Gouvernance, voilà un mot fréquemment utilisé de nos jours dans les médias, sans que l'on sache vraiment le définir. Il est probable que 99% d'entre nous peineraient à expliquer la différence avec gouvernement.
Ce terme de gouvernance, tombé en désuétude, revint en force dans les années 90, suite à une série de scandales et la chute de quelques entreprises mastodontes, les plus connues étant WorldCom et Enron.
Les principaux dirigeants d'Enron avaient mis en place un système complexe pour dissimuler certains des investissements et certaines dettes, ceci afin d'améliorer le bilan... et de faire monter le cours de l'action. Lorsque ces investissements perdirent de leur valeur, l'entreprise fit faillite, pénalisant les actionnaires... et aussi - surtout -, les employés, dont la retraite était basée sur les actions.
Des principes et des règles de gouvernance furent alors édictés, leur but officiel étant de protéger l'investissement des actionnaires en cas de malversation des dirigeants. Il est plaisant de constater que les actionnaires avaient eux-mêmes tendu le bâton pour se faire battre: en effet, rémunérés en actions, les dirigeants étaient fortement incités à faire monter le cours de Bourse.
Mais fermons la parenthèse. La thèse d'
Alain Deneault est beaucoup plus inquiétante. Il nous montre que la gouvernance, originellement limitée à l'entreprise, s'est étendue à la politique, et à toute l'économie. En un mot, ce principe de protection des investisseurs, s'applique désormais à l'ensemble des individus. Elle dépossède les gouvernements de la possibilité de choisir d'autres politiques, plus favorables à leurs administrés. Tiens, par exemple, les décisions sur les retraites, la gestion du secteur hospitalier, de l'éducation, sans parler de l'agriculture, sont elles prises en fonction de l'intérêt général, ou d'intérêts particuliers?
On entend toujours parler de "bonne gouvernance", mais les caractéristiques de celle-ci sont plutôt nébuleuses, malgré le nombre important d'instituts qui travaillent sur le sujet, et les financements privés juteux qu'ils reçoivent. Et pour cause: les apôtres de la gouvernance avancent avec des intérêts masqués. C'est par exemple au titre de la "bonne gouvernance" que l'on continue à exploiter des ressources dans les pays dits "en voie de développement" en leur versant une toute petite partie des revenus de cette exploitation, et, au passage, en se faisant exempter le plus possible d'impôts et de taxes.
Alain Deneault met en exergue les contradictions de ces principes, par exemple lorsqu'ils promeuvent benoîtement la discussion avec les "parties prenantes", tout en insistant sur la nécessité d'une organisation extrêmement hiérarchisée, et d'une prise de décision totalement centralisée. La ressemblance avec le récent épisode de la réforme des retraites me semble exactement correspondre à ce schéma pervers.
C'est également à ce titre que des universités - financées par le secteur privé - se voient orientées vers des recherches dont l'intérêt est évalué en fonction de leur potentiel commercial.
Je viens de consulter le site de l'ONU, et l'on y découvre que le principal ennemi de la 'bonne gouvernance' serait la corruption, qui officiellement, engloutirait au bas mot mille milliards de dollars chaque année. Donc, sans surprise, il est recommandé de lutter contre ces pratiques... mais, comme le souligne
Alain Deneault, pour corrompre, il faut être deux: le corrompu et le corrupteur. Si certains gouvernements sont régulièrement accusés d'être corrompus, on s'intéresse bien moins à ceux qui les corrompent...
L'idée de la bonne gouvernance est que toutes les décisions devraient être prises par des experts. Or, quels meilleurs experts que les managers d'entreprise? Les autres, gouvernements, citoyens, sont aimablement désignés comme des "parties prenantes" dont le but, on l'aura compris, doit aller dans le bon sens: un partenariat. L'exemple du Congo est éclairant: un rapport de 60 pages signé Banque mondiale et intitulé "la bonne gouvernance dans le secteur minier comme facteur de croissance" fait appel à des experts et des consultants géologues travaillant également pour des sociétés minières...
Pire encore, lorsqu'une entreprise fait faillite, ou commet des fraudes, alors, on accuse les États de ne pas avoir posé les bonnes barrières pour l'éviter. de ne pas avoir mis en place une "bonne gouvernance". La faute est donc rejetée sur les gouvernements. Imparable!