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05 octobre 2018
Les moyens de l'égalité contre les cécités de l'équité, de la complémentarité ou de la symétrie…

Dans son introduction, Pauline Delage critique, entre autres, une certaine conception du féminisme et de l'égalité « qui renonce à transformer les structures sociales ». Elle indique que « Les droits des femmes peuvent alors être pensés comme une question édulcorée, indépendante de toute autre question politique, et sans rapport avec d'autres inégalités sociales ». Dit autrement, la négation ou l'éviction des rapports sociaux – en particulier de classe, de sexe, de racisation – et de leur imbrication ne permet ni de penser ni d'agir dans le sens de l'émancipation.

Les attaques contre les droits des femmes ne viennent pas que des groupes conservateurs – religieux ou non – bien aussi des politiques néolibérales, « des transformations de l'Etat qui passent par exemple par des restrictions budgétaires ». Des droits sans moyens ne sont pas réellement des droits. Des droits laissés en gérance aux institutions, sans volonté de les étendre et de les approfondir, et/ou, sans pratiques auto-organisées des principales intéressées, ne peuvent qu'être dissous dans les espaces marchandes et/ou relégués comme secondaires.

« C'est le projet de ce livre : proposer un retour critique sur les acquis des droits des femmes pour repenser et promouvoir l'égalité entre toutes et tous »

Pauline Delage rappelle que les droits des femmes sont une conquête récente, voire très récente. Droit d'aller à l'université sans autorisation de leur époux (1938), droit de vote (1944), droit d'ouvrir un compte en banque et d'exercer une profession sans autorisation de leur époux (1965), droit à la libre disposition de son corps et droit à la contraception (1967), droit de disposer librement de son salaire pour les femmes mariées (1970), droit à l'interruption volontaire de grossesse (1975), viol non considéré comme un crime jusqu'en 1980, viol par un époux non reconnu jusqu'en 1990…

Il convient aussi de rappeler les oppositions farouches des élus de droite et quelques fois de gauche à ces réformes, auxquelles j'ajoute le divorce par consentement mutuel, l'extension et la gratuité de l'avortement, le PACS puis le mariage pour toustes… L'égalité réelle des salaires, la représentation en politique, l'arrêt du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles, le partage du travail domestique, etc. ne semblent toujours dans l'agenda de la soit-disante l'exceptionnalité française ! La division sexuelle du travail, pour en rester au système de genre, n'est pas remise en cause par la très grande majorité de ces hommes – et quelques fois de ces femmes – qui n'hésitent cependant pas à faire des droits des femmes un oriflamme dans leur combat haineux contre d'autres populations. Constater et apprécier les interventions publiques, approuver certaines avancées législatives, dans la seconde moitié du XXème siècle pour « lutter, réguler, encadrer les inégalités entre les femmes et les hommes » est une chose, les ériger en « valeur nationale » en est une autre. Et les doigts pointés contre de réelles inégalités sont aujourd'hui souvent orientés vers des autres, en particulier des musulman·es, ou supposé·es tel·les, qui seraient intrinsèquement et par essence contre l'égalité, dans le silence assourdissant de la majorité des violences et du sexisme ici et maintenant.

J'ajoute, en reprenant des réflexions déjà publiées, que le système de genre est imbriqué à d'autres rapports sociaux (classe, race, génération, etc.). Les configurations concrètes sont les fruits de l'histoire, des résistances et des luttes, des contraintes institutionnelles… Il est à mes yeux vain de penser une configuration comme plus ou moins « conservatrice » ou « émancipatrice » de manière a-historique. D'ailleurs dans le cas du (non)partage des tâches domestiques, des violences exercées par les hommes sur les femmes, de la consommation de la pornographie, de la participation au système prostitueur, de l'inégalité dans l'utilisation des revenus – pour ne citer que cela – les études (ou moins ce que j'en connais) ne montrent pas de différences significatives entre groupes sociaux – pour autant que le groupe social soit un agrégat adapté à ces études. Sans oublier que la division sexuelle du travail s'y décline sans exception. La culturalisation et l'essentialisation de pratiques sociales ne visent qu'à dédouaner ses propres pratiques, de dénier ses propres constructions sexistes… Autre chose serait d'étudier les tensions et les contradictions à l'oeuvre dans chaque situation, les mobilisations concrètes, les processus d'auto-organisation et d'émancipation. Constater les formes différenciées des rapports sociaux, des dominations ou des inégalités, ne doit cependant pas conduire à leur négation au nom de considérations « culturelles » voire soit-disant « anti-impérialiste ».

