Je le dis d'emblée : il faut être un philosophe aguerri pour comprendre clairement l'ensemble de l'exposé de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans cet essai, "Qu'est-ce que la philosophie ?" Si certains chapitres peuvent être lus sans trop de difficultés, d'autres, notamment celui sur la différenciation de résolution des problèmes entre la philosophie et la science, sont extrêmement complexes. Cette sorte de manifeste est donc destiné à ceux qui maîtrisent déjà les grands principes philosophiques et ont une réceptivité particulière à l'abstraction. Car bien que les auteurs s'appliquent à géométriser les notions exposées, à tenter de structurer leurs pensées, tout reste vigoureusement abstrait. Cependant, je peux, malgré mes limites, indiquer les réponses développées par les philosophes à la question-titre : la philosophie est un constructivisme ; la philosophie est l'art de former, d'inventer, de fabriquer des concepts, de tracer un plan. Mais qu'est-ce qu'un concept ? A quoi sert un concept ? Qu'est-ce qu'un plan d'immanence ? C'est là que tout se complique… Lorsque je lis, par exemple, que « le plan d'immanence aide à penser le multiple dans l'unité mais sans réduction », qu'il est « stratifié en une multitude de coupes dans l'embrouillé du réel »… ben… c'est moi qui m'embrouille !
"Qu'est-ce que la philosophie ?" pourrait sembler être une sorte d'introduction tardive à la philosophie deleuzienne. Si les deux auteurs clarifient leur vision de la philosophie ainsi que celle des sciences, de la logique et de l'art c'est par l'intermédiaire de concepts, ou au moins par un état d'esprit, propres à leur philosophie - le fameux "champ d'immanence" étant l'exemple le plus flagrant. Etudier la philosophie comme philosophie par la philosophie ? Voilà justement le projet, qu'on pourrait peut-être qualifier de réflexif. Il faut prendre cette oeuvre davantage pour une clarification d'une conception diffuse dans les essais précédents que pour une nouvelle étude indépendante : le livre peut se lire indépendamment, bien évidemment, mais il fait sans aucun doute partie d'un projet plus vaste. La célèbre proposition selon laquelle la philosophie consiste à créer des concepts dépasse cela dit le strict cadre de la philosophie de ces auteurs : voilà, à l'évidence, la proposition susceptible de faire le plus consensus. Quant à la structure du livre elle est aisément intuitive.
Une question fondamentale a laquelle Deleuze tente de répondre au travers d'un texte qui représente la quintessence de l'art philosophique . Une jubilation intenseattrape le lecteuqui malgré l'aspect ardu du tout ne peut délaisser un seul instant cette lecture qui s'avére hautement addictive . Une puissance rare pour un sujet trés complexe .
Non, "il [ne] faut [pas] être un philosophe aguerri pour comprendre clairement l'ensemble de l'exposé de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans cet essai…" Non, il faut se laisser porter par les concepts, en écouter la poésie, les imaginer, les ruminer, pour accueillir les affects qu'ils emportent. Un livre performatif...
"Le concept se définit par l'inséparabilité d'un nombre fini de composantes hétérogènes parcourues par un point en survol absolu, à vitesse infinie."
Outre le fait de répondre à la question que pose son titre (philosopher c'est créer des concepts), l'ouvrage énonce la structure et des mécanismes mis en oeuvre dans l'action de philosopher : le concept, le plan d'immanence, les personnages conceptuels, ...
Un ouvrage très dense, très complexe, très riche. Une sorte d'ontologie-épistémologie de la Philosophie elle-même. L'admiration précède presque la jubilation intellectuelle lors de la lecture...
N'hésitez pas même une seconde à l'acquérir ou l'emprunter, faites chauffer vos neurones et régalez-vous comme rarement !
Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos. Rien n’est plus douloureux, plus angoissant qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées,… Nous perdons sans cesse nos idées. C’est pourquoi nous voulons tant nous accrocher à des opinions arrêtées… Mais l’art, la science, la philosophie exigent davantage : ils tirent des plans sur le chaos. Ces trois disciplines ne sont pas comme les religions qui invoquent des dynasties de dieux, ou l’épiphanie d’un seul dieu pour peindre sur l’ombrelle un firmament d’où dériveraient nos opinions. La philosophie, la science et l’art veulent que nous déchirions le firmament et que nous plongions dans le chaos. Nous ne le vaincrons qu’à ce prix.
Le jeune homme sourira sur la toile autant que celle-ci durera. Le sang bat sous la peau de ce visage de femme, et le vent agite une branche, un groupe d'hommes s'apprête à partir. Dans un roman ou dans un film, le jeune homme cessera de sourire, mais recommencera si l'on se reporte à telle page ou à tel moment. L'art conserve, et c'est la seule chose au monde qui se conserve.
Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos. Rien n’est plus douloureux, plus angoissant qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées,… Nous perdons sans cesse nos idées. C’est pourquoi nous voulons tant nous accrocher à des opinions arrêtées… Mais l’art, la science, la philosophie exigent davantage : ils tirent des plans sur le chaos.
Ce qui ne peut pas être pensé, et pourtant doit être pensé, cela fut pensé une fois, comme le Christ s'est incarné une fois, pour montrer cette fois la possibilité de l'impossible. Aussi Spinoza est-il le Christ des philosophes, et les plus grands philosophes ne sont guère que des apôtres, qui s'éloignent ou se rapprochent de ce mystère. Spinoza, le devenir-philosophe infini. Il a montré, dressé, pensé le plan d'immanence "le meilleur", c'est-à-dire le plus pur, celui qui ne se donne pas au transcendant ni ne redonne du transcendant, celui qui inspire le moins d'illusions, de mauvais sentiments et de perceptions erronées.
Nous sommes à l’âge de la communication, mais tout âme bien née fuit et rampe au loin chaque fois qu’on lui propose une petite discussion, un colloque, une simple conversation. Dans toute conversation, c’est toujours le sort de la philosophie qui s’agite, et beaucoup de discussions philosophiques en tant que telles ne dépassent pas celle sur le fromage, injures comprises et affrontement de conceptions du monde. La philosophie de la communication s’épuise dans la recherche d’une opinion universelle libérale comme consensus, sous lequel on retrouve les perceptions et affections cyniques du capitaliste en personne.
Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?