"
Tu crèveras comme les autres" est un roman d'anticipation dont le narrateur interpelle le héros à la deuxième personne, et au futur de l'indicatif, pour lui prédire, au long des pages, son avenir inéluctable. Ce héros est un jeune homme contemporain d'une trentaine d'années dont l'univers, notre univers technologique, s'effondre totalement, comme dans
Ravage de
Barjavel. Et comme dans
Ravage, le voilà contraint de fuir les villes devenues des pièges, et de "retourner à la terre", au travail des champs, afin de survivre. Mais
Barjavel, quand il publia son roman en 1942, reprenait de manière assez optimiste l'idéal pétainiste de retour à la vie paysanne. Il faisait la morale aux citadins décadents, non aux paysans, par définition sains et purs, et le travail de la terre était le bien souverain. Rien de tel ici : le narrateur, impitoyablement, accuse son héros et son lecteur d'appartenir à une espèce humaine prédatrice et dont la vie parasitaire assassine la planète. Comme il est de tradition dans les récits post-apocalyptiques, la disparition de l'état provoque la guerre de tous contre tous, et la victoire des forts sur les faibles, comme dans Walking Dead. Victoire précaire, puisque les forts trouvent toujours plus forts qu'eux, jusqu'à ce que l'épuisement planétaire mette tout le monde d'accord. Bien sûr, on pense à l'autre roman français de la survie,
Malevil de
Robert Merle, mais
Denis Cheynet exclut toute rédemption et toute sortie du drame : la guerre de tous contre tous est une boucherie sans but et rien ne trouve grâce dans ce roman, rien ne survit.
Quand l'épidémie du printemps 2020 a éclaté en Europe, il s'est trouvé un groupe d'écologistes anglais pour s'en réjouir et espérer que l'humanité disparaisse enfin, afin que la planète Terre ressuscite. Ce roman de
Denis Cheynet me fait un peu penser à eux : si la protestation écologiste frappe juste quand elle vise l'absurdité de notre société de consommation, elle a des accents délirants et apocalyptiques quand elle condamne à mort la race humaine et appelle sa disparition. Cela se nomme millénarisme, folie chronique qui saisit les peuples à certains moments de leur histoire. Ce roman lui fait écho, mais dans un style implacable et sans excès de rhétorique : certaines pages font penser à
Houellebecq, mais un
Houellebecq conformiste qui se serait converti à l'idéologie dominante de notre temps, l'écologie pénitentielle.