"C'est en Inde que j'ai tout laissé tomber. Tout ce que j'avais vécu jusque là se désintégrait. On lit des choses sur le sujet, comment des gens sombrent ou se retrouvent - ou se perdent, plutôt - et on n'y croit pas vraiment, jusqu'à ce que çà vous arrive."
C'était la première fois que je venais à Delhi et j'étais écrasée par le poids des couleurs et des sons. Ceci était un soulagement car depuis des mois maintenant, quand j'essayais de travailler, quand je sortais avec mon appareil photo, le monde me semblait décoloré et silencieux, comme si peut-être je ne savais plus écouter.
Cette façon de voir affecte mon travail. Toutes les personnes, les objets et les endroits ont un son et une texture propres. L'Inde, par exemple, est rouge. Mardi est un jour vert. Tout s'accorde en moi. C'est ce qui m'a fait connaître : des photos en noir et blanc qui donnaient une impression de couleur. Des panneaux verts, un ciel bleu et des ombres dorés sur du bois. On peut entendre tout cela dans les nuances mais il n'y a aucune couleur dans mes photographies. Il y a seulement la sensation de quelque chose qui manque, la trame de quelque chose d'absent, quelque chose depuis longtemps disparu.
Et le déclic de l'appareil est toujours turquoise ; le son que je préfère.
"Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours entendu les couleurs et vu les sons." (Métailié - p.58)
Au-delà, à travers la poussière et les lumières, il y avait cet autre monde. Entre les camions et taxis décorés et les sons discordants des klaxons, je voyais des gens sur les terre-pleins centraux, jetant sur le sol des ombres aux membres semblables à des brindilles. Certains dormaient, d'autres se reposaient dans leur rickshaw. Mais certains ne dormaient pas. Certains gisaient, entièrement recouverts, comme s'ils étaient déjà morts.
Dans ma tête, je cadrais toutes les photos que je ne prenais pas. Toutes les ombres et tous les changements de la ville la nuit.
ce qui m'intéressait le plus désormais était l'absence. Comment la suggérer. Ce que ça faisait quand quelqu'un quittait une pièce ou un compartiment de train. Ce que ça faisait quand quelqu'un quittait une rue ou une vie. Comment raconter une histoire à partir de ces fragments ?
Parfois on voit une image qui vous coupe le souffle, qui crie la terreur, la beauté et la douleur du monde. Parfois on voit une image qui vous montre votre avenir, qui vous met sur votre voie
En 1984, mon grand-père et moi avions donner pour une œuvre caritative. J'avais été émue de cette façon particulière dont seuls les Occidentaux peuvent être émus,submergée par un vague sentiment de culpabilité par procuration.
J’ai acheté deux livres du Dalaï Lama, je me suis assis sur le balcon dominant la vallée, un livre ouvert sur les genoux ; une douzaine de bouteilles sous ma chaise.
Ne jouis pas de la vie avec tristesse.