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Critique de Zebra


Actes Noirs est la collection de romans noirs de la maison d'édition Actes Sud. Cette collection, qui a été créée en 2006, est actuellement dirigée par Manuel Tricoteaux. le roman noir "404 not found" d'Hervé Decca a été publié dans cette collection en 2012.

Né en 1977, Hervé Decca est un écrivain de notre temps : les yeux ouverts, la tête en éveil, encore gonflé à bloc par des idéaux qui l'animent et le portent, Hervé Decca est catastrophé par la tournure que prennent certains événements contemporains, à commencer par notre société qui fait la part belle à la méritocratie, qui fabrique du rêve et fait des exclus, trop d'exclus. Ayant enseigné six ans dans un lycée du Val-de-Marne, Hervé Decca a pu observer, pire, vivre de près le phénomène de l'exclusion qui dans les cités atteint un paroxysme.

Univers de béton, appartements au confort sommaire et aux parois de papier mâché rendant toute intimité et tout repos impossible, les cages d'escalier crasseuses et pleines de graffitis obscènes, les caves humides où règnent de petits trafics, les petites misères frappant hommes et femmes en grande précarité, la plupart au chômage, les factures qu'on ne peut plus payer, les ordonnances qui prescrivent des médicaments de moins en moins bien remboursés, l'individualisme qui pousse chacun à se cloîtrer dans l'ignorance de l'autre, les familles explosées par les divorces, l'absentéisme scolaire qui conduit à un analphabétisme grandissant, les fins de mois difficiles, la télé et la radio à fond afin de s'enivrer d'un pseudo-bonheur peu coûteux, les supérettes à portée des tours de HLM qui regorgent de denrées inaccessibles en dehors des promotions, des gosses désoeuvrés, qui se traitent d'enculés et qui frappent (page 17) pour s'amuser, les grands frères qui dealent en s'appuyant sur quelques petits qui leur servent d'observateurs, les parents qui ne s'essayent plus à la sanction et qui se font convoquer par les professeurs d'établissements scolaires en déroute où l'on trouve péniblement 2 à 3 surveillants pour 2000 élèves, un corps enseignant résigné, peu motivé, effectuant remplacements sur remplacements, épuisé par un quotidien où la bêtise et la violence règnent en maître (page 36, on s'adresse au prof par la formule "Tu m'espionnes ou quoi?"; page 37, sa propre mère "Elle me saoule, cette vieille conne"; page 41, le petit frère "Une petite frappe qui trafique, qui tague les murs en faisant des fautes"), un univers où la fille est l'honneur de la famille ... alors on la protège, pour son bien, et si elle désobéit (page 70) on la frappe. le Coran, mon frère! Et la violence (page 80) ? On la filme depuis son téléphone portable.

La cité, les commerçants la fuient, les bus l'évitent de peur de prendre des caillasses dans le pare-brise (page 70, "Mon titre de transport? Un doigt, la voilà ma carte orange!") et les policier y constatent la profusion des zones de non-droit. La cité est donc le théâtre d'une enquête qui va pousser l'inspecteur Arénas, Dorothée, son adjointe, et Bonnal, un flic ripoux aux pratiques fascistes et à la limite de la légalité, à la poursuite de Déborah Brahmi, une adolescente de 15 ans qui apparaît en petite tenue sur un blog largement visité par des personnes parfois assez mal intentionnées. le roman est très noir et l'enquête assez accessoire : le livre est un prétexte à filmer la banlieue dans toute sa réalité en mettant l'accent sur ces jeunes gens qu'on prive de tout horizon, scolaire, culturel et social et qui, pour certains d'entre eux, sont tiraillés entre le bled et l'inaccessible modernité, faute d'argent.

Bon, la banlieue (page 88), c'est pas comme à la télé! Il n'y a pas de tortionnaires, et les pères ne sont pas tous absents. Certains gosses arrivent à s'en sortir quand d'autres "feraient n'importe quoi (page 161) pour monter en grade". L'orientation par défaut (page 230) permet de donner un métier à quelques-uns, même si les consignes du rectorat ou de l'académie ne constituent pas une incitation à l'excellence. Au-milieu des profs qui "gèrent", il y en a certains qui préfèrent démissionner : Hervé Decca en avait trop vu et il avait trop souffert de ne pas pouvoir faire avancer les choses dans la bonne direction et au bon rythme. Ne le cherchez pas : il est aux abonnés absents ("Error 404. Not found").

Ce livre est un chef-d'oeuvre. Les personnages ont un caractère bien trempé, le style est vif, la langue est rude et fait mal comme des coups de canifs, le suspense reste constant ... Je recommande !
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