AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9781092622356
120 pages
Le Bateau Ivre (16/10/2017)
3.44/5   8 notes
Résumé :
Ne lisez pas Tess et Raoul. Jamais. Ça vous ferait trop mal. C’est un poison violent. Parce que, forcément, vous vous diriez : « C’est comme ça que je veux être aimé ! » Et ça vous rendrait fou. À hurler. À la lune. Née de l’oreille de Rabelais, des suites de la rencontre fortuite sur une table de dissection de Kafka avec Lautréamont, fiancée d’un pirate nommé Boris Vian, Cécile Delalandre vous enroulera dans sa langue aussi sûrement qu’une lame de fonds qui charrie... >Voir plus
Que lire après Tess et Raoul Precede de BreuillesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
3,44

sur 8 notes
5
3 avis
4
1 avis
3
0 avis
2
1 avis
1
2 avis
On est, face à certains textes comme une poule devant un couteau – mais pas n'importe quel eustache : le beau canif à manche de nacre et à la lame aussi futée qu'affûtée, sans, ciselé dessus, le gros sabot, mais plutôt la fine mouche – et qu'on présume à miel. Il est là devant vous, le fleuron de la coutellerie de noble origine, qui brille de mille éclats (de rire, s'il faut le préciser), ouvert au grand soleil, et on est là, soi, qui se demande comment on pourrait bien l'attraper par la queue pour le montrer, devenu tout à coup souris verte, à ces messieurs et dames – difficulté de la critique, face à l'atypicité de certains beaux livres.

Tess et Raoul précédé de Breuilles, de la chère Cécile Delalandre, c'est un peu le précieux canif égaré sur la pelouse des mornes plaines estampillées littérature contemporaine, et toi, lecteur, tu fais la poule ‒ forcément de luxe, un certain faste se révélant contagieux dès qu'il est stylistique.
C'est que, placé sous les auspices d'Henri Michaux, le livre s'ouvre par un paragraphe de cet acabit, qui n'est pas, on en conviendra, l'incipit de n'importe quel ouvrage :

C'est en Octobre, mois choyé des sorciers et des anges gardiens, que je parcourus le long tunnel de la muqueuse avant que ne se déchire l'isthme qui jusqu'alors me reliait à sa chair. C'est là que naquit l'ombilic, seul comme une cicatrice. (p. 15)

Pour une naissance, c'est une sacrée naissance : celle d'une voix ‒ je ne dis pas d'une narratrice : ça raconte certes, mais là n'est pas l'intérêt principal du texte, plus poème en prose (mettons narratif) que roman ou nouvelle(s) ‒, voix qui ne va cesser, tout au long d'une centaine de pages, d'y aller de ses métaphores et comparaisons de haute saveur et de couleur non moindre :

Les poings du ciel, rouges comme un babybel (p. 20) ; Ces feux follets bleutés déculottent mon attention (p. 23) ; l'eau brune où mes yeux sans bouées vont noyer leur regard (p. 24) ; etc.

et de tirer les feux d'artifices de ses jeux verbaux, plus proches du toro de fuego que de la petite fusée pétaradant dans le ciel noir ‒ un des principes de cette écriture jubilatoire étant de prendre le mot au mot :

Derrière ma nuque, un vieux chêne agitait ses chatons en miaulant une saudade (p. 27) ; Les chiens et les loups s[e] léchaient sur un tapis de ciel dont l'exquise veloutine venait frôler la peau de notre promenade (p. 35) ; J'aime le crépuscule et ses promesses de couchant qui me laissent courbée sur le livre de mes heures. Je passe mes nuits à peindre les enluminures de mes insomnies sous les draps de ma retirance… […] Et puis quand vient l'aurore, mon verbe devenu miniature se fond sous les paupières de mon sommeil gras (p. 55)

Je dis bien jubilation verbale : Cécile Delalandre a ce talent d'écrire comme personne, me semble-t-il, n'écrit aujourd'hui, de créer par les mots ‒ matière, non pas outils, de son écriture ‒ un univers d'une irréalité toute poétique. Ses procédés vivants rappellent un peu ceux d'un Max Jacob, d'un Michaux sans doute, voire d'un Jean-Pierre Verheggen : rien de naïf, en tout cas, ni de spontané, ni d'artificiel pour autant, dans cette rhétorique (au sens d'art d'écrire) délectable où se révèle en sourdine une belle érudition littéraire, nourrie de lectures ‒ Ponge, Rimbaud, Céline… ‒ rappelées en clin d'oeil, voire convoquées et allègrement pastichées (cf. Voyage au bout de la sève, p. 29) tout au long d'une prose truffée d'alexandrins (magnifiques) de facture rigoureusement classique :

mon aube azur d'outrème aux écorces de bleu, mon phénix au corps feu qui rue dans mon sang fauve (p. 53)

ou parfois volontairement plus approximatifs (abandon des « e » muets, mais respect marqué d'un rythme aisément reconnaissable) avec recours à un système de rimes qui vient théâtraliser cette splendide prose à dire :