Comme l'écrit l'autrice, « le discours égalitariste masque toutefois une réalité toujours inégalitaire ». Elle aborde, les rappels – parfois très violents – à l'ordre social toujours sous le contrôle des hommes, les mécanismes inégalitaires « fondés sur la différenciation et la hiérarchisation du féminin et du masculin ». L'égalité n'est pas acquise. Et le traitement néolibéral, toujours dépolitisant, participe de l'érosion des potentialités émancipatrices.

« Les droits des femmes sont donc en péril, et ce livre cherchera à démontrer en quoi la conception dominante de ces droits constitue elle aussi un danger, un danger de l'intérieur ».

Pauline Delage analyse les politiques d'austérité et leurs conséquences, l'extension de la « logique du marché » porté par les institutions publiques.

* L'interruption volontaire de grossesse – IVG – une pratique toujours stigmatisée, un événement perçu comme exceptionnel, une manière de déviance par rapport à la maternité omniprésente, la précarité des dispositifs d'accès à la contraception et à l'IVG, un droit pas vraiment considéré comme droit pour toutes les femmes.
* Les politiques de la petite enfance, la régulation de la division sexuée du travail, « le passage de politiques redistributives – à travers l'allocation de politiques sociales aux politiques incitatives – à travers des politiques fiscales qui encouragent les acteurs privés à produire des formes de protections sociales », la responsabilisation individualisée en lieu et place de droits pour toustes…

* Les inégalités au travail, les impacts des politiques néolibérales sur les salariées, la division sexuelle (et raciale) du travail, les lieux masculinisés et les espaces féminisés, la séparation entre les « sphères publiques et privés », la différentiation entre les espaces et les tâches suivant le sexe, la naturalisation des compétences et leur non-reconnaissance, « des compétences relationnelles considérées comme innées et donc déqualifiées », la ségrégation au travail et les différences salariales persistantes (En complément possible, Rachel Silvera : Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités salariales), la notion de charge mentale, la planification des tâches domestiques assignée aux femmes (une routine encombrante et des effets permanents, dont les hommes se sont auto-dispensé), les usages sociaux genrés, le temps partiel renforçant les inégalités…

* L'égalité au travail, le ciblage de certaines femmes dans l'oubli volontaire de toutes, l'égalité réduite à la représentation, les sales boulots et celles qui le font. J'indique cependant que le rapport social de travail ne peut être réduit aux conditions de travail, au coeur du rapport salarial c'est bien d'exploitation qu'il s'agit.

* le droit pour exclure, un foulard interdit, les diktats de la « panique morale » (En complément possible, Laurence de Cock et Régis Meyran : Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales)
* Les interdits imposés aux femmes, les obligations imposées aux femmes, le contrôle social sur leurs corps… Je souligne que le monopole d'embauche et l'arbitraire patronal se traduisent aussi par des obligations vestimentaires et de présentation imposées à d'autres femmes (jupe, maquillage, sourire, etc., sans oublier la « minceur » survalorisée). Les femmes sont sommées d'être à l'image fantasmée et socialement construite de la « femme ». L'autrice rappelle à juste titre que « le choix est toujours contraint par un contexte social et historique qui limite le champ des possibles ».

Rien ne devrait limiter la liberté de conscience et ses pratiques associées, ni dans les entreprises ni dans les écoles. Il en est de même du droit d'expression politique. Aucun espace ne peut-être considéré comme « neutre » et restreint aux libertés des citoyen·nes.

* Hier les élèves ne pouvaient exprimer leurs convictions politiques, aujourd'hui les convictions religieuses devraient rester à la porte de l'école – mais pas les jours fériés issus du catholicisme dominant (sans même parler de la réduction d'une parure à un seul code social qui serait uniquement religieusement défini), les lectures de la loi de 1905 se font excluantes . L'imposition pour le « bien » des femmes conçu par d'autres qu'elles-mêmes, reste toujours la même ritournelle. J'ajoute que les censeurs des expressions publiques d'inclinaison religieuse semblent bien muet·tes sur les autres multiples obligations arbitraires issues ou non des familles !

