OUÏ DIRE
Chant royal
Le poète de profil
Le poète à l’équerre de corps et d’ombre sur les seuils
Le poète Gulliver qui retrace un roncier d’hiver avec la
pointe de Hopkins
Ou décroît pour accorder l’herbe au zodiaque avec
compas de Gongora
Génie des contes perses car il refuse l’indifférence
Il entretient la lymphe bleue dans le réseau des ormes
Veille zêta epsilon delta d’Orion sur la branche basse
Œil triple posé de witch 1 witch 2 witch 3
qui s’envole constellation subtile de corbeaux
Il est ici pour inventer quelque chose d’aussi beau
qu’un mot saxifrage inventé par personne
S’il cherche un trésor il le trouve
(Imagine un poisson cherchant un poisson dans
l’obscurité des mers…)
p.93
OUÏ DIRE
Bleu gris peu de couleur permis au ciel
Permises à la terre mais variées dans les bornes
Je viens de voir passer les canards stochastiques
Silence aux castagnettes du pommier
L'automne où refroidit le corps
Il corrompt ses oronges aux fanges des vicinales
Du seuil d'où il y a, qui encadre le champ
Il buissonne de roux le houx qui résiste
Et laisse s'assombrir les troncs osmotiques
p.135
Écus de lumière au fond des ruelles leurs dernières
oriflammes
Le non sens de regarder dans la fête absente
Un visage oblong
Forceps du temps au coin des yeux
Boucles d’acacias
Les voix ne parviennent
Mouvement des murs comme les bateaux se volent
La visibilité dans le port
p.137
TOMBEAU DE DU BELLAY
Coup de silence
la distance détale
Écho de sans bruit
le premier cri rejoint la douleur décalée
décapitée lucide
Le printemps dégorge un froid miocène
Déjà l'été courcit le jour
Et le retard annonce
Et le premier succède
p.286
OUÏ DIRE
Moraine bleue dans le glacier du soir
La vigne rentre sous le vert, le bleu reprend le ciel, le
sol s'efface dans la terre, le rouge s'exhausse et absorbe
en lui les champs de Crau. Les couleurs s'affranchissent
des choses et retrouvent leur règne épais et libre avant
les choses, pareilles à la glaise qui précédait Adam
Le saurien terre émerge et lève mâchoire vers la lune,
les années rêveuses sortent des grottes et rôdent
tendrement autour de la peau épaisse Falaise se redresse,
Victoire reprend son âge pour la nuit. Les nuages même
s'écartent, les laissant
En hâte quittée cette terre qui tremble ils se sont
regroupés dans la ville, bardée de portes.
p.134
Lecture par Anna d'Annunzio
Entretien avec Philippe Rey & J.M.G. le Clézio (en duplex des Etats-Unis)
Entretien animé par Julien Viteau
« La poésie de Jean Fanchette est exigeante, elle est authentique dans chacune de ses paroles, dans la richesse de son rythme, la valeur de ses mots. Il n'est pas indifférent que dans le monde moderne, imbu de théorie et assourdi de certitudes, ce soit cette voix très ancienne, qui charrie toute la complexité et l'originalité de la culture mauricienne, il n'est pas indifférent que ce soit cette voix-là qui nous donne foi dans la poésie. »
J. M. G. Le Clézio
L'Île Équinoxe, anthologie poétique de Jean Fanchette, (Île Maurice 1932 – Paris 1992) poète, éditeur et neuro-psychanalyste rassemble, selon le plan laissé par avant sa mort, les différents recueils composant son oeuvre poétique. Empreints de rigueur formelle, ces écrits disent la nostalgie de l'île d'origine, abandonnée très tôt pour la patrie d'exil : « Je ne suis pas d'ici. Je ne suis plus d'ailleurs. » Cet arrachement ne laisse plus au poète qu'une « identité provisoire ». L'Île Équinoxe est traversée par la voix vibrante d'un homme qui, grâce à l'aventure du poème, peut se réapproprier un monde perdu.
« Je suis debout dans la trouble lumière
Arrimé à de petites choses, une odeur, une couleur
L'odeur du vent traverse l'espace salé de la lagune qui habite en moi,
Qui bat dans mon sang vagabond d'hémisphères »
L'Ile Equinoxe : Poèmes 1954-1991, Jean Fanchette
À lire – Jean Fanchette, L'Île Equinoxe, (préface de J.M.G. le Clézio, postface de Michel Deguy), réédition chez Philippe Rey, 2023.
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