Soudain sur mon pavé, on cogne à ma croisée. C'est la main d'une femme qui a heurté la mienne en brisant tout à coup mon voile de cérumen et mon idée a fui entre les barbelés (p. 55)

On rit, on sourit, on s'émerveille devant cette aptitude, comme le dit peu ou prou Guillevic dans un de ses poèmes les plus célèbres, à « tirer parti des mots », à écrire une littérature qui ne résulte pas d'une simple activité de rédaction mais d'écriture : preuve, s'il en fallait, qu'une oeuvre belle peut être drôle, et que l'humour, dès qu'il est fin, n'est pas l'ennemi de l'esthétique – et encore moins de la poésie. Tess et Raoul, «monstre étrange » s'il en est dans le concert actuel (pas mal cacophonique) de la littérature, nous rappelle qu'il existe un plaisir de et à la langue : la tirer dévoile mieux ses papilles gustatives, croyez bien que Cécile Delalandre ne se prive pas de lui faire prendre l'air. »

Lionel-Edouard Martin, Ecrivain
Lien : https://lionel-edouard-marti..
Commenter  J’apprécie          50
Cécile Delalandre est un cas. Contrairement à nombre d'apprentis écrivains besogneux qui pullulent comme autant de candidats à la FB academy et qui s'échinent péniblement à singer la coqueluche du moment généralement américaine, tous ces Céline au petit pied, ces Buko en Chantelle, ces Maurras de pacotille, la Delalandre, elle, continue son chemin, droit devant elle, avec son sourire espiègle d'amuseur public qui se moque de tout à commencer par elle, mais jamais des autres, tant elle est gourmande avide des autres et de la vie, autant que des arts, en quête permanente d'un texte, d'un tableau d'une musique qu'elle nous offre en partage. Et lorsqu'elle s'est gavée à satiété de cette pâte humaine dont elle est si friande, elle retrouve son goût profond de la solitude, se retire dans son monde, sa forêt, et elle écrit. Des textes, qui lui ressemblent. Et comme la Delalandre ne ressemble à personne, ses textes ne ressemblent à rien de connu. Bien sûr on peut tenter de lui trouver des affinités. Comme Lewis Carrol ou encore Boris Vian, elle nous fait d'emblée pénétrer dans son univers, un monde étrange, peuplé de créatures très réelles ou bien imaginaires. Et puis il y a le style, incomparable. par son vocabulaire 3 ou 4 fois plus riche que celui de n'importe qui d'un peu cultivé mais surtout par la manière dont elle joue avec les mots, avec leur sens et avec leur sons, avec les images, les odeurs, le toucher qu'ils évoquent, sollicitant non seulement notre cerveau par leur télescopage, mais tous nos sens dans une fête paysanne, sensuelle et parodique, somme toute baroque. C'est du Brueghel du Bosch ; il ya du surréalisme mais un surréalisme qui a pris de la chair et des tripes et qui pourtant peut traverser des paysages que balaient un vent glacial (Hopper, De Staël). Et elle nous sert cela en vaste louchée de tripes, qu'il faut déguster lentement, parce qu'en trois mots elle nous campe tout un univers.
Commenter  J’apprécie          60
C'est un beau cadeau qu'offrent à la littérature les Editions le bateau ivre en publiant Tess et Raoul précédé de Breuilles. Faire le pari de la langue et de la déroute qu'elle porte en elle comme le projet même, perpétuel, de la littérature, c'est bien ce à quoi convoque l'écriture viscérale et féconde de Cécile Delalandre.
Une écriture qui ne masque pas sa source primale, originaire, là où "Ma première défense fut un cri, un cri comme un morceau sorti de mes entrailles et dont le son me plut" et dont le texte dans son corps de patchwork éclaté cherche inlassablement dans les sonorités multiples de notre humanité l'unité fuyante de notre condition d'Être. Les mots, ici, se saisissent de l'être-là obscur et brutal des choses et participent d'une littérature de leur torsion, de leur dévoilement. Tel un "mercremanche" peut-être où "Entre chiens et loups je me fais chat pour dérober à la nuit la lueur de ses ombres."
Il y a là nichée dans l'écriture une phénoménologie réinventée qui adoucit et brutalise d'une même lucidité la conceptualité où nous tenait jusque-là dans une réclusion pantoise la discipline philosophique. Déroutement, donc, où la pensée littéraire de Cécile Delalandre me convoque pour mon plus grand bien et je l'espère celui de ses nombreux lecteurs.
"Pour le reste on ne sait rien."
Commenter  J’apprécie          60
« Un livre à lire à chair ouverte et en pleine conscience.
Un livre qu'il est nécessaire de relire pour identifier le goût de certaines mignardises qu'une première approche, trop rapide, n'aurait pas permis de savourer.
Une étrange lecture qui, sous une note de tête jubilatoire cache une note de fond dramatique.
J'ai lu Tess et Raoul précédé de Breuilles cet été et - alors que cette lecture m'a enchantée – j'ai reporté depuis, de jour en jour, l'écriture de mes impressions de lectrice.
Comment mettre des mots sur un texte qui nous offre un tel feu d'artifice de sensations ?
Mes mots ne risquent-ils pas de desservir un univers dans lequel on entre par la lecture d'un poème d'Henri Michaux, suivi par un premier chapitre intitulé Lemme – un accès en littérature par une porte qui promet au verbe un beau déploiement.
« Ma première défense fut un cri, un cri comme un morphème sorti de mes entrailles et dont le son me plut. Sa désinence en si primal, n'en finissait pas de chanter dans ma bouche… » Ce livre provoque un électrochoc, il bouscule, tant la beauté et l'horreur (mais peut-être n'est-ce pas le mot juste) se disputent le premier rôle. On croit s'aventurer dans un chapitre bucolique et la réalité devenue loup, tapie derrière le buisson d'un paragraphe, nous surprend au détour de notre chemin de lecture.
« Tess a le coeur jaune depuis qu'à sa fenêtre elle a vu des coquelicots avaler goulûment le pré de son carré. C'est un Mardredi gris. Elle s'en fout, son herbe est rouge ; elle exhale comme des notes bleutées d'un instrument à Vian… » (extrait de Tess peint)
Il y a de la couleur, de la musique, de la poésie, de la Commedia dell'arte et de la tragédie grecque dans cette écriture et un tempo fou tenu par des percussions de grande portée où se mêlent les sonorités du Symphonic Metal au rythme du Jazz.
Vous l'aurez compris cette lecture rend les synapses joyeuses et ce malgré un final en apothéose qui donne raison, en toute logique, au réalisme d'une force pénétrante, à la manière d' Egon Schiele.
Pour finir un extrait d'Accroc :

