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Citations sur Sur les bords de la Gartempe (7)

Blanche et René se marièrent le même jour.

De mémoire de Vierzonnais, on n'avait jamais vu ça : un frère et une soeur descendre ensemble les marches de l'église. Tout le monde savait que cela portait malheur. Mais l'amour de Blanche pour son frère René était si grand qu'elle avait fait fi de toute superstition. Et c'est le coeur débordant de joie qu'au bras de Léon, son mari, elle était sortie de l'église en prenant bien garde, toutefois, de ne pas être en avant de sa jolie belle-soeur, car il ne fallait quand même pas tenter le sort.
Rien de plus gracieux que ces deux jeunes épousées chacune amoureusement accrochée au bras de l'homme qu'elle avait choisi. Ce fut aussi l'avis de la foule qui, massée sur le parvis de l'église, cria d'une voix unanime : "Vive les mariés!... Vive les mariés!..."
Emilia, qui venait d'avoir dix-huit ans, était ravissante, enveloppée de dentelles blanches, son front lisse couronné de fleurs d'oranger, le visage rose de plaisir levé vers René avec un regard de félicité enfantine, René, beau garçon très mince, le teint pâle, la contemplait avec cette satisfaction un peu niaise de l'époux comblé.
Bien différent était l'autre couple : Blanche, vêtue de satin, toute concentrée sur son amour qui lui donnait un air grave, un peu mélancolique, s'appuyait d'une main timide sur cet homme à peine plus grand qu'elle, au front déjà dégarni, au fin visage qu'animaient deux yeux sombres et intelligents.
(Les enfants de Blanche)
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- Tu verras cet été-là ne sera pas comme les autres.

