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EAN : 9782253078760
288 pages
Le Livre de Poche (29/09/2021)
  Existe en édition audio
3.84/5   507 notes
Résumé :
Tandis que le pays s’embrase de colères, Geoffroy, treize ans, vit dans un monde imaginaire qu’il ordonne par chiffres et par couleurs. Sa pureté d’enfant « différent » bouscule les siens : son père, Pierre, incapable de communiquer avec lui et rattrapé par sa propre violence ; sa mère, Louise, qui le protège tout en cherchant éperdument la douceur. Et la jeune Djamila, en butte à la convoitise des hommes, fascinée par sa candeur de petit prince.

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Critiques, Analyses et Avis (153) Voir plus Ajouter une critique
3,84

sur 507 notes
Mon premier roman giratoire.
Nul besoin d'un oracle pour deviner (ou d'un devin pour "oracler") que les gilets jaunes allaient vêtir les muses de certains de nos romanciers, inspirés par l'occupation de nos ronds-points citronnés.
Face à ce roman, couleur forcément jaune Grasset, je craignais autant la caricature du jaunard sur sa chaise pliante que l'apologie de la révolte. J'avais tort.
Si le mouvement de colère, qui semble déjà dater d'un siècle, sert de toile de fond à son histoire, Grégoire Delacourt offre un nuancier qui oscille avec poésie entre colère et espoir.
Les couleurs justement, structurent avec les chiffres, le monde imaginaire de Geoffroy, 13 ans, qu'une forme d'autisme isole des autres enfants, mais aussi de son père. Ce dernier, Pierre, qui se sent inutile et incapable de s'occuper de son propre enfant occupe un emploi de vigile à mi-temps dans un supermarché après un licenciement. Il va trouver dans le mouvement des gilets jaunes un certain réconfort auprès de ses copains d'infortune et un exutoire à sa colère. Il lui faut trouver des responsables à son chagrin et à ses échecs.
Sa femme, Louise, est infirmière dans un service de soins palliatifs, aussi dévouée et bienveillante avec ses malades qu'avec son fils. La mort, c'est sa vie et elle la rend la plus douce possible.
La lumière qui jaillit de ce récit s'échappe des histoires d'amour qui transcendent ce drame social.
Histoire d'amour d'enfants entre Geoffroy et Djamila, jeune fille charmée par la pureté et le caractère lunaire du jeune garçon.
Passion également dans l'urgence de l'éternité entre Louise et un homme en fin de vie.
Amour enfin révélé d'un père pour son fils, une fois la colère dépassée.
Trois phrases où mes verbes font grève, par solidarité.
Tout est bien qui ne finit pas forcément bien mais cette prose nerveuse et cette pureté de l'écriture offrent un récit d'une profonde humanité où même un cynique comme moi n'a plus pied.
Seule réserve, le trop plein de calamités. Après les masques, pénurie de mouchoirs en tissus ou en papier à prévoir. Que fait le gouvernement ? A trop forcer la dose, le roman perd un peu en justesse, notamment avec l'histoire parallèle de Djamila, pourchassée par des frères imbéciles, obsédés par la religion et leur réputation dans la cité.
Le titre mystérieux du roman est tiré d'un poème d'Aragon en hommage au poète Federico Garcia Lorca assassiné en 36 par les franquistes. A choisir, j'aurai sauté un vers et choisi de baptiser ce très beau récit, « Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront », évoqué dans la quatrième de couverture… jaune.
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Grégoire Delacourt nous parle ici de toute la misère du monde.
On entendrait presque Charles nous chanter de là-haut, emmenez-moi au pays des merveilles, il me semble que la misère serait moins pénible au soleil...

L'auteur aux mille coups de coeur décrit ici une grande fresque sociale, entre Pierre le gilet jaune révolté entre ces politiciens qui roulent en Porsche et les plus démunis qui le vingt du mois sont à sec. Puis, il y a Louise, son épouse, infirmière aux soins intensifs qui s'épuise à aimer ces gens qui s'en vont au ciel. Il y a aussi leur fils Geoffroy, treize ans, pas vraiment comme les autres garçons de son âge. Un peu dans sa bulle, il n'aime pas être touché et il ne comprend pas le monde qui tourne dans la violence et la méchanceté. Ce sera auprès de Djamila, jeune fille couleur caramel que Geoffroy trouvera un peu de bonheur.

