On a tous en tête un car revenant de Barcelone, après un voyage scolaire mêlant sérieux et déconne ; il fallait mettre au moins un peu d'animation pour tous ces Quatrièmes en manque d'occupation ; alors les deux profs d'espagnol ayant bu trop de gnôle lancèrent leur top seventies, pas besoin d'faire d'analyse.
Alors le car roulait, et les élèves chantaient, un truc qui me colle encore à la peau :
Besoin de rien, envie de toi,
Comme jamais envie de personne…
On a tous en tête un bus scolaire à Venise, entre l'marchand d'porte-clés et celui de Mr Freeze ; les élèves s'entassant plutôt mal réveillés, le whisky dans les chambres ça profite jamais ; le professeur d'arts plastiques montrait son répertoire, qui au moins valait mieux qu'celui du prof d'histoire, qui durant le voyage aux châteaux de la Louère entonnait rien qu'pour nous La maison du grand cerf.
Et de la pluie tombait, et l'prof d'arpla chantait, un truc qui me colle encore à la peau :
Quand Margot défaisait son corsage,
Pour donner la gougoutte à son chat…
On a tous en tête le chemin vers Florence, ses hôtels aux p'tits-déjs souvent plus ou moins rances ; et le car roulait, et personne chantait, car pour tuer le temps j'usais mon stock de blagues sur les clichés des italiens.
Ah, Florence… La première fois que je découvrais que tous les élèves se bourraient la gueule en cachette, chaque soir… L'époque où le délégué que vous admiriez entrait dans votre dortoir à une heure du matin pour vous faire des propositions pour le moins insolites, celle où vous vous demandiez sans cesse si vous n'étiez pas dans la seule chambre de l'immeuble où ne se déroulait pas une gigantesque partouze… le temps où vos camarades avaient trouvé une solution astucieuse pour se débarrasser de leur bouteille de vodka, à savoir la boire au goulot avant de se rendre compte qu'il y en avait une deuxième… Bref, la découverte de l'aventure et de la sensualité comme tout ado devrait la vivre.
En ce qui me concerne, j'ai toujours préféré Venise à Florence, mais force est de constater que cette ville n'en a pas moins joué un rôle autant sinon plus important dans l'histoire de l'Italie. Cité de tous les arts, de tous les complots, elle ne cesse d'intriguer, et donc d'inspirer nombre de romans. Ce n'est pas
Romain Delplancq qui me contredira avec ce Renaissance-fantastique qui inaugure le tome 1 du diptyque le sang des princes. À première vue, on dirait de la fantasy politique européenne sans grande originalité, à un détail près : ici, l'art n'est pas juste pour faire joli sur le fond vert, mais possède une des places centrales au sein du récit. On s'est souvent penchés sur comment la magie pourraient modifier la guerre, voire la vie de tous les jours, mais honnêtement, combien de personnes ont réfléchi à l'impact culturel qu'elle pourrait avoir ? Et quand bien même cette première question n'est finalement pas abordée dans le livre, quel pouvoir obtiendraient les habitants d'un monde secondaire qui détiendraient dans les arts un savoir-faire méconnu des autres peuples ? Autant vous dire que j'étais chaud dès le moment où la camarade Boudicca en posta sa critique : ce bouquin n'annonçait que du bon !
