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Critique de Woland


Né le 19 juillet 1834 à Guengat et mort aux portes de l'Hospice de Quimper, le 29 août 1905, Jean-Marie Déguignet était le fils d'un fermier qui, tombé dans la misère peu après la naissance de ce fils, dut louer ses services à d'autres fermiers, dans la région d'Ergué-Gaberic.

Pour aider sa famille, le petite Jean-Marie exerça très tôt le métier de mendiant, c'est-à-dire qu'il allait mendier du pain et des restes de nourriture chez les paysans plus aisés, leur promettant en échange de prier pour eux, ce que, conformément à l'usage du temps, il commençait à faire sur le champ. En ce temps-là, on croyait que les prières des jeunes enfants mendiants apportaient plus de grâces en paradis à ceux pour lesquels ils priaient.

Enfant timide mais extrêmement intelligent, voire surdoué comme on dirait probablement de nos jours, le petit Jean-Marie, tout en étant heureux de pouvoir aider ses parents, comprit très vite toute l'hypocrisie du procédé. Ceux qui donnaient pain et restes à l'enfant ne le faisaient pas par charité : comme Victor Hugo l'écrit dans ses "Misérables", ils "s'achetaient un peu de paradis."

C'est probablement dans cet étrange métier que lui imposait l'instinct de conservation que l'on doit rechercher les racines du formidable rejet de la religion, particulièrement chrétienne et catholique, que Déguignet manifestera jusqu'à son dernier jour.

Dès qu'il le put, l'adolescent opta pour la profession de vacher, à la ferme-école de Kermahonet en Kerfeunteun. La soif de connaissance le tourmentait déjà depuis belle lurette puisqu'il avait appris à lire breton et latin dans ... les livres de messe. Wink

A Kermahonet, il s'attaqua à la langue des "envahisseurs" : le français. Et il s'en tira très bien, sa monumentale "Histoire ..." le prouve amplement.

De nos jours, il paraît tout naturel de parler français. Mais si l'on replace les faits dans le contexte des années 1840/1850, il faut rappeler que, à cette époque, les Bretons n'étaient pas les seuls à ne pas savoir parler français. Dans d'autres provinces du pays, on se heurtait au même phénomène. C'est la IIIème République - honnie elle aussi par Déguignet Wink - qui, avec ses "hussards noirs", parviendra peu à peu à faire du français la langue-reine de notre pays.

Pour l'instant, revenons à 1854, date de l'engagement de Déguignet dans l'armée de Napoléon III. Il va y rester 14 ans et y deviendra même sous-officier. Il ira en Crimée, en Palestine, au Mexique (où il apprendra l'espagnol), en Italie (où il apprendra l'italien), en Kabylie (où il remarquera, non sans raison, une ressemblance prononcée entre la prononciation de certaines lettres bretonnes et celle de certains caractères arabes).

Quand il est démobilisé, il regagne la Bretagne. Il avait de belles économies mais il semble être tombé plus ou moins amoureux de la fille d'une fermière ruinée. Pour se marier, il reprit le bail de sa belle-mère et travailla donc comme fermier pendant quinze ans pour le compte d'un hobereau breton qui ne devait par la suite lui avoir aucune reconnaissance des bons soins donnés à la propriété.

Après la mort de sa femme dans une crise de delirium tremens, Déguignet, qui se retrouvait veuf avec trois enfants, put se faire donner un petit bureau de tabac. Mais ce bureau se trouvait sur le territoire très clérical du curé de Pluguffan et celui-ci, que les théories athées et anarchistes de Déguignet portaient, à chaque fois que les deux hommes se croisaient, aux limites de l'apoplexie, fit tout pour boycotter le nouveau débitant.

Vaille que vaille, Déguignet tint bon quelques années et puis, il se lassa, loua à son tour son bureau de tabac et s'en fut à Quimper. Lorsqu'ils avaient eu l'âge de travailler, ses enfants avaient été récupérés par leur famille maternel et le malheureux se retrouva dans la misère la plus absolue, dans un "trou" infect qui, pendant que je lisais ses mémoires, m'a évoqué celui dans lequel meurt la Gervaise de Zola.

Indomptable, inclassable, déclassé, vraisemblablement atteint d'une forme de paranoïa que les malheurs rencontrés dans l'existence n'avait fait que renforcer, mais toujours doté d'un esprit analytique et d'une soif de connaissance tout bonnement incroyables, Déguignet vivota là-dedans, fréquentant aussi la bibliothèque municipale de Quimper, lisant les journaux, discutant, rédigeant des lettres d'insultes à ceux qui le persécutaient, se rendant impossible à certains mais refusant de perdre une seule miette de sa dignité.

On le trouva mort à la porte de l'Hospice de Quimper, le matin du 29 août 1905.

Il laissait derrière lui une montagne de feuillets dont il avait écrit que, si lui n'en tirait aucun bénéfice, il en serait tout autrement pour ceux qui viendraient après lui. Il ne se trompait pas : aujourd'hui, son "Histoire ..." est traduite jusqu'en Russie. ;o)
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