Grégoire Delacourt dans une langue très onirique et poétique décrit plusieurs thèmes, la pauvreté, la violence des gilets jaunes, l'injustice sociale, l'islamination contre les libertés de la femme, l'amour pour l'essentiel. Il parle de beaucoup de choses et beaucoup de phrases pourraient être placardées au mur tant elles sont belles et criantes de vérités.

Sauf que de mon côté, j'ai survolé cette histoire sans pouvoir y ressentir une émotion. J'ai trouvé que l'auteur disséquait brièvement à travers ses personnages des thèmes actuels de notre société mais sans amener une réelle énergie et corrélation entre les personnages. Une narration externe qui elle aussi m'a un peu parasitée la lecture. C'est très très bien écrit. le métier difficile de Louise en tant qu'infirmière m'a beaucoup touchée. Mais l'ensemble ne m'a pas convaincue. Je ne me suis attachée à personne faute de passer de l'un à l'autre sans ressentir ce précieux flux triangulaire. Une déception malgré la toute beauté de la plume, ce roman sera vite oublié malheureusement. Peut-être à relire une autre fois. Et je pense que ce roman devrait plaire à beaucoup car au-delà de la plume merveilleuse, il regorge de pensées qui peuvent toucher tout le monde.
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Grégoire Delacourt , pour moi , c'est tout d'abord une rencontre à " lire à Limoges " , voici quelques années , à une époque où, si ses qualités d'écrivain n'étaient pas encore vraiment reconnues , sa joie de vivre , son humour , sa modestie m'avaient séduit, au point de m'en faire , non pas un ami , ce serait prétentieux et inexact , mais un personnage dont le nom m'était devenu familier au point de ne jamais rater le moindre des ses écrits, la moindre de ses apparitions dans les médias. On le sait , son écriture est " nerveuse " , des phrases minimalistes , taillées dans le diamant , alignées pour composer la plus belle des poésies, des chapitres courts , voire très courts . Un style personnel percutant parce que d'une limpidité extraordinaire . Ce roman ne déroge pas à la règle, il serait vraiment dommage d'ignorer cette si belle plume mise au service des plus humbles dans un monde en pleine déliquescence. Les humbles , ce sont les gilets jaunes , Pierre , Louise et les autres , ceux dont le combat va peu à peu céder face à la force des institutions et de l'opinion publique et puis ce seront de superbes , de magnifiques mais improbables histoires d'amour .... L'amour , seul doux mais utopique refuge dans un monde où le poids des traditions écrase toute volonté d'émancipation, d'accès au bonheur au - delà de tous les préjugés....C'est un roman de la désespérance et de l'espoir , un très beau texte sur la force de l'envie de vivre qui doit résider en chaque être, quel que soit l'obstacle à surmonter . Delacourt est un auteur connu et reconnu qui , peut - être devrait désormais quitter un monde qu'il décrit si bien , pour se lancer vers d'autres problématiques, d'autres sentiers . Il en a les compétences et ses lecteurs attendent peut - être un " souffle nouveau " , l'expression d'une maturité littéraire nouvelle , plus forte , moins " observatrice " d'un monde qui " va comme il va " , mais plus tournée vers " un ailleurs " , un " autre monde " utopique ", peut - être, mais moins " connu " , moins " parcouru " , moins " banal " . Delacourt , c'est beau , vraiment beau , mais avec cette plume , j'en suis certain , cela peut devenir " génial " et l'on n'aura plus cette impression de " lassitude " qui s'installe peu à peu vers la fin du roman .Je me répète , cet homme m'a impressionné par son charisme et sa joie de vivre , son humour . Un homme parmi tous ceux qui font " bien besoin " dans le monde tourmenté qui est le nôtre aujourd'hui . du rêve , Grégoire, donnez- nous du rêve, encore plus , même si ce n'est que le temps d'une ( belle ) lecture .
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Dans la nuit froide et noire, ils sont six, entassés dans la voiture. Unis, prêts au combat, rouges de colère. Parmi eux, Tony, Jeannot, Sylvie et Pierre... Pierre, vigile à mi-temps à Auchan, las de sa vie qu'il rêve plus juste. Pierre qui n'en peut plus de cette misère sociale. Pierre qui, comme des milliers d'autres, va endosser son gilet jaune fluo. Et tandis que les amis font barrage au rond-point, Louise, sa femme en blouse blanche, arpente les couloirs de l'hôpital, au service des soins palliatifs. Accompagner, soutenir, emprunter d'autres chemins. Au petit matin rosé, elle retrouvera son fils, Geoffroy. Un enfant autiste qu'elle et son mari n'ont jamais pu approcher. Sa maladie l'isole, l'éloigne des autres, notamment de son père qui n'a jamais essayé d'apprendre à l'aimer, à le comprendre. Seule Djamila, sa peau caramel et ses yeux vert véronèse, voit en lui un être précieux et unique...