Worldbuilding, intrigue
Donc L'appel des Illustres c'est l'histoire de Tandal, une ville vachement inspirée de Florence où les ducs Spadelpietra (vachement inspirés des Médicis) s'imposent comme la principale famille de richous de la ville, même s'ils sont osef par rapport à l'art (du moins officiellement). Ainsi ils forment un clan déterminant sur l'échiquier politique, promulguant un humanisme social à travers toute la Slasie, un pays vachement inspiré de l'Italie (Porto-Vecho fait d'ailleurs penser furieusement à Porto-Vecchio). Mais quand un tableau provoque pour des raisons inconnues la mort d'une enfant épileptique de leur entourage, forcément ça va barder. Leurs regards se tournent vers Mical, jeune peintre au service des moines de la religion alfine (vachement inspirée du catholicisme), qui se voit contraint de fuir chez les Austrois, un peuple nomade vachement inspiré des gitans…
Vous l'aurez compris, on a donc un monde pas franchement original, si ce n'est (à la rigueur) qu'il prend pour cadre la Renaissance au lieu du Moyen Âge relativement plus fréquent. Mais pour moi, il s'agit d'un défaut au final très secondaire, d'une part parce que je reste dans ma zone de con fort (comme dirait Caracole), d'une autre parce que tout comme pour un cycle tel que La dague et la fortune, l'important n'est pas la nouveauté du worldbuilding, mais l'angle sous lequel il est traité. Je n'aurais donc aucun problème de ce côté si l'auteur ne faisait pas aussi fortement allusion à ses références jusqu'à reprendre le vocabulaire tzigane ou changer seulement une lettre d'un prénom existant…
Du reste, on possède là un traitement tout à fait singulier : les différents arts de la Renaissance sont envisagés avec un réalisme et une documentation exemplaire, pour ne pas dire hard-fantasy : musique, peinture, théâtre, ect. On notera par ailleurs que si le roman est totalement dépourvu de sexe, il s'agit d'un des rares mentionnant des péripatéticiennes non pas simplement pour rincer l'oeil de l'adolescent prépubère, mais pour se pencher, même brièvement, sur les différents mécanismes de gestion (mais oui) des ces start-ups particulières.
Les Austrois pour les machineries de leurs spectacles fabriquent entre autres des automates ; si de la « vraie » Renaissance (celle reconnue par les universitaires, en gros juste
François Ier) aux Lumières, il existait déjà des automates très perfectionnés, certains d'entre eux ici occupent des fonctions nettement plus spéculatives que les autres. En outre, il existe entre autres des éléments mécaniques au fonctionnement sur lequel l'auteur s'étend peu, les tenseurs, qui eux aussi font s'inscrire le roman dans le clockpunk puisqu'ils possèdent les propriétés d'un moteur moderne, au point d'ailleurs d'avoir remplacé les chevaux des Austrois ou les voiles des bateaux, ou même de créer des technologies… à la Batman. Si ce côté rétrofuturiste reste au second plan de l'histoire, il ne s'avère pas gadget puisqu'il sert notamment pour une scène de course-poursuite… qui aurait pu donner un grand moment si seulement les armes à feu n'apparaissaient pas comme une surprise pour quasiment tous les personnages (bon, OK, les technologies n'ont pas forcément été inventées dans le même ordre que notre monde, mais attention mini-spoil, si les Austrois sont les seuls à y avoir accès, m'est avis qu'ils seraient un peu mieux lotis, et avouez que ça aurait donné du piment !).
Style
Or tout cela est bien joli, mais j'ai choisi de m'atteler à ce livre principalement pour le style ; on me vantait le bouquin comme immersif et parvenant à retracer les scènes de création d'oeuvres avec la même intensité émotionnelle que celles d'action, et il faut dire que sur ce coup, j'en ai eu pour mon argent. On entre dans quelque chose de réellement poétique, pas dans le sens Hervé c'est Bonnard et les jolies fleurs bleues, mais cette poésie puissante que des siècles d'auteurs du monde entier ont tenté d'élucider (les anglo-saxons étant, à mon humble avis, bien supérieurs là-dedans que les français). Quand la chose décrite prend des proportions gigantesques, quand la simple évocation des mots sans que vous ayez à en comprendre plus que le sens global vous donne l'impression de toucher au sublime, alors vous savez que vous avez affaire à de la vraie poésie.
