Et la vague a tout emporté...

Au moment d'ouvrir « Et la vague a tout emporté... », je me suis demandé si, alors qu'on se souvient encore tous nettement des vidéos glaçantes du drame, il n'était pas encore trop tôt pour le mettre en scène dans une fiction. Mais Louise Decoster a estimé que non. Après lecture, peut-être, au contraire, était-il nécessaire de ne pas permettre son oubli. Les zones sinistrées ont depuis longtemps retrouvé leur allure de carte postale, mais à quel prix ? Tout ce qui était à redouter au lendemain de la catastrophe a eu lieu, les promoteurs se sont jetés sur les terrains, d'énormes inégalités dans la distribution des aides ont laissé de côté des communautés entières...

Ce dont Léonie et Marco sont loin de se douter lorsqu'ils débarquent sur place pour quelques jours de vacances sur les traces des lieux de tournage de leur film préféré, celui grâce auquel ils se sont rencontrés. On a beau avoir lu le résumé et savoir que le rêve va se transformer en cauchemar, la plume de l'autrice nous emporte à leurs côtés. Même sans avoir vu le film en question, leur enthousiasme nous contamine, et les descriptions peignent un décor idyllique. Toute la première moitié du livre, c'est ça. du tourisme. Ça peut sembler long, mais le contraste entre cette période d'insouciance et la suite n'en apparaît que plus brutal. On avait beau savoir, les chapitres ont beau être datés, le déni avait eu largement le temps de s'installer.

Décrire une telle catastrophe de l'intérieur est un exercice périlleux, avec un risque élevé de se planter. Certains voudront une fidélité et une exactitude à toute épreuve, qu'il est difficile d'atteindre avec ce genre d'histoire. Alors sans doute est-il plus facile de se souvenir qu'on n'est pas en train de lire un documentaire et arrêter de réfléchir dès qu'on commence à se demander s'il est vraiment possible de survivre de la façon dont le fait Léonie. Une petite recherche faite après coup m'a confirmé que non.

Bref, si, dans la vraie vie, Léonie serait morte, dans le monde merveilleux (c'est relatif) des livres, elle s'en sort, certes un peu amochée, et l'on traverse avec elle les premières heures qui suivent la catastrophe. L'hébétude. le chaos. L'espoir et le désespoir. le meilleur et le pire de l'être humain. Pour quelqu'un qui n'y était pas et ne connaît rien au sujet, impossible de démêler ce qui, là-dedans, est tiré de la réalité, extrapolé ou purement inventé. Mais une chose est sûre, le récit est immersif. La profusion de détails, celle-là même grâce à laquelle on voyageait quelques pages plus tôt, rend le tout crédible. On a l'impression de vivre les faits à travers les cinq sens de Léonie.
Et, finalement, c'est tout ce qui compte.
Quant à l'optimisme kitsch du résumé, rassurez-vous, ça concerne surtout l'épilogue, et là encore, ça apparaît comme une suite logique, sans sortir de nulle part. Ouf ! On tiquera davantage sur la prémonition ou l'histoire des date des naissance identiques, qui n'étaient vraiment pas nécessaires et cassent, justement, la cohérence et l'aspect réaliste de l'histoire.

Qu'est-ce qu'on bon livre ? Il y a les très rares livres sans défauts, mais pour moi, les vrais bons livres, ce sont surtout ceux qui parviennent à donner envie d'oublier les leurs. Ce n'est pas qu'on ne voit pas les couacs, c'est qu'on choisit de les ignorer tellement on kiffe. Vous l'aurez compris, c'est précisément ce qu'il s'est passé ici. Grâce à se précision, la plume de Louise Decoster parvenue à museler la partie « oui mais... » et « pssst, j'ai un doute » de mon cerveau pour ne laisser que le plaisir de savourer une histoire. Et ça, ça n'arrive pas souvent.

(J'aurais sans hésiter mis 9/10, mais le fait de savoir qu'il y a au moins une grosse inexactitude me pousse à descendre à 8. Donc, si vous ne souhaitez pas lire le livre, pour info : il est absolument impossible de survivre à un tsunami en se réfugiant dans une piscine. Voilà. En cas de besoin, vous aussi vous saurez. )