Grégoire Delacourt, dans ce roman social, donne la voix à la France d'en bas. Sur fond de guerre sociale, économique et politique, où le jaune fluo donne sa couleur au pays pendant de nombreux mois, l'on suit, principalement, Pierre et sa famille. Lui qui se bat pour avoir un petit bout de lune, meurtri dans son rôle d'homme et de père, elle qui, accompagnant les derniers jours des patients, protège avec un amour infini son fils, et celui-ci qui vit dans son propre monde. Doux-amer, douloureux parfois, ce roman regorge de tendresse, de douceur mélancolique et d'amour. L'auteur dépeint, avec une profonde humanité, une galerie de personnages ancrés dans l'actualité et aborde des sujets qui le sont tout autant tels que la misère, les gilets jaunes, le racisme, la violence parfois, l'injustice, la religion...Un roman arc-en-ciel, à la fois sombre et lumineux, ensoleillé par une plume poétique...
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Ce roman m'a scandalisé par la banalité du mal révélée au fil de ses chapitres et par l'indulgente complicité de son auteur vis à vis de diverses formes de harcèlement et de terrorisme.

Révolte devant le spectacle de ce père de famille qui harcèle son fils autiste, âgé de 13 ans, et le contraint à incendier un batiment public.
Verra-t-on ensuite ce père guider son fils pour cambrioler une banque, assassiner un voisin ou violer une voisine ?
Et le roman inflige à ce criminel une simple contravention … d'un montant inférieur à un banal excès de vitesse.

Révolte devant le comportement des frères Zeroual qui harcèlent leur soeur Djamilla, 15 ans, lui interdisent d'aller à la piscine, la couvrent d'un hijab, et véhiculent une propagande victimaire inspirée d'un islamisme radical.

Révolte devant la phrase « jeudi matin, Bakki est devenu fou » alors qu'en réalité « jeudi matin, Bakki est devenu un délinquant » en voie de devenir criminel quelque pages plus loin.

Révolte devant les agressions dont est victime Geoffroy, un enfant « différent », victime impuissante et désarmée de voyous, dont aucun ne subit les foudres des tribunaux.

Révolte devant l'incendie volontaire dont est victime Hagop, dont la famille a fuit l'Arménie un siècle auparavant ; révolte de lire le journal local titrer « incendie accidentel » sans procéder à la moindre enquête.

Révolte de constater que Djamilla et Geoffroy, sont contraints, pour simplement survivre, de se confiner dans un refuge éloigné de leurs familles puisque le terrain est déserté par les pouvoirs publics et immédiatement colonisé par les barbares.

Révolte de constater que ces délits restent tous impunis … comme celui de Sarah Halimi dont son auteur est blanchi au bénéfice de la « folie ».

Cet ouvrage fait penser à « Orange mécanique » en rappellant « la banalité du mal » observée par Hannah Arendt dans son ouvrage « Eichmann à Jérusalem » et laisse redouter que les médiocres Delattre et Zeroual soient aspirées dans une spirale de violence qui leur fasse commettre attentats et féminicides en toute impunité.

