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EAN : 9782283029206
128 pages
Buchet-Chastel (20/08/2015)
3.34/5   58 notes
Résumé :
« C’est demain, se répète Markus, que je rentre à Paris... » Pour sa dernière nuit africaine, le jeune militaire se jette à corps perdu dans Djibouti, son implacable désert, son désordre étourdissant, ses putains redoutables, et sa faune de soldats fous d’ivresse et de solitude. Entre violence brute et errance onirique dans les bas-fonds de la ville, Pierre Deram met à nu la bouleversante férocité des rapports humains.
À Djibouti, berceau de l’humanité et bar... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,34

sur 58 notes
« … le golfe de Tadjourah s’étendait en une seule nappe sombre se perdant dans l’infini de l’océan. En bordure de route, les lucioles des vendeuses de khat semblaient flotter comme des fanaux sur une mer d’huile, déroulant vers l’horizon leurs longues guirlandes de lueurs mourantes. Au-delà des phares du taxi, la route disparaissait dans une nuit impénétrable. Tout paraissait irréel. On avançait en apesanteur vers le néant toujours plus noir du monde. »
note Markus dans le taxi qui l’emmenait vers la caserne en compagnie du lieutenant Maronsol et du capitaine Broudon, venus l’accueillir à l’aéroport lors de son arrivée à Djibouti.
Markus va y passer six mois au sein d’une compagnie de la légion qui y est cantonnée.
Il nous entraîne à sa suite au cours de la dernière nuit qui précède son départ, nuit de dérive chaotique durant laquelle rejaillissent des scènes, des rencontres qui l’ont marqué et resteront gravées en lui.
J’ai fait cette lecture d’une seule traite sous tension, prise par la violence et la beauté insoutenable de ce récit qui n’épargne rien de la souffrance et de la solitude des soldats et des filles qui les attendent dans les bars où ils se saoulent et se battent au cours de nuits de folie.
Un récit marqué par des scènes de décomposition et de chaos qui, bien qu’étant liées à la vie de ces hommes et de ces femmes perdus, brûlés par l’incandescence de Djibouti, semblent nous dire qu’inéluctablement le monde s’y dirige. Un récit pourtant empreint d'une grande poésie.

« Markus : Les paléontologues prétendent que ce fut le berceau de l’humanité. Et les Égyptiens l’appelaient « le pays de Dieu ».
Le capitaine : Alors ?
Markus : Alors tout est fini.
Maronsol : Quoi ?
Il n’y a pas de retour aux sources possible, sachant ce que nous savons, ayant fait ce que nous avons fait. Tout ce que nous touchons, nous le salissons. Tout ce que nous voulons réparer, nous le détruisons un peu plus. L’univers grossit comme une bulle, le vide augmente, l’errance s’aggrave, la solitude s’agrandit. Les galaxies s’éloignent les unes des autres. Chaque seconde qui passe ajoute un peu à la somme de nos erreurs.
Maronsol : Irréversiblement.
Gallardo : Et si tout n’avait toujours été que ce long et douloureux chaos ? »
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« Il n'y a pas de retour aux sources possible, sachant ce que nous savons, ayant fait ce que nous avons fait. Tout ce que nous touchons, nous le salissons.  ...


« La terre des Afars et des Issas, l'implacable désert de Djibouti », avec son sable qui brûle et son soleil qui embrase l'air jusqu'à vous calciner, assécher toutes les molécules d'eau qui vous composent, pour vous consumer, vous laisser pantelant, puant la sueur et la trouille.

Soldats d'un autre continent vous allez découvrir l'origine des peines et des désespoirs, vous allez vous noyer dans des bras, vous détruire dans des combats d'ivrognes, espérant ainsi une fin à ce mal-être qui vous gagne sournoisement dans cette désespérance, ce dégoût de vous-même.

« Fuck la life ! »

La lassitude gagne les esprits, l'alcool annihile les remords et les putes vous font oublier, un instant, un instant pour elles aussi, cette sensation de solitude et de déréliction effroyable où chacun se retrouve face à lui-même dans la nuit de Djibouti, une nuit noire où l'on ne voit rien, sauf quelques lumières devant des bistrots de fortune où certains baisent pendant que d'autres cuvent et s'endorment, après une bagarre où personne ne cherche à gagner, juste à saigner.. Quand « l'exacte définition de la fête était aussi l'exacte définition de la mort ».


