AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Tachan


Depuis que j'ai rencontré la plume riche de Jean-Laurent del Socorro sur Royaume de vent et de colère, il est devenu l'un de mes auteurs de fantasy historique préférés. Il ne pouvait pas me faire plus plaisir en revisitant avec autant de poésie, d'émotion et de sens la légende de Morgane Pendragon, personnage féminin haut en couleur de l'épopée arthurienne.


Pour ses précédents titres, l'auteur avait fait confiance à l'éditeur ActuSF. Je ne sais pas par quelle force des choses il a changé de crèmerie pour Albin Michel Imaginaire, ni pourquoi ceux-ci ont révisé leur charte graphique sur ce titre, mais la réunion des deux donne un ouvrage à couverture sombrement captivante, signée Didier Graffet. Merci !

Depuis toute petite, la légende arthurienne et la magie de Merlin m'ont toujours émerveillée et emportée. J'ai donc été ravie de retrouver ici une nouvelle interprétation de ces mythes et légendes, surtout sous la plume puissante et poétique, lente et entêtante de Jean-Laurent, qui ici prend bien plus le temps de développer son imaginaire et de nous faire dériver sur les rives de légendes que l'on croyait sûrement tous bien connaître. Et pourtant...

La légende d'Arthur, c'est en général celle de ce roi, cet homme, mais l'auteur, lui, a pris un parti pris radical : et si ce n'était pas Arthur, l'enfant d'Uther, mais Morgane et si c'était elle qui avait réussi à soulever Excalibur et ainsi à devenir reine de Logres. Parti de là, l'auteur nous propose une toute autre version d'une histoire pourtant bien connue et c'est un délice de retrouver ces figures et lieux connus, ces hauts faits, ces trahisons, ces batailles et ces exploits sous un autre jour, avec une autre dimension. J'ai pris énormément de plaisir à recroiser maints noms croisés au cours d'autres lectures et à découvrir ces figures dans un nouveau contexte, tout aussi riche que le précédent mais orienté différemment.

Jean-Laurent del Socorro aime écrire des personnages marquant, en quête d'émancipation et face à des responsabilités qui les dépassent. C'était déjà le cas de sa Boudicca, autre figure de légende britannique qui m'avait émue, il récidive avec Morgane. Avec elle, nous suivons dans une Grande Bretagne primitive revisitée, plus libre, où les esprits ont encore une place bien que celle-ci se perde face à la montée récente du christianisme, le portrait d'une femme qui va prendre le pouvoir et tout faire pour le garder. C'est entêtant de la suivre dans ce lent et long parcours insidieux plein de chausses-trappes. L'auteur y mêle son histoire de femme, d'amante d'Arthur (qui se serait bien vu Roi à ses côtés) et de Reine. Tout est décrit avec minutie et poésie pourtant. Il nous fait ressentir à merveille poids de cette charge et des décisions qu'elle implique, ce qui est souvent tragique. On a donc de la peine pour cette femme dont le statut, alors qu'elle est a priori toute puissante comme Reine et non enfermée par son genre féminin, la clôt au sol et l'oblige à tant de sacrifices.

Le mythe arthurien ou plutôt morganien de del Socorro n'est donc pas celui d'une épopée mais celui de la constitution d'un royaume qui cherche à garder son identité et ses racines malgré les attaques extérieures et intérieures. J'ai aimé le souffle légendaire cependant qui agitait ma lecture. C'était merveilleux de recroiser ces personnages de légende comme Arthur, Merlin, Lancelot, Guenièvre, Gauvain, Méléagant, Yseult, Tristan et j'en passe. L'auteur leur a donné une autre matérialité derrière la légende, il les a rendu bien plus humains que dans nombre de récits que j'ai lu. le choix de les faire évoluer dans une société aussi ouverte que cette Grande-Bretagne primitive où les mariages entre femmes étaient possibles, tout comme leur adoubement, est fort intéressant. On assiste ainsi à une série de relations très différentes de l'amour courtois qu'on avait l'habitude de nous conter et j'ai trouvé cela bien plus riche, moderne et intéressant. Ça parle d'amour libre, de polyamour, d'enfant hors mariage, de divorce/séparation,... Incroyable dans un tel contexte ailleurs qu'ici. de même que le fait que la magie soit à la fois présente et effacée, sur le point déjà de disparaître car en lutte avec de nouvelles croyances, est un thème fort et puissant, très intime également, qui marque. Ce n'est pas la légende que je connaissais et tant mieux.

Ainsi, j'ai aimé suivre cette histoire différente où de temps en temps je recroisais, un nom, un lieu, un fait connu par la légende classique mais réécrit différemment. J'ai aimé assister à la rencontre de Morgane et Arthur avec les futurs chevaliers de la Table ronde, avec leurs parents, rois et reines de royaumes voisins, cela donnait une toute autre aura au récit. C'était doux et courtois de suivre leurs amours contrariés ou réussis, s'assister aux mariages et alliances des uns et des autres, puis aux trahisons et secrets qui venaient gâcher de beaux projets, car après tout, ce sont avant tout des hommes et des femmes. La magie se fait ainsi assez discrète en dehors de Merlin, Viviane, du père d'Elaine et quelques artefacts (les épées magiques), elle est plus là en tant que croyance et parfois malédiction que puissance et sortilège. Elle vient souligner une ère à l'aube de changements, changements matérialisés aussi par le destin tragique de ses héros qui m'a tant emportée. Ô comme j'ai aimé cette surprise de l'histoire de cette nouvelle Morgane et ce nouvel Arthur.

Certains pourront ne pas apprécier ce rythme bien plus lent et entêtant, moins gouailleur ou épique que ce qu'ils auraient pu attendre de l'auteur ou du décor légendaire de l'oeuvre. Moi, j'ai adoré. J'ai au contraire trouvé cela plus intéressant, plus profond. J'ai aimé suivre la construction de cette figure de Reine de légende et de femme prête à tous les sacrifices. Je reprocherai même plutôt à l'oeuvre son accélération finale qui a un peu rompu le charme en précipitant les événements qui amène à la fin de son règne, les rendant moins percutant, moins profond, notamment avec ces personnages introduits tardivement, trop survolés par rapport à leurs aînés alors qu'ils sont fascinants par la rébellion qu'ils mènent et le modèle qu'ils rompent. Cependant, le récit bien plus historique que légendaire de cette Grande-Bretagne en construction faite d'alliances et mésalliances autour de Logres et Camelot, et surtout autour de la question centrale de la foi : entre croyances ancestrales et nouveauté chrétienne, est vraiment ce qui fait de cette relecture quelque chose d'unique pour moi.

Ainsi plus qu'une énième interprétation d'une légende arthurienne qu'on connaît déjà, Jean-Laurent del Socorro en prenant quelques marqueurs forts vient tordre celle-ci est nous montrer la puissance du récit du vainqueur, du récit écrit par un homme, du récit écrit par quelqu'un possédant une autre croyance. Il déconstruit ce qu'on croyait connaître sur cette légende pour le remplacer par sa propre histoire lors d'un "Et si..." terriblement réussi et convaincant où on a envie de croire que oui, c'est Morgane qui a été Reine et qui a fait oeuvre de génie avec cette invention de la Table ronde et son désir de pacification et de diplomatie avec ses voisins. Récit féministe, récit offrant une main tendue à l'autre mais récit dramatique aussi sur le destin d'une femme qui s'est effacée longtemps derrière le rôle que le destin qui a attribué pour le bien de son peuple, j'ai été très touchée par cette relecture très personnelle.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
Commenter  J’apprécie          160



Ont apprécié cette critique (16)voir plus




{* *}