* Pauline Delage montre comment se fait la construction de coupables idéaux du sexisme, – en négation du sexisme dans l'ensemble des groupes sociaux, l'attribution à un groupe spécifique de pratiques communes à tous les groupes. Une idée du sexisme sans lien avec les rapports sociaux et leur imbrication. L'autrice rappelle que les agressions sexuelles et les viols – dont les viols conjugaux – sont principalement le fait de proches et non d'inconnus dans les rues (En complément possible, Marylène Lieber : Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question), que les espaces publics sont toujours pensés et construits pour les hommes (En complément possible, Yves Raibaud : La ville faite par et pour les hommes et Travail genre et sociétés n° 33 / 2015 : le genre, la ville. Des politiques bien républicaines de sexuation des espaces au bénéfice des hommes…

* Elle aborde aussi, les lectures culturalistes des violences masculines, l'insécurité comme une donnée qui serait naturelle aux femmes, les visions naturalisées des comportements des filles et des garçons, le contrôle des femmes dans les espaces publics, les contrôles policiers orientés vers certains, le harcèlement des femmes dans tous les espaces géographiques, l'utilisation de « valeur égalitaire » pour justifier l'exclusion de certaines, le sexisme du « sommet », la complémentarité et les rôles sexués tant vantés par les « élites » de tout poil (je rappelle les luttes des femmes tunisiennes pour l'égalité et contre la notion de complémentarité que certains voulait imposer), le combat acharné de l'église catholique contre la notion de genre (en complément possible, Sara Garbagnoli et Massimo Prearo : La croisade « anti-genre », du Vatican aux manifs pour tous), les « discours anti-féministes produits et diffusés en haut de l'échèle sociale »…

* D'autres chapitres sont consacrés à l'exclusion par le langage, ce masculin qui devrait l'emporter sur le féminin dans une grammaire sexiste inventée par l'Académie française (En complément possible, Eliane Viennot : le langage inclusif : pourquoi, comment) ; à « L'encadrement de la famille » et le refus de la PMA pour toutes les femmes ; à la rhétorique masculiniste et aux droits des pères (En complément possible, Collectif Stop Masculinisme : Contre le masculinisme. guide d'autodéfense intellectuelle)
L'égalité se perd dans les formes édulcorées de l'équité ou de la symétrie, « L'égalité est alors dissociée de lutte contre les inégalités toujours existantes entre les femmes et les hommes et se confond avec l'idée de symétrie »

Contrairement à l'autrice, je ne pense pas qu'il puisse y avoir un « féminisme libéral », pas plus qu'un « socialisme libéral », mais bien des politiques libérales qui s'appuient sur la promotion de certains droits pour certaines femmes ou sur de vagues promesses sans « s'accompagner de financements conséquents » (je rappelle, l'incontournable ouvrage d'Andrea Dworkin : Les femmes de droite) . Notre société reste bien une fabrique de l'inégalité, « le genre est producteur d'inégalités qui s'incarnent dans les corps, dans les visions du monde, dans les familles et les espaces publics » et les projets néolibéraux sont bien une possibilité de « renouvellement de la domination sociale et culturelle ». La question est donc bien de re-politiser les droits des femmes (En complément possible, Alternatives Sud : de l'usage du genre)
Outre certaines remarques déjà faites, je trouve discutables la notion de « classe moyenne » utilisée pour des salariées subordonnées, l'idée d'un trouble possible dans la différenciation des sexes, l'opposition entre droit à l'IVG et les autres droits sexuels et reproductifs, l'oubli des hommes dans l'appréciation de la sous-traitance de taches aux femmes racisées – même si l'autrice indique que « les hommes restent gagnant ». Reste aussi à discuter certaines revendications de femmes à l'objectif de simple partage du pouvoir existant. Je rappelle que contrairement aux positions d'une grande partie du mouvement ouvrier ouest-européen, qui y voyait une revendication de bourgeoises, le combat des suffragistes et des suffragettes pour le droit de vote aurait du être soutenu…

Ici et à travers le monde, des luttes récentes, montrent que les femmes ne se laisseront pas faire
Lien : https://entreleslignesentrel..
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