Citations sur Tout l'amour du monde (10)
Positano, le 15 août. Franchie cette date, l'été bascule, décline, rétrécit ses jours, reprend ce qu'il nous avait donné de vie. Il faudrait ne pas se laisser entamer par ce jeu cruel. Mais comment le refuser ? Déjà le ciel accuse une certaine fatigue et se couperose au crépuscule. La fleur blanche du cactus s'ouvre plus tôt chaque soir et glisse son parfum sucré dans les ruelles. Le jasmin que la chaleur endormait déplie ses cinq pétales blancs et embaume le chemin qui monte chez Marisa.
Il y a longtemps en revanche que les Français n'aiment plus la France, confondant - peut-être abusivement - les régimes politiques qui l'ont démantelée et ridiculisée avec l'âme d'une nation. On ne connaît pas d'exemple de pays qui soit plus la proie de coquins et d'imbéciles solennels que la France. A vivre sous leur coupe, il est fatal qu'un peuple verse dans la méfiance.
Chardonne estime avoir gêné peu de monde dans sa vie, ce qui lui a permis de passer entre les balles. La Libération ne l'a pourtant qu'à demi épargné : trois mois de prison, deux ans sans remettre les pieds chez lui à La Frette. Il est sans rancune. La haine, la bêtise n'offensent pas. Elles peuvent même faire du bien. Sans elles, nous nous endormirions.
Mieux vaut interposer entre les femmes et soi une distance respectueuse, idéale. Cela dit, il serait vain de jouer les fiers-à-bras. Puisqu'il est impossible de se passer d'elles, autant les aimer (ce qui est plus généreux que de les épouser), le leur dire (ce qui est une autre affaire que de les dominer) et ne pas lésiner sur les qualités qu'on leur prête (ce qui facilite les rapports humains).
Ainsi, pour parler aux femmes en toute tranquillité, faut-il soit se donner la peine de les enlever, soit leur écrire. En 1822, on pouvait encore impunément les enlever et les tenir à sa merci dans quelque appartement secret après avoir soudoyé leurs laquais, leur camériste et leur cocher. Aujourd'hui l'entreprise m'apparaît délicate et difficile.
Il est fâcheux pour les sentiments tragiques que les formes de la vie moderne ne s'y prêtent pas.
Le propre des jeunes filles espagnoles qui vivent en Italie chez un oncle anglais et sont aimées d'un Français n'est pas la constance.
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J'avais massacré un bonheur bancal. Je l'avais massacré pour rien, pour l'honneur, pour le plaisir raffiné de ne laisser derrière moi qu'une ruine, et parce que ceux qui croient avoir perdu l'espoir ne supportent pas que d'autres en arrivent, par le jeu stupide des mensonges et des illusions, à cette lente agonie.
Sans doute, un jour trouverait-il la clé de ces mystères, une réponse magique à sa soif, mais face à quel gouffre ? Tous les corps de femmes sont des gouffres au bord desquels vous saisit le vertige.
Ce qui me ramène à Gobineau. Nous arrivions à Dakar quand j'ai détaché des Pléiades : "L'amour est trop fort ! L'amour est trop dur ! L'amour est trop triste ! L'amour est trop âpre ! Ah ! l'amour est une torture trop raffinée pour que la frêle machine humaine saisie par une puissance si terrible réussisse à la combattre avec sa pauvre énergie."