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Je m'étonne d'avoir si peu entendu parler du dernier livre d'Aurélien Delsaux : Sangliers, un texte que j'ai trouvé magnifique tant du point de vue du fond que de la forme. Peu de romans actuellement peuvent se targuer d'avoir une écriture : or, ici, c'est le cas. La prose est puissante, rythmée, poétique, âpre, violente. Je m'en suis régalée et j'avoue que si je disposais d'un peu plus de temps, je m'y serais immédiatement replongée avec délice.
Nous sommes en Isère entre le Rhône et les Alpes, dans un hameau nommé Les Feuges, et dès le début, ce pays, cette terre entre Lyon et Grenoble apparaît comme le personnage central de l'histoire. Elle est parcourue dans les premières pages par un enfant qui pisse le sang parce que son père vient de le frapper. Il court à travers ce paysage, traverse les lotissements qui ont fleuri ça et là ces dernières années parce que le prix de la terre est abordable dans ces coins un peu reculés, ces zones rurales dont on parle peu, l'enfant court, passe devant les vieilles fermes, l'ancienne école, grimpe, essoufflé, la route de Malatra, ne sachant où cacher sa peine, où trouver une consolation. Lui, c'est le Petit Germain, le fils du Chef, Germain. Un dur qui frappe sa marmaille, qui aime la chasse, qui supporte mal son aîné à la peau un peu colorée que sa femme La Grosse a eu d'une première liaison. Il est raciste, Germain. Il pense que c'est chacun chez soi, alors il lui en fait baver à son aîné. Un cauchemar pour le gosse.
Pas loin, vit Gottschalk, le sculpteur, pas trop aimé dans le coin. Ça lui va comme ça, il est tranquille dans son moulin pour travailler. Pourtant lorsqu'il voit passer un homme et sa fillette, il va leur parler : « La grange sur le chemin de Bellieu, c'est toi ? » Oui, c'est moi, répond Sylvain qui s'est installé avec sa fille pour se lancer dans l'agriculture bio. Après avoir perdu sa femme, il a tout quitté : son boulot de prof, sa région, sa famille. Il a voulu offrir à Louise une vie plus vraie, près de la terre, loin de la société de consommation, du prêt-à-penser, du métro-boulot-dodo. Pas de TV, pas de portable, pas de bagnole :  «loin de la ville, à l'écart du siècle, hors des réseaux, hors du flux. Où Louise pourrait grandir à l'abri. Où il pourrait lui apprendre ce qu'il fallait pour résister aux temps terribles, pour empêcher la destruction de tout, survivre, mener le combat - bâtir un jardin. »
Et puis, il y a Max, abonné à Charlie Hebdo, lecteur de Crime et Châtiment, qui tient le bistrot en « faisant ostensiblement la gueule à la majorité de ses clients », et Lesélieux, le prof de lettres qui aimerait bien écrire un livre, se faire connaître et qui en a ras le bol de souligner en rouge les colonies de fautes d'orthographe qui rendent les copies de plus en plus illisibles, il y a aussi les vieux, les très vieux, le « Doyen du village et Mémoire des Feuges », le Grand-Pé, presque aveugle, presque mort. Mais pas encore sourd. Aimant sentir son petit-fils, Thomas, et lui raconter des histoires, toujours les mêmes, au point que Thomas aura l'idée d'envoyer Lionel à sa place pour écouter les radotages du Grand-Pé. J'oubliais aussi le père Victor, prêtre du village, qui n'aime pas trop fréquenter les bonnes familles du coin, leur préférant ses marginaux, gueulant comme un âne après Mme Genin pour que TOUTES les églises restent ouvertes au risque de voir disparaître les candélabres. Et puis, il y a aussi Samir et Lamia qui viennent de s'installer dans leur nouvelle maison du chemin du Marais et qui doivent s'intégrer.
Et tous les gamins qu'on appelle par leur nom de famille : les Morin, Grenu, Latouche, Rickwiller, Verrieux, des sales gosses qui crachent, insultent, rient.
