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EAN : 9782882508058
224 pages
Noir sur blanc (05/01/2023)
3.09/5   86 notes
Résumé :
Etienne rentre de vacances avec sa famille parfaite et son apparent bien-être. Sa vie est confortable, routinière. Il mène une vie normale, c'est l'essentiel.

Quand soudain, on annonce à la radio la mort de Jean-Jacques Goldman.

Avec cet adieu au totem et au ciment des classes moyennes, Aurélien Delsaux tire à vue sur notre époque, et il la touche en plein coeur.
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
3,09

sur 86 notes
Etienne, quarante-cinq ans, rentre en voiture de la baie d'Audierne où il a passé ses vacances chez ses beaux-parents avec sa femme Blanche et ses enfants Laetitia et Félix. A la radio, peu avant d'arriver à Lyon, la ville où il habite, il entend la nouvelle de la mort de Jean-Jacques Goldman, son idole, qui le consterne et le bouleverse. Médecin dans un laboratoire, il avait jusqu'alors une vie rangée mais celle-ci va s'effriter peu à peu : sa femme adopte un chien qui prend tant d'importance qu'elle est obligée de découcher pour être à ses côtés plutôt qu'à ceux de son mari. Sa fille a un amant plus vieux que son père, et son fils ne jure plus que par la Bible. Tous les repères d'Etienne s'effacent peu à peu, il ne comprend plus rien à sa vie et au monde. Tout se passe comme si le décès de Jean-Jacques Goldman avait mis un terme à la normalité de sa vie. ● Ce roman confère au lecteur une impression d'« inquiétante étrangeté ». Les personnages, sans être fous, n'obéissent plus à la rationalité habituelle. On se demande sans arrêt ce qui se passe vraiment, et l'auteur est assez habile pour nous le cacher toujours. On a l'impression d'une catastrophe imminente, sans savoir laquelle. ● le monde semble malade et déréglé mais ses symptômes sont très discrets : certes, on remarque dès le début du roman que fin août il fait 41 degrés ; l'immeuble face à celui d'Etienne est démoli pour édifier un « chalet » destiné aux étrangers sans papiers et une pétition circule pour en contester la construction ; mais tout cela est en arrière-plan et ne semble pas être la cause directe de la crise existentielle d'Etienne. ● le monde d'Etienne s'écroule car le décès de son idole d'adolescence lui permet de voir ce qu'avant il ne voulait ou ne pouvait pas voir, anesthésié qu'il était dans sa vie de membre de la classe moyenne supérieure, d'où le titre du roman, particulièrement bien choisi, même si (ou parce qu')il fait penser à un essai de sociologie. L'auteur évite cependant dans tout le roman l'écueil d'une écriture sociologique, à la manière de Houellebecq par exemple. Sous sa plume, tout est narratif, rien n'est démonstratif. le tragique et l'absurde, bien présents, laissent une place à l'humour, fût-il grinçant. ● le style d'Aurélien Delsaux est particulièrement agréable ; il est ciselé et émaillé de formules qui font mouche. ● C‘est là un roman qui sort de l'ordinaire, une sorte de Nausée du XXIe siècle, qui vaut le détour ! ● Je remercie NetGalley et les éditions Noir sur blanc de m'avoir permis de lire ce livre.
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La mort de Jean-Jacques Goldman, voilà le genre d'évènement dont l'annonce est susceptible d'ancrer notre existence dans des souvenirs précis. Etienne est simplement de retour de vacances quand la nouvelle lui parvient, avec sa petite famille moyenne, femme, fille et garçon. On apprendra dès lors à connaître sa vie moyenne de cadre sup moyen, par sa propension à tutoyer la banalité, et surtout sa vocation pour passer à côté, à côté de lui, à côté des siens, à côté de la vie. À se demander ce qu'il fait là sur cette terre. Son enveloppe charnelle s'adresse à la métaphysique absurde d'une existence qui tend petit à petit à s'estomper : « et voilà pourquoi tout disparaissait, voilà pourquoi le monde s'effaçait de moi en même temps que je m'effaçais du monde ». Nous aurons ainsi droit à un monologue intérieur et à une sobriété interactive de rigueur pour cet anti-héros, qui s'enfonce dans une espèce de léthargie du quotidien.
Rien à dire sur la forme dans ce roman, elle paraît même parfaitement travaillée et modelée sur le fond. Les objets sont présents, les banalités quotidiennes envahissantes, les réflexions omniprésentes, les discussions peu souvent en direct font des irruptions inopinées dans la monotonie intérieure d'Etienne, marquées par des italiques. Cohérente la forme. Peut-être même trop. le travers en étant un effet de porosité, l'ennui du narrateur pouvant déteindre sur le lecteur, qui devra dès lors faire un effort pour s'intéresser à cette monotone descente dans la léthargie, comme une petite déprime morose, même pas violente. Les anti-héros de la sorte sont courants, on peut penser aux différents Paul de Jean-Paul Dubois, j'ai pensé à « Mon chien stupide » de John Fante surtout quand Blanche ramène un chien, on pourrait rajouter Oblomov de Gontcharov et sa paresse légendaire, même si ce n'est pas forcément le trait principal d'Étienne ici. Mais là où ces auteurs nous retiennent avec leur petite folie, ici le personnage semble fade en comparaison, trop sérieux, presque trop bien fait. C'est sûrement un parti pris de l'auteur. Certains pourront applaudir la performance en arguant la cohérence indéniable, de mon côté je ne peux malheureusement occulter le manque d'entrain ressenti dans cette lecture. Pas sûr pour le coup que je me souvienne de ce roman, si j'apprends un jour le décès de Goldman.

