La poutre. Le mot lui-même sonne comme un instrument de torture. La nudité parfaite de cet agrès, une sorte de piste de danse dure, si implacablement longue, si perversement mince, renvoie d'emblée à la lumière blafarde des gymnases où les petites championnes sacrifient leur jeunesse.
Toujours étonnant de voir quelqu'un courir, même s'il n'est pas du tout sportif. Stupéfiant comme chacun a sa foulée. Un équilibre corporel si singulier qu'il semble révélateur d'autre chose, d'une vérité intérieure, accentuée le plus souvent par l'image de la souffrance.
Allongée sur la glace en fente avant, elle a cette délicatesse de la main droite qui semble abandonner à regret son précieux fardeau. Dans la mythologie, Sisyphe doit rouler sa pierre à l'infini. C'est un supplice, paraît-il, mais cette nécessité de recommencement, de rituel est aussi tout ce qui donne un sens à la vie des mortels.
La politique d'un tyran peut y enfermer le crime, et quelquefois c'est la foule elle-même qui engendre folie, panique, piétinements, jonchées de morts.
Impavide si l'on veut, car tout son jeu est une fête. Pas une guerre. La souplesse de son coup droit veut dire je suis courtois, facile, j'ai la classe, pas d'arrogance ni de fausse modestie. Mais malgré tout cela je peux gagner.
Courir et jouer pour gagner, c'est bien naïf peut-être, mais c'est leur vérité de ce temps-là. Le rouge enfante le lyrisme, la ferveur. Une colère politique contre l'ordre établi.
Emil Zátopek, Alain Mimoun. Deux visages de douleur, tout au long de leur course, et dans la vie. Deux hommes de devoir, de sacrifice et d'idéal. Deux amis de lumière.