2. Généalogies.
ROI SOLEIL
Quand le roi se levait de bonne heure
Marchait au fond dans l'eau du matin
Le scaphandre aux souliers de soie
Longe les combles poissonneux
Hante les palais démâtés.
Dans l'aube dorée sans courant
Luit un banc d'ardoises squameuses
La vase et l'épave le roi rêve
De les quitter si haut qu'il connaisse
À l'autre bord du jour transparent
Le pêcheur rouge penché qui verse
Au fond ses hameçons de lumière
p.57
Alluvion des cris Minerai d'hirondelles
Dans le delta du vent les plissements du vent
La trembleraie bleuit
Le pouls de l'étang bat
Toutes les trois heures un poème
Devient nouveau puis se ternit
Sous la lecture Recroît dans le silence
2. Généalogies.
LIBERTÉ
Mais torsion de la vie, liberté, identique à flo-
raison exubérance venin, liberté négroïde, con-
vulsion des hommes jeunes inventeurs en plus
rapide de fleurs et de nuages incessants, liberté
feu, la flamme qui jette en avant dans d'impré-
visibles courts-circuits de déterminisme, et qui
te laisse juste en deçà du seuil d'un destin.
p.61
3. Les jumeaux.
L'EFFACEMENT
Ton visage redevient chat ; tout se décompose
et remonte le millénaire. Tes dents se lèvent
comme aube boréale, et ta face un grand décor
originel.
De si près — indéchiffrable autant que l'en-
semble, un étrange moment durant, évanouie la
tardive beauté.
Lionne à crinière de saule, lionne
La vie se dissipe.
Nus sous le grand igloo
p.99
3. Les jumeaux.
TOI
Si près de moi, là où je ne veux pas être, tu
te tiens trop souvent.
C'est par la peur que tu n'es pas au monde,
et moi par l'insouciance et la hardiesse.
Laisse-moi ! Je me rassemble dans la fuite,
trouve mon lieu dans l'accident, et je hais le
tort réciproque.
La nuit le cœur comme un boiteux le cœur
veut errer seul,
Le revenant fondamental.
p.97
Lecture par Anna d'Annunzio
Entretien avec Philippe Rey & J.M.G. le Clézio (en duplex des Etats-Unis)
Entretien animé par Julien Viteau
« La poésie de Jean Fanchette est exigeante, elle est authentique dans chacune de ses paroles, dans la richesse de son rythme, la valeur de ses mots. Il n'est pas indifférent que dans le monde moderne, imbu de théorie et assourdi de certitudes, ce soit cette voix très ancienne, qui charrie toute la complexité et l'originalité de la culture mauricienne, il n'est pas indifférent que ce soit cette voix-là qui nous donne foi dans la poésie. »
J. M. G. Le Clézio
L'Île Équinoxe, anthologie poétique de Jean Fanchette, (Île Maurice 1932 – Paris 1992) poète, éditeur et neuro-psychanalyste rassemble, selon le plan laissé par avant sa mort, les différents recueils composant son oeuvre poétique. Empreints de rigueur formelle, ces écrits disent la nostalgie de l'île d'origine, abandonnée très tôt pour la patrie d'exil : « Je ne suis pas d'ici. Je ne suis plus d'ailleurs. » Cet arrachement ne laisse plus au poète qu'une « identité provisoire ». L'Île Équinoxe est traversée par la voix vibrante d'un homme qui, grâce à l'aventure du poème, peut se réapproprier un monde perdu.
« Je suis debout dans la trouble lumière
Arrimé à de petites choses, une odeur, une couleur
L'odeur du vent traverse l'espace salé de la lagune qui habite en moi,
Qui bat dans mon sang vagabond d'hémisphères »
L'Ile Equinoxe : Poèmes 1954-1991, Jean Fanchette
À lire – Jean Fanchette, L'Île Equinoxe, (préface de J.M.G. le Clézio, postface de Michel Deguy), réédition chez Philippe Rey, 2023.
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