Merci à Babélio et aux Éditions Noir sur Blanc pour l'envoi de ce roman dans le cadre de masse critique.
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Etienne, médecin en laboratoire, rentre de vacances avec son épouse Blanche et leurs deux enfants Laetitia et Felix. Quand la radio annonce le décès de JJGoldman.

Et là , toutes les certitudes s'effondrent. La vie , si réglée entre le bel appartement, les métiers à responsabilité et les enfants bien peignés, plus rien ne va être comme avant, comme Blanche qui a besoin d'un chien pour se sentir en sécurité.
Cela partait bien , idée originale , écriture agréable et soignée . Et puis , je me suis perdu entre les dépressifs et malgré un gros éclat de rire au milieu de la lecture , le reste m'a paru bien morne et honnêtement ne m'a pas trop intéressé.
Alors, oui, on peut voir quelques critiques de notre société, vaguement esquissées.
Je me suis longtemps demandé comment on pouvait parler de classe moyenne quand on est médecin et, avocat, mais elle est ailleurs la middle class, elle est de le public de JJG, humble, discret comme lui, qu'on l'aime ou pas .
Il n'empêche que l'idée de départ est bonne et l'écriture très agréable . Si l'on ajoute la rapidité de la lecture , cela peut se tenter.

Une lecture rapide
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Tout est parfaitement sous contrôle lorsqu'au volant de sa voiture, le narrateur prend le chemin du retour vers Lyon après de merveilleuses vacances dans la merveilleuse maison de ses beaux-parents face à la merveilleuse baie d'Audierne. Pourquoi la personnalité préférée des français pendant de nombreuses années, à savoir Jean-Jacques Goldman, choisit-il ce moment de parfaite harmonie pour tirer sa révérence ? Et par là même semer le trouble dans l'esprit de l'homme, dont l'univers semble d'un coup s'effriter comme une image tout à coup déformée par le bris d'un miroir. Son épouse bien aimée a décider d'adopter un Rottweiler, sa fille ainée a des velléités d'autonomie et son jeune fils des lectures tendancieuses. Au travail, c'est la même ambiance décalée : l'homme ne parvient plus à faire coïncider ce qu'il observe et ce que son modèle de pensée a mis en place depuis tant d'années.

Le résultat est un récit étrange, à la frontière de la dystopie et du délire de la maladie mentale.
Portée par une écriture qui correspond parfaitement à l'univers que met en place le personnage principal, je me suis laissée emportée par le projet. Car ce biais de narration permet malgré tout un certain nombre de réflexions bien vues sur notre mode de vie.

Entièrement centré sur le ressenti du narrateur, on n'en saura pas plus sur ce qui se passe réellement, et peu importe.