Je ne recommande donc pas la lecture de ce livre.
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critiques presse (4)
LaLibreBelgique
30 octobre 2020
Un jour viendra couleur d’orange", c’est un vers tiré d’un poème d’Aragon chanté par Jean Ferrat. Mais c’est aussi le sens d’un roman qui se joue sur deux tableaux : l’espoir de demains ensoleillés par-delà les souffrances humaines et les couleurs qui balisent le récit, rencontrant les émotions d’un jeune garçon différent.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeJournaldeQuebec
30 septembre 2020
D'un roman à l'autre, l'écrivain français Grégoire Delacourt parvient toujours à nous faire passer par toute une palette d'émotions.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LeFigaro
16 septembre 2020
Le romancier évoque l’actualité sociale avec tendresse et poésie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaPresse
16 septembre 2020
Sa plume dessine bien des joliesses, mais on ne peut s’empêcher de tiquer devant le décalage perçu entre les milieux et les personnages dépeints, et le ton professoral de l’écrivain qui étale sa culture (le personnage de Geoffroy lui en donne le prétexte) et donne trop souvent l’impression de garder ses distances.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (188) Voir plus Ajouter une citation
Il était 6 heures. La ville dormait. Devant le centre des impôts, une voiture était arrêtée. Coffre ouvert. Trois types. Ils fumaient tous. Tony s'est approché d'eux au plus près, a coupé le contact. Les cinq sont descendus du Kangoo. Il y a eu des embrassades silencieuses. Rugueuses. Puis des chuchotements. On s'est regroupé autour de la malle ouverte. Tout était prêt. Alors Pierre a fait signe à son fils d’approcher. C'est toi qui vas lancer le premier. Geoffroy a regardé les bouteilles de bière fermées avec des bouchons de liège, le goulot solidement étranglé par des morceaux de chiffons. Il a senti l'odeur de l'essence. Il a eu une grimace presque amusante. Puis il a tourné son visage vers son père et a alors eu le même regard que le barbet sur la table du vétérinaire. La même désespérance au fond des yeux. Il a pris ses mots avec tout le courage dont il était capable et il a dit non, je ne peux pas faire ça, c'est interdit. Les autres ont guetté la réaction de Pierre. Il est resté calme. Il s'est penché pour être à la hauteur de son fils. Il a essayé de poser ses deux grosses pognes sur les petites épaules, mais Geoffroy a reculé. C est important que ce soit toi, tu comprends ? Tu es un symbole. Tu représentes l'avenir. Et c'est l'avenir de tous qu'on défend ici. Celui de Tony, de Julie, de Jean-Mi et de ses mômes. Mais c'est interdit, papa. On n'a pas le droit. Pierre s est vivement redressé. Une digue a pété en lui. Changement de ton. Écoute, tu vas faire ce que je te dis et c'est tout. Il a aboyé LA LOI, C'EST MOI. LA LOI, C'EST NOTRE SOUFFRANCE À TOUS. Le corps de Geoffroy a amorcé un mouvement de balancier. JE SUIS TON PÈRE, TU OBÉIS. CE QUI EST INTERDIT, C'EST DE DÉSOBÉIR !

Alors je vais allumer le chiffon de cette putain de bouteille et tu vas me la balancer de toutes tes forces contre le mur. Là. C'est clair ?
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Et puis Djamila est sortie. Un ciel bleu, un vent froid.

Premiers pas maladroits. Équilibre précaire. Comme une désagréable ébriété. Une danse d'ourse. Une fille dans un sac gris. Informe. Difforme. Il ne restait rien de son allure de biche. De ses longues jambes caramel. De ses bras fins qui avaient serré le garçon contre sa poitrine. Son cœur qui battait la chamade. Le djilbab la gommait. Elle était d'un troupeau désormais. D’une ressemblance. Habitait la prison des hommes.

Elle a marché sans but, dans les rues de la cité aux noms d’oiseaux. Comme des injures, avait dit Bakki. Des injures. Elle regardait son ombre sur le trottoir. Une voile. Un nuage. Plus jamais une fille. Elle disparaissait au monde. Elle a croisé d'autres femmes comme elle. Elle a vu les visages résignés. Les regards éteints. La pâleur. Elle a vu toute une vie qui ne lui ressemblait pas, un crime parfait, et ses larmes ont délavé ses yeux de la plus belle couleur du monde, selon son petit amoureux. Mais ne pleure pas, Djamila. Sèche tes larmes. Et écoute le silence.

La paix. Salam, ma sœur. Tu n'entends plus les sifflets des garçons. Plus les mots mubtadhil. Les mots khanez. Vulgaires. Pourris. Qui blessent et dégueulassent.

Cette prison, c’est ta liberté de femme. Crois-moi, petite sœur.

