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Etoiles Notabénistes : ****** Editions : Flammarion - Octobre 1966 pour les deux tomes ISBN : non usité à l'époque Les Delly ne se sont pas contentés de reprendre des contes de fées et de les napper d'une sauce plus moderne que celles utilisées par Perrault, les frères Grimm ou Andersen. Ils ont produit, par-ci, par-là, de véritables romans d'aventures, certains patriotiques avant tout comme "Le Mystère de Ker-Even", d'autres basés sur un crime comme pour "Le Roi de Kidji" et son binôme, "Elfrida Norsten" à moins que ce ne soit sur un crime et une spoliation, voire une séquestration, comme la trilogie d"Ourida". Crime et spoliation encore dans ce que l'on peut considérer comme leur chef-d'oeuvre en la matière : "La Lune d'Or", roman en deux tomes que nous avons le grand plaisir de vous présenter aujourd'hui. Marguerite Duras, dit-on, avait honte de révéler que, jeune fille, elle avait voué une véritable passion à l'oeuvre de Delly. En ce qui me concerne et même s'il est hors de question que j'atteigne jamais à la notoriété de Mme Duras, j'avoue sans vergogne que mon intérêt pour les civilisations pré-colombiennes, en particulier pour la civilisation aztèque, vient en droite ligne de la lecture de "La Lune d'Or". Eh ! oui, ça peut paraître baroque, étrange à plus d'un titre mais, sans Delly, jamais je n'eusse lu le mémorable "L'Aigle Aztèque Est Tombé" de Carlo Coccioli sans compter d'autres ouvrages, ceux-là documentaires, consacrés aux adorateurs de Quetzalcoatl et de Tlaloc. Les Voies du Grand Dieu Thôt sont impénétrables, on ne le répétera jamais assez ... ;o) Pour dévider le plus brièvement possible les fils de l'intrigue - que ceux qui ont ri quand ils ont lu "brièvement" se dénoncent immédiatement - disons que cet ouvrage de Delly se fonde sur la recherche, par des héritiers légitimes et par une aventurière qui restera, dans les annales dellyesques, comme un personnage difficilement oubliable, du "placer d'Octezuma", dernier Grand Prêtre de la Lune connu et parent proche, qui en douterait, du dernier Empereur aztèque. En d'autres termes, tout ce petit monde, les "bons" comme les "méchants", est en quête d'un fabuleux gisement d'or et d'un temple, non moins extraordinaire, enfouis dans les profondeurs de la Sonora. Conscient de l'avidité que déclenchait la seule idée de l'or dans la cervelle des Conquistadores et de ceux qui les suivirent, Octezuma, avant de se donner la mort, brisa en deux le bijou - une lune d'or ornée de pierres précieuses - qui permettait aux seuls initiés d'ouvrir le Temple de la Lune dont il avait la charge, et en légua chacune des moitiés à ses descendants. A l'époque où s'ouvre le roman - j'opte personnellement pour la fin du XIXème siècle ou le tout début du XXème - l'une des demi-lunes est volée à son héritière légitime, Paz, comtesse de Chantelaure, par sa cousine, Hermosa Barral, qui, de surcroît, non contente d'avoir séduit le volage Arnaud de Chantelaure, empoisonne lentement la jeune femme et dresse la petite fille du couple, Rosario, alors âgée d'à peu près dix ans, contre les possesseurs de l'autre partie du bijou, Don Pedro de Sorres et son fils, don Ruiz, tous deux cousins de la malheureuse Paz. La confiance que la petite Rosario accorde à sa belle-mère est primordiale car elle permettra aux auteurs d'élaborer, dans le deuxième tome, l'une des plus belles et des plus violentes passions romanesques qu'ils ont jamais inventées. Mais tout cela, ou vous le remémorez déjà avec émotion , ou vous brûlez de le découvrir et je n'irai pas plus loin. En fait j'aimerais attirer l'attention sur quelques points qui rendent "La Lune d'Or" carrément atypique dans l'oeuvre d'un auteur unanimement considéré comme anti-sémite, bondieusard, franchouillard, et j'en passe ... (Signalons d'ailleurs au passage qu'un semblable atypisme se manifeste dans "Sous le Masque" et "Le Secret du Koo-Koo-Noor", dont nous parlerons un de ces jours.) 