Aurélien Delsaux m' a vraiment donné envie de lire ses précédents romans.

224 pages Buchet Chastel 14 février 2023
Sélection prix orange 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Un décès déstabilisant

Dans cette comédie dramatique Aurélien Delsaux imagine un père de famille touché par l'annonce du décès de Jean-Jacques Goldmann. À compter de ce moment, il va regarder son épouse, son fils et sa fille avec un oeil différent et se perdre en conjectures.

C'est sur la route du retour des vacances, de Bretagne à Lyon, que le narrateur apprend la mort de Jean-Jacques Goldman. Mais il garde cette information perturbante pour lui. «Ce ne fut qu'une fois Félix et Laetitia couchés, les valises défaites, que je dis à Blanche que Jean-Jacques Goldman était mort, et que ça me faisait bizarre. Sa disparition marquait la fin d'une histoire – une histoire liée à mon enfance, à mon milieu d'origine, village et famille, à tous les miens.»
Ce qui le trouble tout d'abord, c'est qu'il a l'impression qu'autour de lui la nouvelle n'émeut pas plus que ça. Chacun continue à vaquer à ses occupations. Ses enfants continuent à ne pas faire honneur au petit-déjeuner et Blanche ne lui adresse qu'une petite phrase de réconfort.
Dans son entreprise aussi, la routine – après le compte-rendu des vacances de chacun – a repris ses droits.
À compter de ce moment, il y a deux lectures possibles de la suite des opérations. Je vous laisse choisir la vôtre.
La première est à charge. Étienne perd le sens des réalités et ne comprend plus sa famille. Pourquoi Blanche décide-t-elle d'acheter un rottweiler pour la protéger et quitte quelques jours le domicile pour s'acclimater à son chien? Pourquoi son fils cache-t-il une bible dans sa chambre? Pourquoi sa fille, devenue femme, choisit-elle un amant qui a quasiment son âge? Autant d'interrogations qui vont le perturber au point de chercher refuge dans la fuite – il cherche un refuge dans les bois – ou dans l'alcool.
La seconde version est à décharge. On peut considérer que la mort de son idole a enclenché un processus d'hypersensibilisation et que le schéma d'une famille heureuse et équilibrée qu'il croyait bien ancré lui apparaît désormais dans sa vraie dimension. Il se rend subitement compte que quelque chose ne tourne pas rond chez son épouse qui a des crises d'angoisse et se sent suivie, que son fils est en pleine crise mystique et que sa fille cherche un père de substitution.
Aurélien Delsaux a joliment construit son roman autour d'ellipses. Il n'affirme rien et laisse au lecteur le soin de conclure. Où est le raisonnable? Où se cache la névrose? Et faire semblant d'être heureux, n'est-ce pas le début du bonheur? Et dans ce cas, l'inverse serait tout aussi vrai!