... L'univers grossit comme une bulle, le vide augmente, l'errance s'aggrave, la solitude s'agrandit. Les galaxies s'éloignent les unes des autres. Chaque seconde qui passe ajoute un peu à la somme de nos erreurs. »


Un jeune auteur qui a marqué mon esprit au travers de ses mots d'une grande justesse et empreints de respect. Bluffant !
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Markus, soldat dans la coloniale, vit sa dernière soirée à Djibouti. Il déambule dans les rues, les bars, pour une ultime confrontation avec les putains et les militaires ivres de solitude et de violence. Le temps d’une nuit, Markus fait l’expérience d’une humanité à la fois sordide et flamboyante. Une errance initiatique qui sonde les corps, les cœurs et les âmes.
Il fait la connaissance de Thérèse, les yeux noyés de chagrin et l’aide à enterrer son petit chien, son seul compagnon puis il poursuit son chemin jusqu’au bout de la nuit.
Au petit jour, le temps du retour approche...
Il faut lire ce livre, avant tout pour l’écriture, tellement belle, tellement imagée, quasi photographique. L’émotion affleure à chaque phrase.
Pierre Deram signe un magnifique premier roman. Je suis impatiente de lire son prochain livre.
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Djibouti est un ouvrage court dont la structure se rapproche par certains aspects du genre de la nouvelle : l'auteur s'intéresse à une tranche dans la vie d'un personnage ; les caractères sont peu développés. L'action commence in media res ; un taxi conduit le narrateur, Markus, un légionnaire, ainsi que deux de ses collègues, dans un bar où il va fêter son départ prochain au terme de six mois passés à Djibouti. Il faut savoir que la légion étrangère s'est retirée de Djibouti en 2011.

Le récit alterne entre le présent, quelques descriptions de paysages, l'évocation de la chaleur et des souvenirs de l'arrivée du narrateur à Djibouti, et les récits faits par d'autres légionnaires.

Avant de m'engager dans la lecture de Djibouti, j'ai lu Cravate verte képi blanc de François le Berre, un officier de la Légion étrangère. le ton adopté dans les deux ouvrages n'est pas du tout le même, mais le sujet de Djibouti m'a rappelé un passage de cravate verte : « La seule façon de bien connaitre un sous-officier consiste à examiner son dossier médical. le nombre de crises de foie et de chaudes-pisses est un critère irréfutable.

-Vous oubliez les hémorroïdes, rectifia le capitaine Gelbard. ».

C'est bien dans les bas-fonds, dans la face cachée de la vie des soldats que veut nous conduire Djibouti. Au coeur de la chaleur étouffante du pays sur laquelle insiste l'auteur, défilent des scènes de violence, de sodomie entre soldats. Dans la vie de ces militaires, tout semble tourner autour de l'alcool et du sexe. Les hommes semblent en souffrance permanente. Les fêtes sont l'occasion de bagarres extrêmement violentes : « L'exacte définition de la fête était aussi l'exacte définition de la mort ».

Le passage sensible du livre est celui qui touche aux rapports que les soldats entretiennent avec les enfants. Les scènes où les soldats profitent sexuellement des enfants sont difficiles. Les petites filles tchadiennes meurent de faim et se soumettent à des scènes humiliantes en échange de biscuits. Markus rapporte à ce propos un récit fait par un « grand type » de la Légion :

« Markus songeait à ces fillettes abandonnées dans les camps de réfugiés, affamées et assoiffées, trainant toute la journée entre les abris de fortune et qui se glissaient le soir venu jusqu'au camp militaire pour quémander un biscuit au soldat de garde, en échange de quoi il leur glissait son sexe entre les lèvres. »

Et cette scène horrible où le capitaine « nous accusant de souiller l'honneur de l'armée » demande de faire feu sur les enfants.

La vision du « grand type » est très gênante, car il considère que les filles viennent « pour faire l'amour », qu'il y a une relation d'amour entre ces enfants et ces adultes. Alors que le lecteur sait qu'elles viennent pour obtenir à manger. « C'était attendrissant à voir, mon lieutenant, la manière dont elles reviennent tous les jours sans se décourager. » « On a rêvé d'elles et elles ont rêvé de nous » imagine le soldat. « Toutes ces petites tchadiennes qui venaient se faire éjaculer dans la bouche et qui recrachaient sur la terre aride. On les a aimées, mon lieutenant, et elles nous ont aimés, j'en suis sûr. »

Le mot amour est ici profondément choquant et révoltant. Il révolte le lecteur, le fait sortir hors de lui-même et lui fait éprouver un sentiment de colère face à des adultes qui sans cesse profitent des enfants affamées et vont « piochant au hasard deux-trois biscuits dans leurs boites de ration contre cinq minutes à travers le grillage, cinq minutes avec ces orphelines. »

Ces passages me rappellent l'attitude des soldats à l'égard de la femme d'un colonel assise « face au comptoir, au milieu des hommes saouls » : « le plus balourd des troupiers devait comprendre qu'une consigne discrète interdisait qu'on lui adressât la parole. » On ose porter atteinte à des enfants, mais la femme du colonel est intouchable.