1) Tout d'abord, le frère et la soeur n'ont pas écrit n'importe quoi. Ils se sont renseignés sur le pays où se déroule l'essentiel de l'action, le Mexique, tant sur ses aspects modernes que sur son passé pré-colombien. Et le lecteur les sent tous deux émerveillés par la beauté des paysages et par la grandeur, passée et présente, du pays ; 2) ensuite, il est clair que, à leurs yeux, si l'on excepte certaines "brebis galeuses" que l'on trouve, bien sûr, dans toutes les peuplades du monde, les Amérindiens - notamment les Comanches et les Apaches, pourtant longtemps représentés, tant dans les livres qu'au cinéma, comme particulièrement cruels - sont des êtres humains à part entière et que les civilisations qui les ont précédés, lesquelles n'étaient pourtant pas chrétiennes, loin de là, sont dignes de respect. L'un des grands projets des Sorres père et fils, très amis avec les Comanches, serait d'ailleurs le rétablissement de "la Grande Nation Indienne" au Mexique, ce à quoi pourraient servir les prodigieuses richesses du Temple de la Lune, si l'on parvient non seulement à le découvrir mais encore à y pénétrer. Sachant que le texte n'a pas été retouché, le lecteur honnête ne peut que constater ici une ouverture d'esprit étonnante et pour le moins très moderne qu'on a trop souvent niée à Delly ; 3) puis, en ce qui concerne l'érotisme indéniable qui sous-tend nombre des meilleurs romans de Delly, la relation Rosario-Ruiz se révèle des plus parlantes : rapport de forces, non-consommation physique du mariage (même aujourd'hui, on ne peut demander l'annulation de son mariage en Cour de Rome que s'il n'y a pas eu consommation), indication quasi cryptée mais bel et bien présente du moment qui marque cette consommation, subtil parfum de sado-masochisme un peu à la "Pamela" de Richardson, violence et attirance, tant physique que morale, de deux natures qui se fascinent l'une l'autre ... On ajoutera à cela que l'empire pris par Hermosa Barral sur le comte de Chantelaure est avant tout physique. Certes, cela n'est pas exprimé aussi crûment que dans cette fiche mais la chose est criante. A étudier également, mais dans le second volume, le personnage de Trinidad, la fille d'Hermosa, et sa façon d'agir avec les hommes, sans oublier les intentions de viol de l'horrible Manuel Ferrago envers la malheureuse Rosario qui ne lui a pourtant fait aucune avance ; 4) enfin, pour une fois et bien que Rosario soit pensionnaire dans deux couvents successifs, l'accent sur la religion catholique n'est pas mis de façon aussi accentuée que d'habitude. Certes, les Indiens mis à part, tout le monde est (ou a été) catholique dans l'histoire mais Delly s'en tient là. C'est d'autant plus curieux que, dans un pays comme le Mexique, le catholicisme, comme on le sait, a eu la part très belle. Toujours aussi impeccable, le style guide une action haletante, dont certains détours sont prévisibles, d'autres, moins. En tous cas, le lecteur sans a priori se laissera prendre avec plaisir aux mille et un rebondissements de cette intrigue tout à fait à part dans l'oeuvre dellyesque et ne manquera pas d'admirer la profondeur des personnages, la vérité que l'auteur a su leur conférer à tous, "bons" et "mauvais" réunis. Bref, vous savez ce qu'il vous reste à faire : lire ou relire "La Lune d'Or" de Delly. ;o) + Lire la suite |