Lien : https://collectiondelivres.w..
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critiques presse (3)
LeFigaro
23 février 2023
À la mort de son idole, Jean-Jacques Goldman, un homme marié décide de changer de vie.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Culturebox
06 février 2023
Dans Requiem pour la classe moyenne, Aurélien Delsaux pulvérise en 200 pages la vie d'une famille lambda, papa et maman et leurs deux enfants. Le déclic pour cette famille, apparemment normale, mais qui va devenir totalement dysfonctionnelle, c'est la mort de Jean-Jacques Goldman. Le drame absolu pour le père, alors qu'il rentre de vacances chez lui, à Lyon, avec sa famille parfaite et son apparent bien être.
Lire la critique sur le site : Culturebox
RevueTransfuge
04 janvier 2023
Un livre de haute spiritualité sans rien de vieillot ni de radoteur : la gageure était ardue, elle est magnifiquement relevée.
Lire la critique sur le site : RevueTransfuge
Citations et extraits (33) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Les vacances étaient terminées, jusque-là tout s’était bien passé. Je me souviens des chiffres d’alors, je voudrais les saluer : il allait bientôt être dix-huit heures, Blanche, ma femme chérie, somnolait à mon côté, nos deux enfants dormaient à l’arrière, je roulais sur la flambant neuve A89, j’avais quarante-cinq ans, j’avais enregistré sur le régulateur la vitesse maximale autorisée, le tableau de bord annonçait quarante et un degrés à l’extérieur.
Ce que les chiffres mesuraient, le temps et la vitesse, la température ou le prix, j’étais depuis longtemps persuadé de ne pas savoir l’évaluer, de n’être plus capable de le ressentir vraiment. Les chiffres fixaient tout et tenaient tout en respect, ils épinglaient calmement en moi des papillons morts. Ils rendaient la vie saisissable, ils étaient les sigles de mon bonheur.
Je ne vis pas le gris de cendre du gazon sur les aires, ni les branches nues comme en hiver des arbres secs, presque brûlés, je n’entendis aucun appel au secours. Je veillais sur la sécurité et le bonheur des miens, les ramenant au foyer dans notre confortable familiale, en qui j’avais toute confiance.
Les objets ne m’avaient jamais trahi. Chacun me faisait croire avec élégance, presque affection, que je méritais ses bons offices. La clim était automatiquement réglée, la ventilation était douce, les vitres teintées nous protégeaient de la lumière et des regards, la puissance du moteur était peu bruyante, je doublais les camping-cars hollandais tranquillement. Si je restais concentré sur ma route, il ne nous arriverait rien.
Nous avions hésité à partir la veille, nous craignions une circulation compliquée. C’était un dimanche classé orange. Mais nous n’allions pas renoncer à un jour de vacances, nous profiterions de notre bon temps jusqu’au bout. Par chance, il n’y avait pas eu un seul bouchon. J’avais refait le plein à hauteur de Clermont-Ferrand, j’avais acheté aux enfants un paquet de fraises Tagada. À leur réveil, ils en déchireraient le plastique en éclatant de rire. J’avais aimablement souri à la caissière harassée par ce long, ce si long dernier dimanche et dernier jour du mois d’août.
Tout ce qu’il avait fallu faire, je croyais l’avoir fait.
*