Cette communauté humaine est composée d'individus très différents qui vivent pourtant sur les mêmes terres, qui se croisent chaque jour, se disent bonjour, au revoir. Ce sont des solitaires, terme qui rappelle l'étymologie même de sanglier « singularis », qui va seul. Sangliers est l'histoire de cette communauté, le portrait de ces hommes seuls qui vivent en groupe.
Et tout ce petit monde va devoir cohabiter dans cette France des années 2012 à 2017, cette France un peu paumée entre des partis politiques qui battent de l'aile, une nette montée du Front National, de l'intégrisme, un chômage dont personne ne voit le bout, une société en pleine mutation, une école complètement larguée et des parents qui se demandent : « qu'est-ce que j'ai raté ? ». Des êtres qui se débattent, tentent de tenir le coup à leur façon, y parviennent parfois ou deviennent fous, souvent.
L'auteur, interviewé, aime citer les paroles du philosophe Antonio Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. »
J'ai lu Sangliers comme une espèce de tragédie des temps modernes : on sent dès le début que quelque chose est pourri au royaume des Feuges, que - vous excuserez cette métaphore peu ragoûtante - le pus ne demande qu'à sortir. le mal est là, partout, omniprésent, omnipotent, à travers notamment la violence physique et verbale. Les hommes ressemblent de plus en plus à des bêtes tandis que les bêtes ont des regards humains. Terrible témoignage de Lulu, celui qui a débusqué les sangliers et qui a cru voir non des bêtes mais « des hommes déguisés – des hommes changés en sangliers. Pas des bêtes. »
Ceux qui veulent repousser les forces du mal sont inefficaces : magnifiques scènes de l'homme d'église qui lors d'une messe se laisse aller à tout son désespoir : « Ah ! Frères et soeurs, quand… QUAND REDEVIENDRONS-NOUS DES HOMMES ? … Oh, je pourrais me contenter de vous rassurer encore, de vous parler d'une grande lumière au bout du tunnel - du Paradis. Mais y croyez-vous ? QUI Y CROIT ENCORE ICI ? PERSONNE ! Entendez-vous : PERSONNE ! », une autre scène incroyable me revient : salle des profs, lendemain des élections, les mines sont déconfites, le gars Maurice pète les plombs lorsque la Proviseure lui rappelle qu'il ne doit pas commenter les résultats devant les élèves. « Trois mois ! Y a pas trois mois on défilait tous - TOUS ! - Pour la liberté d'expression. On était tous Charlie ! Fallait rouvrir sa gueule, transmettre les valeurs de la République... Et là, faudrait se taire ? Nom de Dieu, il est passé où votre esprit du 11 janvier ? Et les Lumières ? C'est de la blague ? On éteint tout, on remballe, on ferme boutique, on se couche ? Qu'est-ce qu'on fait - merde !… ON FABRIQUE DES FASCISTES !… PARFAITEMENT ! C'EST NOUS QUI LES FABRIQUONS !… ».
Ils ont beau créer leur « Collectif des moutons noirs » pour sauver le monde et avoir le sentiment de marcher droit, le pire ne sera pas évité. L'auteur reconnaît que son roman a « un côté fin du monde : une invasion de sangliers, une inondation, un épisode de sécheresse... » D'ailleurs, les personnages eux-mêmes s'interrogent « sur cet enchaînement de petits fléaux : déferlement des bêtes sauvages, déferlement de l'eau. Est-ce que toute la violence du monde, toute l'énergie inemployée par l'animal, par l'élément allait leur tomber dessus . Qu'en serait-il un jour de l'énergie, de la violence des hommes. Des foules barbares allaient-elles bientôt les envahir, ou des monstres surgir – dévastant, ou frappant. »
Et puis, comme je le disais, un autre personnage est là : il est multiple, protéiforme, immortel. Il s'appelle la terre, la nature (on pense ici à Giono), le puits, la chapelle, la source, les pierres, les bêtes. Ils parlent comme un choeur de dieux antiques, sont porteurs du passé, des légendes, des dames blanches et des loups-garous, ils parlent mais personne ne les entend, personne ne les voit ou si peu de gens. Leurs paroles se perdent dans le vent de cette plaine où le mal s'est répandu, plaine qui a vécu la guerre, la révolution : « ils étaient difficiles à voir ces bataillons anciens, ces crimes, cette armée de morts. de là pourtant - de ce fumier macabre - que le vert vif de la plaine tirait sa substance, sa vigueur et sa fertilité… » et le sculpteur Gottschalk, devenu voyant, de prévenir : « Ça va recommencer... ».
