Après avoir étudié l'histoire des Enfers, il fallait bien que je regarde ce qui s'était passé pour l'autre côté de la barrière. Il faut dire que j'étais un peu moins pressé, car ni moi ni mon entourage n'avons beaucoup de chances d'y entrer. Je lui manifeste donc un intérêt poli, mais la cartographie précise et la description de ce qui s'y passe me concerne nettement moins.
Précisons tout d'abord que l'essai se concentre uniquement sur le paradis chrétien, principalement européen et moyenâgeux, bien que l'auteur se permette de temps en temps quelques incursions ailleurs.
Au départ donc, le paradis a une existence tout à fait concrète dans l'esprit des européens, même si quelques auteurs marginaux avaient déjà opté pour une interprétation allégorique de la Genèse dès les premiers siècles. Il faut dire que la Bible elle-même est assez précise dans sa géographie, le bordant notamment du Tigre et de l'Euphrate. La cartographie de l'époque étant assez basique, les imaginations n'avaient aucun mal à voir le jardin d'Éden toujours présent dans un pays lointain. Les cartes de l'époque mentionnent d'ailleurs fréquemment l'emplacement du paradis à côté de cités ou de territoires prestigieux. Des récits de voyage s'étendent aussi à loisir sur les murs de flamme qui l'entourent, et sur l'ange veillant sur son entrée.
Les choses se gâtent, évidemment, à l'époque des grandes explorations. On a beau envoyer des caravelles et des explorateurs partout, il faut bien se rendre compte que le paradis est aux abonnés absents. On tente de le sauver de plusieurs façons, soit en le reléguant le plus loin possible de l'autre côté des Océans, soit en renonçant aux éléments fantastiques et en déclarant les peuples nouvellement découverts très proches des conditions de vie d'Adam et Eve.
Le coup fatal viendra avec la propagation de la théorie de l'évolution. La thèse de l'allégorie s'impose alors d'elle-même (bien qu'aujourd'hui encore, il existe des théologiens qui tentent d'allier science et lecture de la Genèse aussi littérale que possible), avec pour conséquence une certaine déprime. Savoir qu'un paradis avait existé est tout de même rassurant : « yaka » retrouver les conditions initiales et on y retourne aussi sec. Alors que maintenant, on sait que la possibilité d'une vie idyllique repose uniquement sur nos frêles épaules, ce qui n'incite pas à l'optimisme.
Essai intéressant à parcourir, même s'il m'a un peu moins plu que son homologue sur les Enfers. le texte est rempli de références, mais il manque à mon sens quelque chose pour lier tous ces extraits ensembles : on a parfois l'impression de parcourir un catalogue de citations.
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Premier tome d'une trilogie consacrée à un de ces mythes consolant qui tentent de calmer les angoisses humaines. Ce premier volume est dédié au Paradis terrestre ,celui que nous sommes censés avoir perdu . Au fil de l'histoire et des découvertes géographiques et scientifiques sa quête s'est étiolée mais durant des siècles ce fut un véritable objet d'étude . Aujourd'hui il est renvoyé au symbole et à la mythologie mais continue à structurer notre imaginaire. Livre d'une grande érudition mais agréable à lire par un grand spécialiste récemment disparu.
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[J]usqu'à une période récente, c'est-à-dire la mise en évidence de l'évolution et de la lente et difficile émergence du « phénomène humain », de nombreuses civilisations crurent à un paradis primordial où avaient régné la perfection, la liberté, la paix, le bonheur, l'abondance, l'absence de contrainte, de tensions et de conflits. Les hommes s'entendaient et vivaient en harmonie avec les animaux. Ils communiquaient sans effort avec le monde divin. D'où une profonde nostalgie dans la conscience collective – celle du paradis perdu mais non oublié – et le puissant désir de le retrouver.
[U]n lien théologique étroit a noué entre eux le paradis terrestre et le péché originel. Ils ont été solidaires l'un de l'autre. Plus on embellissait le verger sans hiver, plus on accordait à nos premiers parents des dons, des privilèges et des connaissances largement au-dessus des nôtres, et plus on était conduit à majorer les dimensions de la faute première.
Comment a-t-on glissé de la nostalgie du jardin d'Éden à l'espérance d'un nouveau paradis terrestre et comment cette espérance s'est-elle laïcisée pour donner corps à la notion de progrès : tel est le cheminement que suivra ce nouvel ouvrage, dans le sillage du précédent consacré aux heurs et malheurs du lieu de délices perdu par Adam et Evea. Il s'agira donc ici du passage, en terre chrétienne, du millénarisme aux anticipations lumineuses proposées en Occident à partir du XVIIIe siècle par des écrivains et des philosophes de plus en plus nombreux. Notre itinéraire partira des prophéties de l'Ancien Testament et de l'Apocalypse de saint Jean pour aboutir aux écrits marxistes.
Mais, parce que je suis d'abord un « moderniste », au sens donné à ce terme dans le langage spécialisé des historiens, j'insisterai particulièrement sur les multiples manifestations millénaristes qui marquèrent les XVe-XVIIe siècles. Nous serons ensuite mieux à même de comprendre leur transformation en théories du progrès qui toutes gardèrent, en dépit de leurs auteurs, un caractère utopique et irrationnel. En somme, l'espoir d'un bonheur terrestre collectif est pris ici comme «objet» d'histoire: démarche comparable à celle qui, dans le livre précédent, avait éclairé la nostalgie du paradis perdu.
Introduction
On ne mesure pas toujours quelle place a tenue le millénarisme dans l'histoire occidentale. Pourtant, le souvenir du moine calabrais Joachim de Flore, annonciateur d'un âge de paix, survivait encore au XIXe siècle. Il inspira George Sand et Michelet. Engels exalta Müntzer, qui prit au XVIe siècle la tête des «paysans» révoltés de Thuringe. Auparavant, l'espérance d'un royaume chrétien des « derniers jours » étendu aux dimensions de la Terre avait motivé les entreprises de Christophe Colomb, la descente de Charles VIII en Italie et l'action des premiers franciscains au Mexique. Les « Pères pèlerins » qui s'établirent en Amérique du Nord dans les années 1620 étaient millénaristes et l'espoir de faire de cette partie du monde le centre du royaume terrestre du Christ a constitué l'une des composantes de l'identité américaine. Le bouillonnement millénariste était intense autour de Cromwell. Le grand chimiste du XVIIIe siècle, Priestley, attendait la prochaine réalisation du millenium à la suite de la Révolution française. À la seule annonce de ces thèmes qui seront développés dans le livre, on devine la richesse de la matière et l'étendue du sujet.
Introduction
Parce que le paradis terrestre ne pouvait être que fleuri -et de fleurs ne se flânant jamais- le symbolisme marial s'exprima par des fleurs grâce auxquelles on passait, le moment d'un regard, du temps du péché à celui de la grâce.
Chapitre VI. Nostalgie
Le portrait du mois - L'Esprit des Lettres de janvier 2020
Jean Delumeau (1923-2020)
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