Mentalement, j’aurais dû effectuer plus d’efforts pour rester vigilant. Je me parlais, je ne reconnaissais pas tout à fait ma voix, ce n’étaient pas tout à fait mes paroles. Je me repassais le film de notre séjour en Bretagne, dans la grande villa de mes beaux-parents, face à la baie d’Audierne. Mon beau-père m’y avait conté l’oracle de la situation économique mondiale, il interprétait force données, il en ouvrait froidement les entrailles. Dans ces viscères ternes, il lisait un avenir stable et bon, il lisait le clair et ferme avenir.
Tout tiendra ! l’entendis-je encore jubiler.
Et je me répétai cette prédiction, sans réfréner un sourire que je n’adressai qu’à moi, tendant le cou pour que le rétroviseur me le rendît. En petites vagues, de bons souvenirs clapotaient dans ma tête. J’étais de nouveau dans cette crique charmante que nous avions gagnée en bateau, que nous eûmes pour nous seuls. Les enfants s’amusaient à m’enfouir en son sable et à m’entourer de murailles. Puis je revis la destruction de leur château, le grand trou que mon corps relevé laissa, les vagues abolissant tout. L’océan s’évapora. Les Monts du Lyonnais avaient paru au loin.
Tout tiendra, tout tiendra, marmonnais-je à présent comme un mantra. Nous passions sous un de ces grands panneaux bleu roi, aussi verticaux que des lames de guillotine. Il indiquait des directions qui n’étaient pas la nôtre, bifurquant avant elle, STRASBOURG DIJON SAINT-ÉTIENNE, ou, MARSEILLE MILAN, la dépassant. Tout tiendra, tout tiendra, allai-je jusqu’à comiquement chantonner.
Filant sur une portion d’autoroute parfaitement droite, je jetai un œil distrait aux différents symboles allumés sur le tableau de bord. Tous confirmaient le pilotage quasi automatique de mon véhicule.
*
Le soleil ne faiblissait pas. Je savourais un mélange de sérénité et de confiance, dont l’habitacle était plein, et que j’aurais pu essayer de nommer. Depuis la fin de l’adolescence, et jusqu’à ce soir-là, je ne m’étais pas beaucoup attardé sur mes sentiments, je n’avais que rarement ressenti le besoin de leur donner un nom. Je me sentais proche de ces gens qui appellent leur chien Le chien ou leur chat Le chat, et à qui très souvent on reproche cette négligence. De mes émotions je ne faisais pas une affaire personnelle. Je n’étais pas une pierre, je n’aspirais pas à devenir de marbre, des sentiments m’habitaient bel et bien. C’étaient ceux d’un homme normal, dans une vie normale. J’étais triste ou heureux comme tous les gens de ma catégorie pouvaient l’être, ni plus ni moins.
Il n’y avait rien à en dire, rien à dire du tout.
La route était toujours droite et sèche, la voiture semblait voler magiquement à un centimètre de sa surface. Je me redressai sur mon siège. Je humai l’odeur de neuf autour. Le mot assurance émergea. Il aurait parfaitement convenu pour me caractériser.
À 20 ans, j’aurais eu bien des raisons personnelles de protester contre l’ordre des choses. À présent, je n’en voyais plus de très sérieuses, je n’en voyais plus aucune de valable. Globalement, les lois invisibles qui régissaient le cosmos, les lois tortueuses que l’humanité s’imposait, tout ça m’allait très bien. Mes besoins étaient comblés et mes désirs, modestes, satisfaits.
Pour ne pas m’endormir, je doublai une Kangoo verte qui se traînait trop sur la voie centrale. Voici ma vie – une avancée rapide, contournant en toute sécurité, dans le respect des règles, le moindre obstacle. Je n’avais qu’à continuer à bonne allure ma trajectoire, je n’avais qu’à suivre les indications.