Je préfère les crachats à la prison, Bakki. Apprends plutôt à tes frères à respecter les femmes. Frère.
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INCIPIT
Jaune
Il faisait encore nuit lorsqu’ils sont partis. Les pleins phares de la voiture élaguaient l’obscurité avant d’éclabousser de jaune, pour un instant, les murs des dernières maisons du village, puis tout replongeait dans les ténèbres. Ils étaient six, serrés, presque coincés, dans le Kangoo qui roulait à faible allure. Ils portaient des bonnets comme des casques de tankistes, des gants épais, des manteaux lourds – la nuit était froide. L’aube encore loin. Ils avaient des têtes fatiguées de mauvais garçons, même les deux femmes qui les accompagnaient. Ils ne se parlaient pas mais souriaient déjà, unis dans une même carcasse, un entrelacs de corps perclus de colères et de peurs. Une même chair prête au combat, parée aux blessures puisqu’il n’est de vie qui ne s’abreuve de sang. C’était leur première fois. De l’autoradio montait Le Sud, la chanson de Nino Ferrer. S’est suicidé ce type-là, a dit l’un d’eux. Une toile de Van Gogh, la touffeur d’un treize août, des chênes rabougris, deux érables, un églantier, un champ de blé moissonné en surplomb du Quercy blanc, les stridulations des cigales et soudain, une déchirure. Un coup de feu. Puis le silence. Silence de plomb. La chevrotine pénètre le cœur et le corps du chanteur s’effondre. Dans la voiture, personne ne chantait le refrain de la chanson qui promettait un été de plus d’un million d’années. Ils avaient soudain des mines graves. Le conducteur a coupé la radio. Dix minutes plus tard, le Kangoo s’est arrêté au rond-point, en travers de la départementale déserte. Les six passagers en sont descendus. Les corps étaient lourds. Ils ont sorti le brasero du coffre à la lueur des lampes de poche. Les filets de petit bois. Les Thermos de café. Les sacs de boustifaille. Ils ont caché la bouteille de cognac et les grands couteaux. J’aurais quand même dû prendre le riflard, a regretté l’un d’eux. On va quand même pas tirer les premiers, a commenté un autre. Et on a ri d’un rire sans gloire. Ils se savaient des chasseurs qui finiraient tôt ou tard à leur tour par être pourchassés. En attendant, il fallait tenir. Quand le barrage a été installé, ils ont bu un coup. Ils ont cherché des mots qui réchauffaient. C’est de leur faute, faut arrêter de nous prendre pour des cons, a pesté Tony, un trapu ombrageux. Origine italienne, précisait-il, j’ai dans les veines le même sang que Garibaldi. Le feu éclairait la nuit et les visages dévorés. La hargne assombrissait les regards. Les peaux se fanaient. Les doigts tremblaient. Quand une première voiture est apparue au loin, ils se sont levés comme un seul homme. Ils ont eu un peu peur, forcément. Mais la peur appelle aussi le courage. Le courage entraîne l’espoir. Et l’espoir fait battre les cœurs. Prendre les armes. On veut juste une vie juste, avait réclamé Pierre, et ils avaient tous été d’accord. Ils avaient même fabriqué une banderole avec ces mots qu’ils avaient trouvés chantants sans savoir que dans cette vie juste que réclamait Pierre, il y avait tout le poids de ses chagrins, de ses défaites de père, ses abandons d’époux, ses colères. Tous les cœurs ne dansent pas les mêmes querelles. Allez, on demande pas la lune. Juste un bout, avait-il ajouté. Et les autres avaient ri. Les corps ont revêtu des gilets jaune fluorescent. Ont pris position sur la chaussée. La voiture était à moins de trois cents mètres maintenant. Une des deux femmes s’est allongée sur l’asphalte gelé. Quelqu’un a lâché, eh Julie, n’exagère pas quand même, et Julie, avec une fierté de louve, a répondu ben qu’ils m’écrasent, tiens, on verra le chaos que ça sera. Deux cents mètres. C’était la première menace. Le baptême du feu. La voiture lançait des appels de phares qui ressemblaient à des insultes. Mais à mesure qu’elle approchait, ils devinaient la fourgonnette sombre d’Élias le boulanger, et les appels de phares sont alors apparus dans des cris de joie. J’ai bien pensé que vous seriez là, les