Ici,
Romain Delplancq retient ses effets mais sait les lâcher lors du bon moment : quand on atteint un climax dramatique, à ce moment l'art devient tout particulièrement important, et l'on passe de simples descriptions quoiqu'assez techniques à un pur ressenti de l'artiste envers le travail sur lequel il est focalisé. de façon plus générale, la plume romanesque s'inspire bien plus de l'école anglo-saxonne, visant avant tout à se faire directe, que de celle française, cherchant midi à quatorze heures à grands renforts de poésie ampoulée. le tout est d'immerger le lecteur dans la fiction, et ce par des phrases relativement simples n'excluant pas des subtilités telles que le sous-entendu. Leur longueur varie selon si nous sommes au coeur de l'action ou dans un instant plus inspiré du quotidien. La ponctuation se calque sur la respiration que l'on devrait avoir en lisant le texte à voix haute, de manière à ce qu'on ait le flux de mots le plus fluide possible ; exit donc les points d'exclamations hors dialogues et tous ces effets fête foraine, l'intensité dramatique doit se sentir dans le texte en lui-même. Ça peut sembler la base, mais c'est toujours bon de le rappeler connaissant le dilettantisme qu'on a en France (notamment dans l'autoédition).
Alors oui évidemment, par moments il y a plusieurs fois le verbe avoir dans une seule phrase, ce qui fera râler les élites bobo-intello-droitos et qui ne me fait pour ma pomme rien du tout. Au contraire, je trouve que la répétition, outre le fait que s'en passer nous oblige à utiliser des synonymes et périphrases par moments laborieux, peut apporter au texte une sensation d'immersion plus grande, tant elle paraît naturelle et peut retranscrire une action mécanique, répétitive, et donc demandant des efforts. C'est un de mes échecs, je le confesse, durant mes réécritures du Dernier Vagabond [roman que j'ai écrit mais encore jamais publié, ndlr], l'idée d'opter pour une musicalité minimaliste et rigide du texte afin de transmettre les difficultés du héros ; l'idéal aurait été d'écrire des phrases entières où chaque proposition aurait la même longueur de syllabes.
Mais fatalement, si on suit ce cheminement de pensée, on en arrive au piège d'alourdir trop le texte avec une figure de style qui donne du piment mais qui ne doit donc pas être semée à tout bout de champ : les allitérations. Et avouons-le, moi le premier, on est tous tentés par l'envie d'en truffer nos paragraphes. Ici, c'est globalement bien dosé, même si on s'aventure là sur un terrain hautement subjectif et que j'ai une ou deux fois grincé des dents face à des trucs que j'aurais pu écrire moi-même il y a un ou deux ans. Signalons également une quantité de termes inutilement soutenus qui ne fait qu'augmenter au fil du texte, ce qui semble être notre lot à tous, nous pauvres écrivains français…
Pur ressenti
Tout ça pourrait donner un bouquin agréable, mais passable ; pourtant, on est carrément un cran au-dessus. Parce que oui, même si les Austrois sont fortement inspirés des tziganes, ils parviennent à développer leur propre identité, grâce au fait qu'ils s'immiscent un peu partout dans les mondes de la culture et de l'ingénierie. L'auteur dépeint leur vie sans l'idéaliser, ni la tourner en clichés bobos ou racistes : on est mal vus, mais on tente de survivre, et de là sortent des moments de franche camaraderie. En matière de précision dans le naturel ou dans l'intensité dramatique, il y a à mon avis là-dedans un ou deux moments qui tutoient le
Guy Gavriel Kay. Ça parle de la dure vie des vagabonds, des intermittents du spectacle, mais surtout de l'amour de l'art, et ça, ça fait du bien.
Par contre, il va falloir que le tome 2 soit un peu plus dynamique. Parce que mine de rien, les 300 premières pages peuvent se résumer comme ça : Mical risque de se faire capturer, mais en fait non, et ce à chaque fois. Sachant que les indices sur ses kidnappeurs sont distillés au compte-gouttes, ça créée une certaine frustration ; mais les retournements de situations restent cela dit suffisamment imprévisibles (quand bien même on sait qu'ils vont forcément arriver ^^) pour éviter que celle-ci ne devienne importante…
Conclusion
En bref, L'Appel des Illustres constitue un très bon premier roman, mais qui possède le potentiel de devenir infiniment plus. Reste à savoir si le tome 2 sera à la hauteur du défi, et alors nous aurons un auteur français à surveiller sérieusement. Après, je dis ça, c'est pour votre culture…
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