Lelésieux, pris lui aussi d'une folle lucidité, hurle qu' : « au fond ce n'est pas leur faute, qu'au fond ce n'est la faute de personne ; que c'est l'Ennui ; que l'Ennui métamorphose les hommes en veaux ou en tigres – l'Ennui, n'est-ce pas : l'Ennui, qui pourrait aussi les transformer en licornes ou en dragons, pourquoi l'Ennui ne les changerait plus qu'en pièces de bétail ou en méchants fauves ; n'y avait-il plus qu'à attendre ici-bas leur entre-dévoration, n'y avait-il plus qu'à offrir les uns en sacrifice aux dieux cruels, à chasser les autres pour survivre – où étaient passés les animaux fantastiques, les bêtes tutélaires, généreuses, protectrices, est-ce que la Terre n'en porterait plus désormais, est-ce qu'elle refuserait de nourrir les êtres fabuleux, les légendes d'autrefois. »
Ils sont là, annonçant le pire, observant l'homme devenir bête et la violence s'emparer de tous, même des enfants.
Au risque de me répéter, difficile de comprendre pourquoi ce livre engagé et exigeant, à la fois roman social, politique, philosophique, métaphysique, oeuvre terrible au ton élégiaque, épique, à l'écriture puissante et poétique et aux personnages si forts et si marquants, n'a pas fait davantage parler de lui. Très clairement, il est un des livres les plus intéressants de cette rentrée littéraire. Il serait tellement dommage de le manquer !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Il est assez rare qu'un roman parle de la campagne, de ses habitants, sans que l'on tombe dans le roman du terroir, et on a souvent l'impression que la ville est le terrain de chasse exclusif des auteurs français.
Rare aussi qu'on la présente dans ce qu'elle est véritablement aujourd'hui. Un paysage, certes, mais de plus en plus modifié par les constructions et les résidences pavillonnaires. Et surtout, ses habitants.
Un foisonnement de personnages dans ce roman, tous reliés par ces villages et les légendes qui restent accrochés aux bouches des vieux. Germain, Lionel, Mathias, Sylvain, Lesélieux, le père Victor... Un grand nombre de figures pour un roman qui se veut le reflet de son époque.
C'est dense, c'est violent (malgré les 500 p., accrochez-vous la fin est terrible !), c'est noir (on retrouve d'ailleurs des passages dignes de bons romans noirs), mais il y a des touches plus lumineuses, des personnages porteurs d'espoir.
La vie d'une campagne française, racontée dans un style bien particulier. Un ouvrage à part, éminemment politique, riche (un peu trop ?) qui ne vous laissera pas indifférent.
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Ce récit, d'une ambition rare, dresse le tableau d'une micro-société coincée entre ruralité pauvre et finissante et zone péri-urbaine déclassée avec des personnages aussi différents dans leurs aspirations qu'un chômeur chasseur, raciste et violent, un néo-rural ex-enseignant féru de permaculture, un patron de bar philosophe, artiste et révolté, un sculpteur misanthrope et outrancier ...
L'auteur nous immerge dans des situations ultra-réalistes et contemporaines peignant la banalisation du racisme et face à cela la révolte de collectifs de résistance anti-systèmes, d'”insoumis”.
Terriblement pessimiste, il illustre la vacuité des politiques, le désespoir des éducateurs, et l'incommunicabilité entre les différentes fractions de la société.
Ce roman d'anticipation contemporaine tragique se double en outre d'une omniprésence de la Nature et d'une description minutieuse des lieux où se noue l'intrigue. En les associant à une alternance du récit principal avec des digressions surprenantes (légendes, épisodes historiques), l'auteur nous renvoie à l'éternelle dualité violence/bêtise-progrès/culture sise de tout temps au coeur d'une Nature et de territoires qui survivront au passage de l'humanité.
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Voila l'un des romans qui me faisait très envie pour cette rentrée littéraire chez Albin Michel.