Qui disait cela tout à l'heure à la récréation? La grosse Marie-Josèphe ou la petite Marie-Thé, les deux inséparables? J'ai souri, car les étés dans ce coin du Poitou, quand on a quinze ans, se ressemblent tous : baignades, pique-niques, bals dans les assemblées sous le regard des parents ou des soeurs aînées, travaux des champs pour celles qui vivent à la campagne, le cinéma une fois par semaine où les films les plus récents ont cinq ou six ans. Même chose pour le programme d'actualités, ce qui provoque immanquablement les rires de la salle, qui découvre ainsi les incohérences de ceux qui nous gouvernent et la relativité des choses humaines, plus deux ou trois visites à la ville la plus proche, Poitiers ou Limoges,et, pour les plus favorisées, un séjour à la mer ou à la montagne.
(Le cahier volé)
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- Que veut-elle cette belle enfant?, disaient-elles en me pinçant la joue ou en me caressant les cheveux.
- Quels beaux cheveux!
Je demandais toujours un livre, car je savais par expérience que la visite pouvait se prolonger et que je ne devais pas bouger sous peine de me faire gronder.
Après un moment d'hésitation, on sortait du bas d'une armoire ou d'une bibliothèque d'énormes volumes reliés de L'Illustration ou du Petit Parisien. Je dois à ces journaux de la fin du siècle dernier mes plus beaux cauchemars d'enfant. Les couvertures violemment coloriées n'étaient que scènes d'horreurs, de tueries ou de catastrophes.
Je me réveillais en sursaut devant les têtes fraîchement coupées d'Annamites rebelles, ou les flammes qui enveloppaient les premières communiantes se propageaient à moi, ou un anthropophage me tendait un bras saignant à manger, ou l'explosion détruisant le navire me projetait à la mer, ou le tueur de la rue Monge levait sur moi son couteau dégouttant du sang de ses précédentes victimes, ou j'étais broyée par les anneaux d'un serpent géant, attachée sur une fourmilière et dévorée vivante.
(Blanche et Lucie)
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L'amour? C'est ce qui manque le plus aux enfants. Même les plus tendrement aimés ne le sont jamais assez. Une fois devenus grands ils chercheront, dans une interminable quête, à combler ce vide, sans jamais réussir à assouvir leur désir. D'où leur mal de vivre. Les grandes personnes peuvent composer, compenser, les enfants jamais. Tout ce qui leur arrive est immédiatement ressenti, même s'ils n'en montrent rien. Leur pouvoir de dissimulation concernant leurs émotions est immense et l'on découvre, quelquefois des années plus tard, la marque irrémédiable d'un geste, d'une parole. C'est trop tard, le mal est fait et rien ne peut l'effacer.
(Blanche et Lucie)
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Je dois à Lucie ma passion des livres. Lucie avait toujours un livre dans la poche de son tablier. Et, quand elle allait aux champs garder les vaches, accompagnée de son grand chien noir, elle s'asseyait au pied d'une haie, à l'écart souvent des autres femmes. Elle sortait de sa poche une de ces petites publications mal imprimées, à vingt centimes, à la couverture illustrée, et se perdait dans sa lecture. Ces petits livres avaient été lus et relus. Ils étaient sales, déchirés, usés. Dans les greniers à grains de la ferme, il y avait des "maies", de grands coffres pleins de livres d'où sortait une odeur de moisi quand on en soulevait le couvercle. Leur découverte a été pour moi un des moments les plus extraordinaires de mon enfance. Toute la littérature était là : la pire et le meilleure. Victor Hugo et Paul Féval, Lamartine et Zévaco, Balzac et Georges Ohnet, Jules Verne et Xavier de Montépin, George Sand et Delly, Voltaire et Léo Taxil, Zola, Daudet, Gautier, Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Gyp, Rachilde, Dumas... J' ai lu par dizaine des romans d'amour larmoyants, de rocambolesques romans d'aventures. Lucie les avait tous lus, tous dévorés. Bien sûr, elle ne lisait pas autant qu'elle le voulait, la vie de la terre était dure en ce temps-là. Il fallait s'occuper de bêtes et des hommes. Les bêtes passaient toujours avant les hommes. Les femmes venaient bien après.
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Blanche et Lucie, mes deux grand-mères, étaient très jolies.
Blanche avait des cheveux châtains, des yeux bleus, très pâles. Sa mère l'avait abandonnée, quand elle avait trois ans, pour suivre l'homme qu'elle aimait. De ce temps, Blanche a gardé le souvenir d'un grand froid. Du froid de la glace qu'il fallait casser pour se laver, dans le sinistre pensionnat d'une petite ville de l'Est.
Blanche ne s'est jamais consolée d'avoir été abandonnée par sa mère. Plus tard, bien plus tard, sa mère est revenue. Mais toute sa tendresse ne put venir à bout de la froideur de Blanche.
Lucie est une paysanne. Elle est rousse. Sa peau est blanche sans taches de rousseur. Elle a un grand rire. Ses yeux sont bleus, bleus comme le ciel du Poitou un jour d'été, de bel été. Lucie, c'est la vie. Lucie, c'est la terre. Lucie, c'est le désir. Son appétit des choses et des gens la rend invulnérable.
Blanche, de par son milieu, est une petite bourgeoise, un peu guindée, qui se tient très droite dans son corset, la tête haute, le regard fier. Sa bouche est cependant sensuelle. Son regard émeut par l'inquiétude qu'on y lit. Blanche fait partie de celles dont on ne parle pas, bien qu'elle soit belle. Son maintien est modeste et altier à la fois, mais elle reste en deçà de son apparence, en deçà d'elle-même.
Lucie éclate. Blanche retient.
(Blanche et Lucie)
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J'ai de la guerre des souvenirs mélangés et contradictoires. J'ai le souvenir d'étés radieux, pleins de joies et de jeux. De longs séjours heureux chez Lucie. Parallèlement, quand je pense à cette période, c'est le froid que je retrouve. Les hivers furent-ils si froids dans le Limousin et les étés si chauds dans le Quercy? Pendant quelques mois, nous avions habité Paris. La guerre nous poussa, comme tant d'autres, sur les chemins de l'exode. Nous prîmes, maman, ma soeur et moi un des derniers trains quittant la gare d'Austerlitz pour aller nous installer chez Blanche. J'avais l'impression de revenir chez moi.
(Blanche et Lucie)
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