de pages de l’Étranger. Enfin, cette œuvre est une admirable leçon pour ceux qui croient à cette esthétique brutale et d’importation qui consiste à broyer la musique sous des tombereaux de vérisme.

Le Théâtre de la Monnaie et ses directeurs se sont grandement honorés en montant l’Étranger avec un soin artistique digne de tous les éloges — peut-être aurait-on pu exiger une mise en scène plus rigoureuse. On doit bien être reconnaissant d’un acte qui, même à notre époque, demeure un acte de courage.

Je ne vois qu’à louer M. Sylvain Dupuis et son orchestre de leur compréhension si précieuse pour le musicien, M. Albert et Mlle Friché ont contribué au triomphe qui a salué le nom de l’auteur. Tout le monde, d’ailleurs, a montré un zèle touchant, et je ne vois pas pourquoi l’on ne féliciterait pas la ville de Bruxelles ?
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E. GRIEG.

M. E. Grieg est ce compositeur Scandinave qui fut si peu gentil pour la France lors de « l’Affaire… ». Dans une lettre en réponse à une invitation de M. Colonne à venir diriger son orchestre, M. Grieg déclara nerveusement qu’il ne voulait plus mettre les pieds dans un pays qui comprenait si mal la liberté… La France dut donc se passer de M. Grieg, mais il paraît que M. Grieg ne peut se priver de la France, puisque aujourd’hui il veut bien… passer l’éponge et les frontières pour conduire cet orchestre français, objet de son mépris Scandinave de jadis… Par ailleurs, « l’Affaire » se meurt et M. Grieg a près de soixante ans ! C’est un âge où doivent nécessairement s’apaiser les colères pour faire place à la douce philosophie du sage, qui contemple le jeu des événements en spectateur qui en a pesé et jugé l’irrésistible force. Et puis, on a beau être Scandinave : on n’en est pas moins homme… Il est dur de se priver de l’enthousiasme que Paris réserve si gentiment aux étrangers, dont plus d’un n’a même pas la valeur sonore de M. Grieg.

J’ai bien cru un moment que je n’allais pouvoir vous donner, sur la musique de Grieg, que des impressions de couleur !… D’abord, le nombre des Norvégiens qui fréquentent habituellement le Concert Colonne s’était accru du triple ; jamais il ne nous a été donné de contempler tant de cheveux roux et de chapeaux extravagants (les modes de Christiania me semblent retarder quelque peu). Puis, le concert avait commencé par la double exécution d’une ouverture intitulée Automne et d’une foule d’admirateurs de Grieg, dont un commissaire de police, plus zélé que mélomane, a envoyé l’enthousiasme prendre le frais sur les quais qui bordent la Seine. Maintenant, craignait-on une attitude contradictoire ?

Il ne m’appartient pas de l’affirmer, mais M. Grieg s’est attiré pendant un instant les épithètes les plus fâcheuses et du même coup je n’ai pu entendre ce morceau, tout occupé que j’étais de parlementer avec de brillants et sévères municipaux.

Enfin ! J’ai pu voir M. Grieg… De face, il a l’air d’un photographe génial ; de dos, une façon de porter les cheveux le fait ressembler à ces plantes appelées « soleil », chères aux perroquets et à ces jardins qui font l’ornement des petites gares de province. Malgré son âge, il est allègre et sec, et conduit l’orchestre avec une minutie nerveuse qui s’inquiète, souligne toutes les nuances, distribue l’émotion avec un infatigable soin.

On peut regretter que le séjour de M. Grieg à Paris ne nous ait rien appris de nouveau sur son art : il reste un musicien délicat quand il s’assimile la musique populaire de son pays, quoiqu’il soit loin d’en tirer le parti que MM. Balakirev et Rimski Korsakov trouvent dans l’emploi de la musique populaire russe. Ceci ôté, il n’est plus qu’un musicien adroit plus soucieux d’effet que d’art véritable. Il paraît que son véritable initiateur fut un jeune homme de son âge, un génie né qui promettait un grand musicien, quand il mourut à vingt-quatre ans : Richard Nordruck. Cette mort est doublement regrettable puisqu’elle priva la Norvège d’une gloire et Grieg d’une influence amicale qui l’aurait certainement empêché de s’égarer dans des chemins perfides… Autre part, Grieg assume un but pareil à « Solness le constructeur » (un des derniers drames d’Ibsen), « bâtir pour les enfants des hommes une maison où ils se trouvent chez eux et heureux… »

Je n’ai trouvé aucune trace de cette belle image dans ce que M. Grieg nous fit entendre hier. Maintenant, nous ne connaissons rien de ses dernières œuvres ? Peut-être sont-elles les « maisons heureuses » dont parle Ibsen ! En tout cas, M. Grieg ne nous a pas donné la joie d’y entrer ; l’accueil triomphal qu’il reçut hier peut le récompenser d’avoir pris la peine de venir en France. Que notre souhait le plus vif soit qu’il nous juge dignes, dans l’avenir, de nous trouver, sinon « chez nous », du moins heureux par sa musique.
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