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Critique de domi_troizarsouilles


Je viens de terminer ce livre et j'ai juste envie de dire : « Waouh ! »
Je l'avais repéré dès sa sortie en librairie, mais à l'époque je n'avais pas encore lu « le dernier chant » de la même autrice, qui se trouvait toujours dans ma PAL depuis sa sortie, et je ne voulais pas trop cumuler avant de savoir si cette plume me plairait. Or, après la lecture de ce Dernier chant, je me suis trouvée moins enthousiaste : c'est que ce livre-là m'avait plutôt bien plu, mais avec un certain nombre de réserves sur quelques points, que je craignais de retrouver ici… Dès lors, quand j'ai vu que « Abîmes » était disponible dans le catalogue de Lirtuel, cette bibliothèque virtuelle belge francophone (gratuite) où j'emprunte de temps en temps un nouveau livre alors que j'ai une PAL plus que débordante, je n'ai pas hésité : c'était l'occasion de le découvrir tranquillement…
Et donc : waouh !

C'est un livre très difficile à résumer, car il y a tant et tant de rebondissements, qui s'imbriquent les uns dans les autres en faisant tournoyer les personnages (et la tête du lecteur), c'est impossible d'en dire un minimum sans être déjà à la limite du spoiler.
Pourtant, le ton est donné dès le prologue : on y rencontre brièvement Viktor Mendi, homme d'affaires ruiné, prêt à prendre le départ dans son petit avion, avec son épouse, pour un suicide à deux programmé, aux alentours du Mont-Perdu, à la frontière franco-espagnole dans les Hautes-Pyrénées.
24 ans plus tard, leur fils Antoine, qui avait une dizaine d'années au moment du drame, et qui a en quelque sorte « grandi tout seul » entre ses grands-parents vivant dans un village de ces Hautes-Pyrénées, non loin du Mont-Perdu, et en compagnie de ce qui ressemble furieusement à un ami imaginaire (même si ce ne sera jamais appelé ainsi) ; Antoine donc, devenu chasseur alpin, parvient à se faire muter auprès de la section rurale de la Gendarmerie, dans ce village où il a en partie grandi, avec le but caché de comprendre l'accident (car à ce moment il ne sait même pas encore que c'était un suicide !) de ses parents, dont il n'a pourtant jamais été proche, il a même le souvenir d'avoir toujours été plutôt mal-aimé…

Partant de là, l'autrice nous dresse toute une galerie de personnages rudes et bien campés, qui parviennent très vite à susciter des sentiments forts, tant ils sont criants d'une certaine vérité de l'âme humaine, et ce n'est que le début… À ce moment-là, il y a bien une certaine confusion (voulue ?) entre tant et tant de personnages, et on ne sait pas encore trop bien qui sera plus important qu'un autre, ou pas – ils le seront tous peu ou prou, à des degrés divers ; disons que ce début tranquille permet de bien les ancrer dans ce qui n'est encore qu'un début d'histoire. Pourtant on identifie très vite assez bien « Ceux de la forêt », un groupe qui vit dans une certaine autarcie, dans un esprit (pourtant pas religieux) qui évoquerait bien un peu une secte ; tandis qu'on fait connaissance avec « Ceux d'en-haut », ceux du village donc – un village très divisé entre bergers-chasseurs qui tuent (le loup pourtant protégé, mais pas que) à tout-va et qui ne sortent jamais sans leurs armes, avec le maire du village en tête de file, et leurs opposants écolos et végans extrémistes ultra-provocateurs par tous les moyens, menés par la propre fille du maire..

Parmi eux tous, ressortent toutefois comme personnages vraiment principaux, la capitaine de gendarmerie Elda Flores, présentée comme « redoutable (…), une géante brune », et Antoine, à la recherche de sa vérité, tout en veillant aux autres affaires du village, à la limite de l'insubordination cependant. Ainsi, tandis qu'Antoine prend des risques parfois inconsidérés, Elda Flores ne cesse de tenter de démêler les fils de cette histoire qui n'en finit pas de lui échapper, avec une obstination, une conscience professionnelle et un souci de « ses hommes » qui ne peuvent que forcer une certaine admiration – sentiment pourtant cassé par sa culpabilité inlassable de n'avoir pu sauver des vies lors d'une catastrophe une vingtaine d'années plus tôt, quand elle était alors jeune gendarme sous les ordres de son propre père ; et sentiment renforcé dans une certaine douceur quand on voit (car, sous la plume de Sonja Delzongle, on le voit réellement) la tendresse bourrue qu'elle a pour son gigantesque chien, au nom improbable (la touche d'humour l'air de rien, qui m'a bien fait rire pour le coup !)… de Botox !

