Voler en éclats
La secousse donne à penser. La chose est son mot. Tout ce vocable entouré de sa
parenté proche et de son immense progéniture. La provenance de tous ses bâtards
lexicale et contextuelle, postérité abrahamique de toute langue (que le langage
ensemença) jusqu’aux générations futures, la nôtre, fait la chose : ce que « secousse »
veut dire, comme on dit.
Langue pensive bien pendue, par le mot lui-même ; autrement dit par son
« étymologie » au sens le plus extensif, lui-même figuré / figurant, accompagné de ses
homonymes, synonymes, paronymes, antonymes, pseudonymes : la « signifiance ».
La secousse sur son échelle de Richter, le séisme ; l’« enfant secoué », tous les traumas ;
l’émotion qui coupe le souffle. Après tout (avant tout) mon titre récent, La Vie subite,
suggère : ça secoue ; on aimerait que le poème fût secouant…
Secouer de sa torpeur ; tirer du sommeil dogmatique ; irruption, interruption, disruption.
Au commencement est l’explosion. Anagramme du fiat et du fait.
Le coup secoue. La relation du coup à la secousse, suivie au labyrinthe par le fil du
parler, nous retient. Les locutions abondent au Larousse : coup de génie, coup bas, de
foudre, d’état, de semonce, de grâce, de théâtre, de main, de gueule, de balai, de filet, de
plumeau, de grisou… Être dans le coup ; tenir le coup ; penser à coups de marteau ; se
couper…
Je commencerai par le premier ; l’incipit divin pour certains ; le grand coup :
Le Grand Coup
à Hubert Reeves
De l’explosion est sortie la matière.
De la matière la vie ; de la vie, la pensée.
De la pensée, la science.
De la science, la défaite, puis l’effacement, de la pensée.
Et peut-être la fin de la vie…
Imagine « toi » à xⁿ années-lumière
Sortant dans le Noir éternel et la « matière noire »
Il n’y a rien à voir C’est la fin
de la phénoménologie
En quoi donc alors cette affaire cosmique nous intéresse-t-elle ?
Quelle relation entre tout ça, que l’astrophysicien nous expose
avec ses rapprochements à lui
et notre poème-crayonné ici, ici-bas, ici rien ?
L’universel de cet Univers nous aide-t-il en quoi que ça soit
à formuler notre universel philosophique ?
Pourquoi est-ce toujours aussi ennuyeux de mourir ?
Lecture par Anna d'Annunzio
Entretien avec Philippe Rey & J.M.G. le Clézio (en duplex des Etats-Unis)
Entretien animé par Julien Viteau
« La poésie de Jean Fanchette est exigeante, elle est authentique dans chacune de ses paroles, dans la richesse de son rythme, la valeur de ses mots. Il n'est pas indifférent que dans le monde moderne, imbu de théorie et assourdi de certitudes, ce soit cette voix très ancienne, qui charrie toute la complexité et l'originalité de la culture mauricienne, il n'est pas indifférent que ce soit cette voix-là qui nous donne foi dans la poésie. »
J. M. G. Le Clézio
L'Île Équinoxe, anthologie poétique de Jean Fanchette, (Île Maurice 1932 – Paris 1992) poète, éditeur et neuro-psychanalyste rassemble, selon le plan laissé par avant sa mort, les différents recueils composant son oeuvre poétique. Empreints de rigueur formelle, ces écrits disent la nostalgie de l'île d'origine, abandonnée très tôt pour la patrie d'exil : « Je ne suis pas d'ici. Je ne suis plus d'ailleurs. » Cet arrachement ne laisse plus au poète qu'une « identité provisoire ». L'Île Équinoxe est traversée par la voix vibrante d'un homme qui, grâce à l'aventure du poème, peut se réapproprier un monde perdu.
« Je suis debout dans la trouble lumière
Arrimé à de petites choses, une odeur, une couleur
L'odeur du vent traverse l'espace salé de la lagune qui habite en moi,
Qui bat dans mon sang vagabond d'hémisphères »
L'Ile Equinoxe : Poèmes 1954-1991, Jean Fanchette
À lire – Jean Fanchette, L'Île Equinoxe, (préface de J.M.G. le Clézio, postface de Michel Deguy), réédition chez Philippe Rey, 2023.
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