« le gilet de laine noire de Tess a un gros trou juste sous son sein gauche par-dessus son coeur ploum. Des courants d'air glacial s'y plantent comme des morsures de rats. Ils s'infiltrent dans ses tripes pour y larguer des crampes qui s'agrippent méchamment aux parois de son vide. Ça lui fait des spasmes à l'âme et ça déchire la toile de son intime gouache. Elle a mal. »
Carmen Pen Ar Run

Lien : http://parmotsetparcouleurs...
Commenter  J’apprécie          10
"Tess et Raoul" est un petit recueil de textes que j'ai reçu grâce à Masse Critique. L'histoire des deux personnages Tess et Raoul est précédée de "Breuilles", collection de petits poèmes en prose. Habituée à lire et chroniquer des romans policiers et des thrillers adeptes d'une écriture structurée et d'intrigues plus ou moins bien ficelées, j'avoue que l'écriture de Cécile Delelandre m'a un peu déconcertée et que j'ai éprouvé certaines difficultés à entrer dans les textes. Cela dit, l'histoire d'amour de Tess et Raoul est joliment mise en scène par une plume empreinte de poésie. Cécile Delalandre joue avec la langue, avec les mots afin de leur faire dire autre chose que ce qu'ils disent habituellement. C'est déconcertant, ça bouscule...
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Ce soir la lune a pris ses RRT, c'est la Vénus qui bosse. Tess en a profité pour grimper sur les toits et s'asseoir sur le rebord d'une cheminée. Bien calée sur sa brique, son cœur a la trique. L'automne, la nuit et lui, elle exulte.
En bas, la ville, le monde. En haut, Vénus et elle. Quoi de mieux que le toit pour mieux jouir de lui ! Son Aphrodite est pleine, ne sait plus où verser.
L'ardoise des toitures bleuit ses yeux et le vent sec flagelle voluptueusement sa peau qui goutte de lui. Vénus la jalouse et s'amuse à laper le suc de ce si fol amour. Mais l'antre de Tess est si gonflée de lui que ça ne suffit pas à en vider le miel.

(Tess et Raoul, Lui)
Commenter  J’apprécie          00
Du crépuscule à l'aube, Tess reluit de lui. Depuis son Raoul, elle a l'heure frémissante. Ce Mardredi matin, la douche presse la pomme qui jute un filet d'eau glissant entre ses cuisses. Le savon citronné limonade sa peau et confise son fruit d'un sucre qui dit oui. La mousse sur son sein pétille de frissons, elle attrape sa serviette, il est temps de sortir.
Elle enfourche son galop et part vers sa lande où paissent ses espoirs sur le buis de ses doutes. Sa lande c'est son Raoul qu'elle chevauche chaque jour sur un sentier qu'elle cache dans ses pluies d'illusions.

(Tess et Raoul, Son galop sur la lande)
Commenter  J’apprécie          00

autres livres classés : nouvellesVoir plus


Lecteurs (15) Voir plus



Quiz Voir plus

Un couple : un chef d'oeuvre et son musée (n°2/2)

"Impression, soleil levant" de Monet

Musée d'Orsay à Paris
Musée Marmottan-Monet à Paris

10 questions
51 lecteurs ont répondu
Thèmes : peinture , art , culture généraleCréer un quiz sur ce livre

{* *}