gars, c’est le meilleur endroit pour tout bloquer. Voilà ma première fournée. Baguettes tradition. Viennoises. Pain complet. Seigle. Maïs, bien cuit comme tu l’aimes, a-t-il précisé à Julie qui se relevait. Et, la crème de la crème les amis, cent croissants beurre. Encore chauds. Dans quelques heures, loin d’ici, à Paris, les murs parleront des brioches de Marie-Antoinette. Des rêveurs enragés tenteront de prendre l’Élysée comme on prend son destin en main. Des pavés voleront comme tombent des cadavres d’oiseaux. Il exhalera déjà une odeur d’insurrection. Un parfum de muguet en novembre. Je peux pas rester avec vous, a ajouté Élias, penaud, mais si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous appelez. La pleutrerie fait les lâchetés généreuses. Lorsqu’il est reparti, on l’a applaudi. Les croissants fondaient dans la bouche. C’était un beurre au goût d’enfance. Au goût d’avant. Quand le monde s’arrêtait au village voisin. À la coopérative. Ou à la grande ville. Quand le bureau de poste était encore ouvert. Quand l’assureur venait à la maison. Et le docteur. Quand le bus passait deux fois par jour et que le chauffeur, parce que vous marchiez le long des champs ou que les nuages menaçaient, stoppait ailleurs qu’à l’arrêt. Le temps où le monde avait la taille d’un jardin. La nuit tirait maintenant à sa fin. Le ciel se marbrait de cuivre. Les six gilets jaunes ressemblaient à des flammes qui dansent. Des lucioles d’ambre. Il y a toujours quelque chose de joyeux à partir au combat. En ce troisième samedi de novembre, le jour s’est levé à 8 h 05. Vers 8 h 30 sont arrivées les premières voitures qui se dirigeaient vers la ville. Une ou deux vers les plages du Nord. Le temps du week-end. Vers des maisons froides qui sentent le feu ancien, le sel humide, les photos moisies. On les a arrêtées. On a offert des croissants aux conducteurs. Aux passagers. Certains descendaient, se réchauffaient au brasero. Ça discutait. Ça s’emportait souvent. Mais tout le monde s’accordait à dire que la nouvelle taxe de six centimes et demi sur le gasoil c’était du vol. La négation de nos vies. Encore un mensonge. Faut se battre. C’est ce qu’on fait, mon gars, a dit Jeannot, un grand échalas pâle, c’est ce qu’on fait, mais en douceur. Ça existe la douceur, ça a son mot à dire. Peut-être, a repris le gars, mais les 80 kilomètres-heure ça aussi c’est une immense connerie. Déjà qu’à 90, on n’arrive pas à doubler les camions. Y veulent quoi ces connards ? Ces bobos. Parisiens. Planqués. Les mots pétaradaient. Tout y est passé. Branleurs de politiciens. Petits barons. Tout pour eux rien pour nous. Qu’on crève, c’est ça ? Qu’ils nous installent donc le métro, tiens. Qu’ils viennent vivre notre vie. Rien qu’une semaine. Tout ça, c’est pour faire cracher les radars, a crié l’un d’eux. Eh ben on va aller se les péter leurs radars, a proposé Pierre et tout le monde a été d’accord mais personne n’a osé bouger parce que chacun savait que c’est la première violence qui est la plus difficile. L’irréversible. Celle qui signe le début de la fin : après le premier coup, les fauves se lâchent. La chair des hommes devient champ de bataille. Alors personne n’a bougé. Des automobilistes ont abandonné leur voiture sur l’accotement enherbé pour rejoindre les autres. Ils ont revêtu leur gilet de luciole, ces bestioles qui brillent la nuit pour trouver leur partenaire et se reproduire. Ainsi les corps des laissés-pour-compte, des petits, des sans-dents, des fainéants et de « ceux qui ne sont rien » brillaient dans cette première aube afin de se reconnaître et de se reproduire par milliers. Dizaines, centaines de milliers. Dans quelques heures, les corps entremêlés de l’indignation feraient apparaître une méchante tache jaune sur le poumon de la République. Et rien ne serait jamais plus comme avant. Une voiture de la gendarmerie venait de s’arrêter à cent mètres de là. Aucun militaire n’en est sorti. Ils observaient. Ils connaissaient bien la théorie de l’étincelle. Du feu aux poudres. Ce qu’ils voyaient pour l’instant était bon enfant. Un petit déjeuner