Tous ces personnages, sans être stéréotypés, ont cependant des traits parfois exagérés, et participent ainsi à créer tout un climat dès que l'on ouvre ce roman, tandis que les choses se précipitent peu à peu, à la suite d'un premier meurtre – d'un loup apprivoisé. Je pense sincèrement que ce choix d'avoir dressé des personnages parfois un peu rugueux participe à cette ambiance très pyrénéenne, très abrupte, où la (haute) montagne – avec toute sa beauté et sa dangerosité, les deux étant inextricablement, toujours liées – est un personnage à part entière. Une montagne qui a façonné les hommes et les femmes qui l'habitent, à son image…
Sous la plume toujours précise et très visuelle, cinématographique même mais sans effets inutiles ; une plume qu'on sent réellement amoureuse de ce décor majestueux, on voit la montagne, on sent la montagne, on vibre avec la montagne ! On souffre sur les chemins de rando (qui, dans cette partie sauvage des Pyrénées, s'apparente très vite à de l'alpinisme de haut niveau) ; on s'enfonce dans cette neige d'altitude de février, malgré les raquettes, car le réchauffement climatique est en train de tout bouleverser ; on se sent gelé quand l'un des personnages, ayant sous-estimé la solidité d'un lac pris dans la glace, se retrouve prisonnier de l'eau glacée.
Quoi qu'il en soit, moi qui aime beaucoup les Pyrénées (même si je n'y ai plus été depuis plusieurs années désormais, et je suis loin d'avoir le niveau d'expérience en montagne de nos protagonistes !), rien pour ces descriptions qui accompagnent et subliment l'intrigue, jamais lassantes ni écrasantes, mais qui magnifient encore davantage un décor déjà époustouflant, je me suis réellement régalée !

Quant à l'intrigue, justement… Comme je disais plus haut, il est quasi impossible d'en parler sans divulgâcher d'emblée, donc je m'abstiendrai d'en dire trop.
Il faut cependant savoir que la plume de Sonja Delzongle, en plus d'être précise avec ses personnages et magnifique quand il s'agit de la montagne, est aussi dure et acérée, et n'hésite pas à aborder divers sujets très dérangeants. La dangerosité de la montagne, ce sont aussi les avalanches… surtout quand elles sont provoquées, et allons-y avec des nombres ahurissants de morts ! Sur le coup, j'en étais presque dégoûtée ; pourtant, c'est un risque comme un autre, et il suffit d'un fou inconscient pour ravager tant et tant de vies, sans même parler des dégâts matériels – ne se passe-t-il pas la même chose chaque été en bordure de méditerranée, notamment, parce qu'un seul inconscient a laissé traîner son mégot de cigarette là où il ne fallait pas en pleine canicule ? C'est tout pareil pour une avalanche, même si c'est relativement plus rare… mais tout de suite beaucoup plus meurtrier !
Outre cet aspect « écologique » (au sens du respect de la nature, sans aucune idéologie politique quelle qu'elle soit), l'autrice aborde d'autres thèmes très durs, dont le pire est sans aucun doute la pédophilie, et elle ne nous épargne pas certaines scènes, plus ou moins suggérées, plus ou moins montrées, et de toute façon glaçantes !

Je dois ajouter que, à travers tout cela, j'ai apprécié quelques petits « trucs » qui participent indirectement au plaisir de la lecture :
- le découpage en chapitres courts, qui donnent un bon rythme à l'ensemble ;
- une complicité implicite avec le lecteur, quand on voit, à l'une ou l'autre reprise, au fil de l'avancée de l'enquête, Elda Flores esquisser plusieurs hypothèses avec ses collègues… tandis que nous, lecteur, on sait pertinemment qu'elle a tout faux, puisque le narrateur omniscient nous a permis de « voir » la vraie, bonne piste, du moins le croit-on…
- le fait que, en parfait thriller bien construit, toutes les pièces du puzzle sont mises à la disposition du lecteur, parfois certes de façon tellement bien masquée qu'il faudra attendre la fin pour s'en rendre compte, mais d'autres étaient plus faciles à décrypter ! Ainsi, par exemple, j'ai très vite eu un doute à propos de l'identité du « Messager », qui s'est avéré exact… mais en version bien pire que ce que j'avais imaginé !

Tout cela donne un livre vertigineux, qui met les Pyrénées en avant-plan comme un véritable personnage principal, aux côtés de quelques protagonistes plutôt rudes mais touchants dans leur vérité. Dès le prologue abrupt, le lecteur est entraîné dans une succession de rebondissements imbriqués les uns dans les autres, au rythme de chapitres courts dans lesquels apparaît parfois un clin d'oeil de l'autrice, qu'il faut saisir, malgré des thématiques très dures et glaçantes, grâce à une plume précise et acérée, toujours très visuelle sans effets inutiles. Un régal !
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