Il n’était plus en forme depuis quelque temps. Ces vertiges, ces nausées qu’il avait cachés à sa femme le rendaient perplexe, mais, comme tout bon vivant, il avait pensé que la chaleur de l’été, le stress… Or, le diagnostic lui avait été livré comme un jugement. Condamné! Condamné à mort sans le moindre plaidoyer. Non, la vie n’était pas injuste, songea-t-il, elle n’était qu’absurde. Tous ces efforts, tous ces sacrifices, toutes ces années pour apprendre en quelques instants que le rideau tombait, c’était insensé. Ridicule même pour celui qui avait vécu sans prendre le temps de vivre. Que les affaires, que la bonne chère, que le devoir accompli sans les joies simples de la vie.
Elle préférait lire ou tricoter, tout en regardant n’importe quoi en pitonnant. Elle avait encore en mémoire l’unique fois où, au cinéma, devant le film Love Story, il s’était levé pour aller l’attendre au fumoir. À la fin du film, alors qu’elle avait les yeux rougis par l’émotion, il lui avait lancé: «Toujours la larme à l’œil, toi. Pour des niaiseries. Pleurer pour ces mélodrames en public, ça ne fait pas sérieux. Ce n’est qu’un jeu, du cinéma, Solange.» Et pourtant, dans ce film, la jeune héroïne vivait le même drame, livrait le même combat que, sans le savoir, il allait affronter beaucoup plus tard. Un jour. Maintenant.
Il était vrai qu’elle était belle, qu’elle était «femme», sa fille de vingt-huit ans. Sous la robe d’été moulante ceinturée à la taille avec bustier de fine dentelle, on pouvait distinguer ses charmes. Escarpins roses à talons hauts, mariés avec la robe du même ton, elle avait les ongles vernis d’un rose satin, les lèvres peintes en rose, une jolie tête brune bouclée jusqu’aux épaules. À ses oreilles, des anneaux de gitane en lucite blanc. Une fort belle femme, comme les aimait Robert dans son jeune temps. Au point qu’il lui lança devant les autres: «On dirait Rita Hayworth dans Les Amours de Carmen.»
Elle se dirigeait vers l’enseignement, elle voulait de préférence enseigner aux enfants. Elle ne voulait pas, à l’instar de Claudie, être une petite secrétaire sous-payée qui change d’emploi comme on change de robe, jusqu’à ce qu’un mari se présente pour la faire vivre. Elle voulait prouver à son père qu’on pouvait s’instruire dans la famille et non tout laisser tomber comme l’avait fait Claudie, après deux sessions de cégep et un cours de base en informatique, histoire de pouvoir écrire à l’ordinateur.
Elle avait accepté sans même y réfléchir. Il était beau, charmant, bien élevé, et il aimait rire. Bon vivant, les sorties avec lui étaient splendides. Il dansait comme un Valentino et les femmes se pâmaient devant lui. Élégant, de bonne famille, c’était le parti rêvé. Quand on avait dit à Solange qu’il avait butiné, elle avait détourné la tête comme pour ne pas entendre. Ce qui comptait, c’était l’avenir et non le passé. Ce futur qu’ils allaient bâtir ensemble, comme il l’avait tant de fois répété.
Anne-Laure Bondoux nous parle de son nouveau roman, Valentine ou la belle saison, qui sortira le 04 octobre aux éditions Fleuve.
À 48 ans et demi, divorcée et sans autre travail que l?écriture d?un manuel sur la sexualité des ados, Valentine décide de s?offrir une parenthèse loin de Paris, dans la vieille demeure familiale. Là-bas, entourée de sa mère Monette et du chat Léon, elle espère faire le point sur sa vie.
Mais à la faveur d?un grand ménage, elle découvre une série de photos de classe barbouillées à coups de marqueur noir. Ce mystère la fait vaciller, et quand son frère Fred débarque, avec
son vélo et ses états d?âme, Valentine ne sait vraiment plus où elle en est.
Une seule chose lui semble évidente : elle est arrivée au terme de la première moitié de sa vie.
Il ne lui reste plus qu?à inventer ? autrement et joyeusement ? la seconde.
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