Globalement, je n'ai aucun respect pour la politique étrangère américaine et je trouve qu'à bien des égards sur le plan social les Etats-Unis sont l'exemple type d'un système injuste. Mais je méprise tout autant l'anti-américanisme primaire. L'Amérique ce n'est pas que Trump, le Maccarthysme, la guerre en Irak... L'Amérique, c'est aussi
Mark Twain,
John Ford, c'est une terre qui a longtemps symbolisé le possible, le rêve et l'aventure. A ce titre, je trouve que la France et les Etats-Unis évoquent trop rarement (et lorsqu'ils le font c'est à mauvais escient) le lien si particulier qui les unit. En tout cas, la France le fait trop peu, et notamment à travers la fiction. de toute façon (là je vais pas mal digresser) les artistes français ont toujours été un peu frileux à s'emparer de personnages historiques pour en faire des mythes. Les américains sont en revanche très doués pour ça. Ils sont même capables de s'emparer d'une personnalité historique, de triturer la réalité pour faire de cette personnalité un mythe puis de revenir à plus de réalisme et tirer à vue sur le mythe. Je pense notamment à la figure de Wyatt Earp qui est devenu l'incarnation du Old West. Un même cinéaste a su à la fois participer à l'ériger en mythe avant de s'amuser à le détruire. Dans le très bon classique "Règlements de compte à OK Corral" John Sturges présente Earp comme l'incarnation du type honnête et bon qui va se dresser contre des bandits sans foi ni loi (construction du mythe). Quelques années plus tard, le même Sturges réalisera l'excellent "7 secondes en enfer" dans lequel Earp est présenté de façon sans doute plus conforme à la réalité comme un vigilante brutal et la mort des hommes du clan Clanton ressemble à une exécution sommaire (déconstruction du mythe). Tout ça pour dire qu'en France on n'a pas beaucoup d'exemples de fictions osant s'emparer de telles figures historiques. Ainsi, étrangement, scandaleusement, il y a très peu de fictions s'inspirant de Jean Laffite. Vous avez vu, après ma trop longue digression je parviens à revenir sur mon histoire du lien qui unit la France et les U.S.A. Parce que qui mieux que Jean Laffite peut incarner ce lien ? Ouais bon, c'est vrai il y en a d'autres (
La Fayette, Rochambeau...) mais ce Laffite, quel personnage ! Pourquoi, mais pourquoi si peu d'auteurs français se sont intéressés à lui ?! Comme il y en a très peu et que je voulais lire un roman s'inspirant de sa vie, me voilà avec cette "Désirade" dans les mains. Je ne pensais pas un jour lire un roman de Deniau qui a, pour moi, l'image d'un papy guindé. Et bien, ça aurait été vraiment dommage de passer à côté de ce roman qui est un régal.
La réussite de "
La Désirade" ne tient pas seulement à l'illustre personnage qu'elle prend comme matériau de base mais aussi au talent de conteur de Deniau qui a su se saisir de ce personnage et lui donner une dimension de mythe.
"
La Désirade" est un formidable récit d'aventures. Tout y est pour combler le lecteur : combats sur terre et sur mer, exotisme, romantisme... Et l'auteur sait donner du souffle à son récit. Cet aspect est vraiment enthousiasmant.
Derrière le roman d'aventures, des réflexions intéressantes sont abordées, sur la naissance d'une cité, sur les hommes guidés par une utopie...
Mais avant tout, "la Déisrade" est un très beau portrait. Deniau a offert là un magnifique hommage à cette figure flamboyante. Il le fait de façon très intelligente. L'évolution de cet homme qui va être dépassé par sa propre légende trouvera un écho dans les changements de ton du récit. D'abord la jeunesse fougueuse, exaltée, pleine de rêves, puis le temps de la désillusion, des échecs, des espoirs déçus. La 1ère partie est digne des plus grands romans d'aventure. Jean Laffite y est bouillonnant, exubérant, audacieux, séducteur, un personnage irrésistible, haut en couleurs (
Errol Flynn aurait été parfait même s'il n'est pas français). La suite du récit va adopter un ton plus mélancolique. Au fur et à mesure, Laffite apparait de plus en plus désabusé. Il devient touchant et émouvant. Il a voulu ressusciter la flibuste, on a voulu y croire avec lui mais c'étaient là les derniers feux et Laffite en prend conscience. Mais Laffite reste indomptable et il aura un dernier pied de nez réjouissant :
selon la légende, que Deniau reprend ici, Laffite aurait aidé financièrement à la publication du "manifeste du parti communiste".
Au cours de ma lecture, je suis passée du rire aux larmes, mon petit coeur a battu très fort (seules quelques longueurs m'empêchent de parler de coup de coeur absolu).
Maintenant , il faudrait que je lise "
la baie des maudits" de
Alain Dubos qui s'inspire également de Laffite et puis... et puis voilà. Il n'y a, à ma connaissance, pas d'autres romans s'intéressant à cet homme bigger than life. Merde, ce type a tout de même sauvé La Nouvelle Orléans aux côtés d'un futur président des U.S.A ! Quand je vous dis que c'est une honte de ne pas s'emparer d'un tel personnage. Auteurs français, allez-y, saisissez-vous de Laffite pour construire un mythe. Et pourquoi pas ensuite le déconstruire (ses activités dans le cadre de la traite des esclaves). Mais d'abord le construire...