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Critique de jvermeer


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« Un coup de fortune »
C'est ce que Delacroix écrit à Charles Soulier le 15 avril 1822 : « … Mais je sors d'un travail de chien qui me prend tous mes instants depuis deux mois et demie. J'ai fait dans cet espace de temps un tableau assez considérable qui va figurer au Salon. Je tenais à m'y voir cette année et c'est un coup de fortune que je tente. »
Le premier tableau « La Barque de Dante » du tout jeune Eugène Delacroix sera présenté au Salon de 1822. Il a 24 ans. Cette toile inspirée de l'Enfer de Dante, d'une conception dramatique par ses références à Michel-Ange et Rubens, sera considérée comme un manifeste du romantisme. Après « le Radeau de la Méduse » du camarade d'atelier de Delacroix, Théodore Géricault, peint en 1819, les critiques considèrent qu'une orientation nouvelle, un coup fatal vient d'être porté à la peinture académique.

La même année 1822, Delacroix va commencer son journal qui sera considéré comme un des écrits de peintre parmi les plus importants, avec la correspondance de Vincent van Gogh, plus tard.

Auparavant, avant ce premier Salon, encore un gamin, Eugène écrit sans cesse à ses amis Achille Piron, Charles Soulier, Félix Guillermadet ainsi qu'à son frère le général Charles Delacroix : 56 lettres toutes passionnantes écrites de 1813 à 1820, entre 15 ans et 22 ans.
Deux lettres m'ont paru les plus représentatives du talent littéraire de l'adolescent. Deux jours de suite, les 20 et 21 août 1815, il écrit au même Achille Piron des lettres étonnantes, qui suffisent à démontrer la qualité de sa prose à 17 ans.

La passion amoureuse anime le futur emblème du romantisme. Je doute que l'on puisse trouver beaucoup d'autres écrivains, en dehors de Rimbaud, capable d'écrire de cette façon, si jeune.

Lettre à Achille Piron, le 20 août 1815 (Extrait)

(…) Quel moment que celui où on revoit après des siècles, un objet qu'on croyait avoir aimé et qui était presque entièrement effacé du coeur… Au milieu de tout cela je tombe de mon haut quand je songe à l'empire que j'ai eu sur moi-même hier dans cet instant délicieux et terrible qui m'a réuni pour quelques minutes à celle que j'avais eu l'indignité d'oublier. Il m'arrive souvent qu'une sensation morale, de quelque nature qu'elle soit, ne me frappe guère que par contrecoup, et lorsque livré à moi-même ou rentré dans la solitude de mon âme, l'effet s'en renouvelle avec plus de force par l'éloignement de la cause. C'est alors que mon imagination travaille et que, contraire à la vue, elle agrandit les objets à mesure qu'ils s'éloignent. Je m'en veux de n'avoir pas joui avec assez de plénitude de l'instant que le hasard m'a procuré ; je bâtis des châteaux de chimères et me voilà divaguant et extravagant dans la vaste mer de l'illusion sans bornes et sans rivages. Me voilà donc redevenu aussi sot qu'auparavant. Dans le premier instant mon coeur battit d'une force… Ma tête se bouleversa tellement que je craignis de faire une sottise : je ne faisais pas un pas sans songer que j'étais près d'elle, que nos yeux contemplaient les mêmes objets et que nous respirions le même air : lorsque je lui eus parlé et que tu m'entraînas dans l'autre salle… je t'aurais, je crois, battu et néanmoins je n'étais pas fâché d'un autre côté de m'éloigner d'elle, mais je crois que l'enfer et les démons ne seraient par parvenus à me faire quitter cette maison bienheureuse tant que j'y aurais su ma Julie.

Lettre à Achille Piron – le 21 août 1815 (Extrait)

L'as-tu éprouvé, mon ami, cette fièvre du coeur, ce délire de la raison et des sens qui remplit tout notre être de ce mélange inconcevable de souffrance et de délices ; il faut sentir comme moi cet orage tumultueux qui gronde dans mon sein lorsque la moindre pensée vient me rappeler un cher souvenir. Parler morale, philosophie, tranquillité d'âme aux passions, c'est vouloir éteindre un édifice en flammes avec un verre d'eau. Ce n'est pas avec des émolients, des dulcifiants, des anodins et tout le petit étalage subalterne des médecins qu'on guérit les fous. C'est en les jetant par les fenêtres ou en les assommant. Ce n'est pas que je me soucie d'être assommé pour les beaux yeux d'une princesse, mais il me faudrait à moi des remèdes violents. Malheureusement, je le sens trop, il n'en est qu'un pour moi, c'est le temps. Il faut attendre que le bouillonnement s'apaise ; que les jours et les mois viennent, dans leur succession monotone, user les sensations en effaçant l'image. C'est une chose terrible que de ne pouvoir compter même sur l'ignorance. Lorsque ma tête a bien travaillé et que, tout rempli d'illusions riantes, je jette les yeux devant moi sans y voir d'avenir, c'est alors que je me désespère. Je ne connais rien d'effroyablement atterrant comme l'impuissance ; se dire je t'aime… mais sans espoir, sans moyens, sans espoir en un mot… Voilà qui est fait pour écraser un homme.

Superbe !
Les écrits d'Eugène Delacroix, adolescent romantique de 17 ans, pouvaient déjà lui ouvrir les chemins d'une carrière littéraire.

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