Après dix heures de route, nous arrivions enfin aux abords de Lyon. Je connaissais parfaitement notre fin de parcours. Je laissai néanmoins le GPS me guider encore, j’augmentai légèrement le volume de la radio, la fatigue commençait à se faire sentir davantage. J’avais de désagréables picotements dans la nuque, de violentes envies de bâiller. Ma fille et mon fils, écouteurs sur les oreilles, regardaient chacun leur film sur leur tablette. Blanche, la tête penchée vers sa vitre, gardait en son reflet les yeux fermés.
Le dernier péage franchi, nous entrâmes dans le tunnel, le profond et long tunnel qui passe sous les fleuves. Nous arriverions bientôt rue Saint-Jacques, nous étions presque arrivés – plus que 7 minutes, indiquait la machine. Je n’en comprenais plus l’itinéraire. Les lumières orange, le grésillement de la radio qui ne capte plus, je me les rappelle. Je pensais peut-être à quelque chose de précis en cet instant, quelque chose du proche et calme avenir : aux valises à défaire, à la rentrée des enfants – ou à un nouveau voyage. Je ne m’en souviens plus.
Je ne vis pas l’écran émettre de flash ni devenir noir, je ne vis pas le tunnel s’éteindre ni s’écrouler, nous n’avons pas plongé dans je ne sais quel gouffre. Je ne me souviens de rien sinon du bleu – de cette moitié de disque bleu, de l’air libre qui nous appelle, de ce morceau de ciel comme une île en vue. De ce bleu là-bas au loin, tout au bout, ce bleu tendre du soir, vers quoi nous allions et de quoi, sans cesse, sans cesse, nous nous rapprochions.
C’est en sortant du tunnel que j’entendis la présentatrice interrompre le programme pour m’annoncer à voix basse la mort de Jean-Jacques Goldman.
La nouvelle tomba en moi, avec ce son mou du galet jeté dans la mare. Dans le silence de la vase, une fois leur obscure retraite atteinte, y remuent des bêtes étranges.
J’éclatai en sanglots, mais doucement, le plus doucement possible, pour ne déranger personne, pour ne pas dévier de ma trajectoire. Je coupai la radio et mon portable.
Le trafic s’était soudain densifié. Tous les phares et tous les lampadaires s’étaient allumés. La nuit et la ville nous avaient avalés.
*
Rue Saint-Jacques on décongela tout de suite une quiche Tradition. Une odeur de gras sortit du micro-ondes, on mangea très vite. Je mâchai ma part tiède en y cherchant une consolation. Nous étions arrivés, nous avions encore réussi. Les vacances étaient finies, mais nous étions de retour chez nous, sains et saufs. Personne n’avait forcé la porte de notre appartement, un rapide tour de nos 184 m2 me donna l’impression que tout était intact, que rien n’avait changé.
Dans un cauchemar qui m’avait autrefois obsédé, je nous voyais rentrer de vacances pour découvrir au sous-sol qu’on avait défoncé la porte de notre garage. Aucun de nos vélos n’y avait été dérobé, on s’était contenté de casser ce grand et vertical rectangle blanc et lisse, on l’avait défoncé, tordu et sali, pour le seul plaisir de nous nuire. Qui avait fait ça, quel était son visage, qu’est-ce que c’était, avait-ce un visage – mon rêve ne le révélait pas.
J’avais, depuis, investi dans un système de sécurité. Ce mauvais songe s’était fait de plus en plus rare. Mais contre les cauchemars on ne vend pas de système de sécurité infaillible.
Ce ne fut qu’une fois Félix et Laetitia couchés, les valises défaites, que je dis à Blanche que Jean-Jacques Goldman était mort, et que ça me faisait bizarre. Sa disparition marquait la fin d’une histoire – une histoire liée à mon enfance, à mon milieu d’origine, village et famille, à tous les miens.
Je ressentais autre chose que de la tristesse, quelque chose de plus fort, comme on dit d’un alcool.
Elle ne me demanda pas de quoi il était mort, d’ailleurs je n’en savais rien, qu’est-ce que ça changerait. Elle fit juste C’est vrai, à moitié comme une question, à moitié comme si elle le savait déjà, comme si elle l’avait toujours su. Elle n’était pas douée pour la consolation, mais qui l’est. Elle posa négligemment une paume sur ma joue, par automatisme, ou par condescendance. Sa paume était douce, ma joue rêche, elle retira très rapidement sa main.
Je haïssais tous ses gestes. Je ne disais rien.
Je m’isolai dans
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Une heure avant l’aube, Blanche me réveilla. Elle secouait mes épaules, elle s’était mise à quatre pattes, elle avait enlevé sa chemise de nuit.
La première chose que je vis en ouvrant les yeux dans la pénombre fut le frémissement de ses seins.
D’abord elle ne demanda rien, je me taisais. Nous avions souvent fait l’amour en muets, sans parler ni avant, ni pendant, ni après. Dans ces moments bénis, l’évidence et l’accord de nos désirs suffisaient, commandaient tout.
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Me revenaient des images télévisuelles, génériques de dessins animés, reportage de 20 heures. Des murs chutaient, des tours, et mon adolescence gisait entre ces décombres, où l'on nous fit croire que l'histoire était terminée. Finies toutes les histoires, finis tous les problèmes. Ces promesses anciennes éclataient en moi, avec les milliers de bulles qui pétillaient dans ma bouche.
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Le jour montait et la musique de Gardiner faisait briller pour moi seul le triomphe de ses cuivres et la majesté des vox étrangères. Je peinais à ouvrir un pot de confitures de prunes.
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Tout va bien ? demandai-je dans un grand sourire.
Blanche dit aux enfants d’aller dans leur chambre. Ils se levèrent aussitôt, et Laetitia se colla contre moi, tendrement. Je ne voulais pas qu’elle sentît trop ma transpiration ni mon chagrin, alors je la repoussais doucement et doucement lui dis Obéis à maman la chérie.
Je m’assis face à Blanche.
Tout va bien ? redemandai-je en vain.
Blanche ne savait vraisemblablement pas comment commencer. Le mot cancer clignotait en moi. J’aurais voulu lui prendre la main, mais elle gardait les siennes sous la table.
Elle prit une grande inspiration. Je crus qu’elle allait me quitter, réclamer une pause en m’annonçant qu’elle avait rencontré quelqu’un –, et je me blâmais déjà de n’avoir pas vu le coup venir. Mais elle dit, tout à trac, J’ai très peur, j’ai besoin d’être protégée, alors j’ai pris un chien.
Quelle race ? m’inquiétai-je sans comprendre.
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