sur un rond-point. Une kermesse. Voilà que plus de cinquante automobiles étaient bloquées maintenant et des plus éloignées retentissaient des coups de Klaxon insistants, comme des râleries, des doigts d’honneur, mais quand une poignée de lucioles a remonté la file, le silence s’est fait aussitôt. On fouillait alors frénétiquement l’habitacle à la recherche de son gilet jaune. On s’empressait de l’étaler sur le tableau de bord. Regardez, les mecs, je suis avec vous. C’est dégueulasse ces taxes. Me faites pas de mal. Certains opéraient rapidement un demi-tour. S’enfuyaient. Une guerre, c’est choisir un camp, c’est se lever, et peu d’hommes ont les jambes solides. Quand il n’y a plus eu de croissants ni de pain, on a laissé passer les voitures. Une à une. On tentait un dernier échange avec le conducteur. On se promettait des luttes et des révoltes. Quelques têtes sur des piques. Sur la grande banderole, l’encre noire du slogan de Pierre brillait dans le soleil froid. « On veut juste une vie juste. » Plus tard, ça a été au tour d’un Cayenne de s’arrêter. Une voiture au nom d’un bagne sinistre dans lequel, sur dix-sept mille forçats, dix mille ont trouvé la mort entre 1854 et 1867. Dix mille morts sales. Véreuses. Une voiture qui représentait quatre virgule sept années de smic, et encore, si on mettait tout son argent dans la caisse, mais il fallait bien se loger, bien se nourrir, se vêtir, ensoleiller la vie des enfants. Laisse, a dit Pierre à Julie. C’est pour moi. Et Pierre s’est approché de la Porsche. Un gilet jaune était posé sur le cuir fauve du luxueux tableau de bord. Le conducteur était bel homme. Regard clair. Visage doux. La cinquantaine. Assis à l’arrière, un garçon de l’âge de son fils. L’enfant était occupé à sa tablette, il ne percevait rien des éclats du mécontentement des hommes. De l’air soufré. Pierre a fait signe à l’homme de baisser sa vitre. Sa guerre venait de commencer.
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Alors on va se montrer. Leur montrer qu'on est là. Qu'on est chez nous. Et puis Bakki a posé sur le lit un djilbab. Tiens. Tu t'habilleras avec ça maintenant. Et je ne veux plus qu'on me dise que les frères t'insultent dans la rue. Et je ne veux plus non plus entendre que tu traînes avec le petit débile. Un petit gaouri décérébré. Sinon, c'est fini l'école. Tu restes enfermée ici. Ah, et tu donneras ça à ton prof de sport, a-t-il ajouté. C'était un certificat médical la dispensant de piscine pour cause d'allergie au chlore. Djamila s'est alors allongée sur son lit. Elle a ramené la couette sur son corps lapidé. Elle a disparu dessous, comme sous la glaise d'une tombe, et ses frères ont quitté sa chambre et ç'en a été fini de son enfance.
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Fou de rage. Djamila n'était pas rentrée comme il l'avait exigé. Comme Ahmed son père aux mains de feu l'avait exigé. La gamine avait pris des airs de liberté. Elle avait menti. Elle avait désobéi. La désobéissance à ses frères était une injure à Allah. Une insulte à tout un peuple. Ghadab ! Ghadab l Le cri de Bakki, comme des coups de tambour dans sa poitrine. Des menaces qui grondent. Il a appelé la aimraat gaouria. La Française Lemaître. Pute. Un faux numéro. Il est tombé sur un chenil et il a insulté le pauvre type au bout du fil.

Je vais la tuer, s’est-il juré à propos de sa sœur. Lui arracher les yeux. Menteuse, kadhaaba. Fini l'école. Les rigolades. Les musiques débiles dans ton téléphone. Tu vas voir. Dans sa chambre, il a renversé tous les tiroirs. Balancé le parfum, les produits de maquillage à la poubelle. Dès que je t'attrape, je t'enferme. Tu ne sortiras que le jour de ton mariage, inch'Allah. Si Dieu veut, ma fille, si Dieu veut.
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Extrait du livre audio « Une nuit particulière » de Grégoire Delacourt lu par Catherine Creux et Charles Morillon. Parution CD et numérique le 8 novembre 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/une-nuit-particuliere-9791035413651/
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