Je me réjouissais, supposant que j'allais y trouver ce que j'aime dans la littérature française contemporaine : pas d'autofiction, un peu de ruralité et de drame, un regard sociétal...et comme l'auteur s'était fait remarquer pour Madame Diogène, son premier roman, cet opus me semblait incontournable...

Sauf que..

C'est quand même un sacré bordel, un indescriptible bordel !
Parce que le lecteur, qui comprend vite que c'est Matthias le noeud de l'intrigue (le premier enfant de la Grosse avant qu'elle ne rencontre Germain la brute, qui, pas de bol, est bien noir de peau et adore lire, apprendre par coeur les vers du Cid - la tare absolue dans la campagne lyonnaise !), se perd un peu dans ces histoires enchevêtrées (parfois au coeur d'un même chapitre).

Ça parle -évidemment !- de chasse au sanglier, mais aussi de religion, de politique (montée du FN), de différence (noir/blanc, "crétin des Alpes"/amateur de poésie, etc..).

Sans doute y avait-il une morale, une idée de génie à saisir, un regard étourdissant sur la France actuelle, mais on perd le tout dans le méli-mélo des portraits, parfois sans liens entre eux...et que finalement s'ajoute à ça un style que je n'ai pas aimé (phrases construites à l'envers en mode ultra-vintage et parler populaire alternés, je n'ai pas compris l'intérêt !) .

Tant pis ! J'ai abandonné à la page 197 .
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J'étais impatiente de lire ce roman pour son sujet : la nouvelle mixité sociale et culturelle dans les campagnes. J'aime beaucoup les romans polymorphes croisant les vies, les histoires, les langues.
Quelle déception. Personnages stéréotypés, écriture stéréotypée (le langage campagnard benêt) ... Tous les curseurs sont au rouge : le prof de lettre désabusé écrivain raté, l artiste contemporain hirsute provocateur qui vit avec une minette polonaise, le chasseur raciste benêt en couple avec une femme "la grosse" débile, les politiques corrompus et attentistes, l'urbain néo rural en deuil qui fait de la permaculture avec sa fille qui fait l école à la maison... Un melting pot caricatural avec des croisements d'ecritures pas toujours clairs ni toujours heureux.
Heureusement que dans la vie les choses et les gens ont plus de nuances et plus de subtilités.
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Entre paysans et néo-ruraux, entre laissés pour compte et déclassés, entre violence des hommes et beauté de la nature, la sauvagerie de notre société peut mener aux pires excès comme le crime raciste. J'ai retrouvé dans ce roman, que j'ai littéralement englouti et beaucoup beaucoup aimé, un peu de 'Trois saisons d'orage' de Cécile Coulon et de 'Plateau' ou 'Grossir le ciel' de Franck Bouysse. C'est brut, abrupt, dur, dégueu, noir... Très bien écrit. Très réaliste hélas. A lire.
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Aurélien Delsaux nous plonge dans l'univers des pavillons de banlieues françaises là où les « petites gens » peuvent s'offrir une maison individuelle. Ils amènent avec eux un esprit de clan, un environnement parfois violent, souvent inculte. En entrant dans l'intimité des familles, on se retrouve plongé dans une France de « laissés pour compte ». Dans l'adversité, une certaine solidarité s'installe. On s'entraide lors d'inondations ou de saccages causés par les sangliers. L'auteur déroule son roman par petites touches insolites comme une tapisserie. Certaines scènes traînent parfois en longueur et l'usage très personnel du français nous laisse songeur. MB
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Dans ce roman d'une étourdissante virtuosité stylistique, l'auteur de Madame Diogène (2014) livre la chronique passionnée d'un patelin perdu entre le
Rhône et les Alpes, où es espoirs déçus de professeurs à la dérive viennent se heurter au désoeuvrement d'une jeunesse déclassée, où la méfiance règne entre chasseurs bien bourrins, ecclésiastiques esseulés, nouveaux arrivants issus du monde entier, artistes et « anciens » dont plus personne ne semble disposé vraiment à écouter ce que les vieilles bouches racontent.
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Au coeur d'un village isolé des Alpes, une photographie sombre et violente d'une société rurale.
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