L'histoire de la Milice semble se confondre avec celle de son chef, Joseph Darnand, ce soldat irréprochable auréolé d'une légende héroïque forgée sur les champs de bataille (ceux de 14-18). Au départ, en vieux combattant de la Droite la plus réactionnaire, l'homme n'aime pas le "boche". Il en est malheureusement prisonnier au terme des combats de 1940. Il s'évade pourtant, l'idée chevillée au corps qu'il peut encore recueillir quelque gloire en poursuivant la lutte.
Mais voilà, il exècre encore plus le libéralisme et la démocratie que les Allemands, ce qui va le conduire aux pires choix, ceux de la collaboration avec l'occupant, ceux d'une franche participation à la mise en place d'instruments para-légaux instituant tortures et répression, ce qui alla jusqu'à prêter assistance aux massacres commis par des S.S fanatisés, et enfin, pour certains, à endosser l'uniforme maudit de l'ennemi afin de lutter contre le communisme, cet hydre stalinienne dont on affecte de redouter l'inhumanité, tout en ne voulant pas voir celle des nouveaux maîtres que l'on s'est choisi. Bien évidemment, dans l'itinéraire de ces hommes, représentés et incarnés par Darnand et consorts, l'inattendue défaite a pesé d'un grand poids. Elle revenait pour eux à un délitement soudain, à un effondrement massif de leur monde. Mais, bien plus, elle introduisait un profond sentiment d'infériorité par rapport au peuple allemand, censé incarner la quintessence d'un modèle appelé à dominer l'Europe, voir le monde. Dans cette optique, le "Français", devenu simple supplétif du vainqueur, se doit de regagner sa place au soleil et, pour ainsi dire, à la table des guerriers germaniques. C'est ce qui explicite la radicalité de plus en plus totalitaire des partisans de Darnand. Mais aussi leur profonde coupure d'un corps national dont ils s'affirment pourtant les ardents défenseurs, de ce peuple qui ne cesse de souffrir sous leur férule nazifiée et passe donc logiquement du côté de ceux qui résistent.
De plus, Vichy, la Milice et, partant, l'ensemble de la superstructure gouvernementale collaborationniste, s'organisent autour d'une confrontation schizophrénique entre d'une part ces "radicaux" risque-tout qu'une totale acculturation au national-socialisme n'a pas rebutés et, d'autre part, le camp de ceux qui, abrités derrière la figure tutélaire du Maréchal, tentent de préparer une volte-face synonyme de revanche sur l'Allemagne et donc un alignement sur les thèses gaullistes. Beaucoup de ces derniers finiront pas couper définitivement les ponts avec le collaborationnisme vichyssois, tant la compromission avec le fascisme et la perversité de certains des miliciens les écoeureront. Demeurent cependant les enfants perdus de la France de 1940, ce pays disloqué par l'invasion ennemie autant qu'ébranlé moralement par la dissolution de son identité nationale traditionnelle. Ceux-là, prisonniers d'une idéologie prédatrice qui les exploitera jusqu'au dernier instant, ou victimes consentantes d'une utopie perverse vécue comme un tremplin vers la réussite personnelle, feront parti des derniers fantassins du régime dans les ruines de ce qui devait être "la capitale millénaire" du Reich nazi.
L'après-guerre, tant redouté et combattu, ne sera pour eux qu'une fuite éperdue vers un anonymat réconfortant, qu'une négation de leurs crimes violents et des pires actes qu'ils furent amenés à commettre soi-disant au nom de leur pays, ce succédané pervers de la France véritable, celle de la Révolution de 1789 et de la démocratie libérale. Certains, bien sûr, n'échapperont pas au courroux réparateur d'un peuple massivement converti aux idéaux de la Résistance. Condamnés, déchus de leurs droits de citoyens, fusillés au poteau de l'infamie, exilés en terres lointaines sans possibilité de pardon ou de retour, ces hommes demeureront en quelque sorte des énigmes. Et c'est justement afin d'éclairer leurs parcours, leurs motivations, ainsi que ce qui les conduisit à la collaboration, que
Jacques Delperrie de Bayac nous en narre l'histoire dans ses aspects les plus événementiels, ce qui le conduit tout naturellement à adopter une grille d'analyse exclusivement chronologique. L'ouvrage aurait, il est vrai, gagné à se voir doté d'un plan plus synthétique, seul à même de permettre une fidèle reconstitution de ce phénomène largement commun aux totalitarisme ; c'est-à-dire l'établissement et le développement de forces "para-légales" de lutte contre les oppositions internes. A sa décharge, il faut tout de même remarquer que l'étude date maintenant beaucoup (1969) et qu'il est donc naturel qu'elle pêche par manque de recul sur l'événement.
En définitive, cette "Histoire de la Milice", même si elle s'avère largement dépassée par les recherches récentes, permet tout de même de satisfaire le besoin de connaissance du lecteur en le confrontant à la trajectoire de cet organe totalitaire étranger à la culture démocratique de la République française, mais dont l'implantation et la pérennisation furent pourtant envisagées par un pouvoir pétainiste avant tout désireux d'acculturer localement un modèle totalitaire réactionnaire, voir rétrograde.
684 pages