Les relations entre les femmes et les soldats recouvrent encore la notion d' « amour » d'une certaine ambiguïté : « Je t'aime, je crois que je t'aime. Tu me crois que je t'aime ? Dis, tu me crois ? », dit Araksan à Markus avant de lui demander de l'argent et de se fâcher parce qu'elle sait qu'il a donné plus d'argent à une autre. Comme pour les petites tchadiennes, les soldats sont une source d'argent pour les femmes ; la notion d' « amour » aide sans doute à atténuer cette relation marchande, à rendre cet échange plus supportable et à atténuer la mauvaise conscience qu'il fait éprouver aux uns et aux autres, tout comme le fait l'alcool lui-même : on se saoule pour oublier.

Au fil des pages, j'ai eu l'impression que le narrateur présentait la souffrance des soldats comme une justification de cette quête irréfrénée de l'alcool et du sexe, comme une justification du besoin d' « amour » et de chaleur humaine quel que soit le moyen de l'obtenir, avec des adultes ou des enfants. le paradoxe de cet ouvrage est qu'il nous amène presque à plaindre les soldats, à les considérer comme des adultes irresponsables de leurs actes, à en faire des victimes de la chaleur, et à justifier leurs actes :

« Les soldats sont les frères des petits filles, nous sommes la fratrie innocente qui porte la violence et la beauté. >>

Ou encore

« Et son souhait le plus cher était celui-là, d'être lui aussi un moins-que-RIEN, un Sali, un juste enfant de Dieu, loin du pouvoir, le plus loin possible du pouvoir. Toujours soldat. »

Mais en tant qu'Européen, lui, il va retourner dans son pays loin de ce genre de vie, peut-être meurtri certes. le danger serait aussi de généraliser cette fiction et de faire coller cette image à tous les soldats.

Cet ouvrage, dont j'attendais beaucoup, m'a finalement déçue. Franck Tilliez m'a amenée en Egypte, Laurent Gaudé dans les pouilles en Italie, mais je n'ai pas découvert Djibouti. le titre, trop généralisant, est vendeur, mais pas représentatif du contenu de l'oeuvre. Il invite à considérer le pays comme acteur ou sujet de l'oeuvre, alors qu'elle contient surtout des lieux communs sur la vie militaire et des clichés, comme l'épouse d'officier seule dans le bar en train de noyer la peine d'avoir perdu son chien et de ne pas trouver d'endroit où l'enterrer. le travail d'écriture est soigné, sans fioritures, mais le scenario aurait gagné à être développé, les personnages à acquérir une personnalité, les descriptions à être nourries et enrichies.
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Pierre Deram, Djibouti (2015)

Pierre Deram avait un peu agacé Olivier Poivre d'Arvor -c'était le marathon des mots à Toulouse, le dimanche 26 juin 2016. L'équipe de France de football jouait un match contre l'Irlande- en s'étonnant que les militaires portent des shorts à Djibouti. Pierre Deram est jeune, et l'on comprend ses étonnements, et on les lui pardonne quand on a lu son roman, d'une étonnante maturité. Pierre Deram a fait avec succès Polytechnique, et il lui plaisait de faire Saint-Cyr, et de le faire à Djibouti.
Rien que le nom faisait envie au très aimable Djiboutien Abdourahman Waderi qui aurait aimé écrire un livre qui portât ce titre. Abdourahman Waderi ne peut commencer à parler sans d'abord avoir salué son public, au contraire d'Olivier Poivre d'Arvor, pressé qui va droit au fait, sans ensuite les avoir remerciés. Question d'éducation. Il rappelle et se rappelle la forte présence militaire française quand il était enfant à Djibouti.
Qu'est-ce que Djibouti, le personnage principal du roman de Pierre Deram? C'est une ville qui fascine à la fois le lieutenant Markus, le second protagoniste, et l'auteur. Peut-être par sa géographie, son climat, son ambiance. Un empire de terre rouge qui semble inhabité, la terrible terre des Afars et des Issas, l'implacable désert de Djibouti, l'océan Indien, la mer Rouge, le golfe d'Aden. Ce sont Monfreid, Lawrence, Nizan, Rimbaud, qui défilent. Et aussi les couleurs, la chaleur, le feu, le silence, la mort. La ville même ne vit que la nuit, quand le soleil s'éteint, quand le khat se mâche, quand les soldats s'enivrent, que les bordels se remplissent. Car il faut bien un dérivatif au vide et à l'ennui. Et pourtant, c'est un "pays sublime". Jadis, peut-être, le pays de Dieu, mais les hommes détruisent inéluctablement.
Markus, après six mois de service, passe sa dernière nuit à Djibouti. Il va boire avec ses amis à la fin des temps, à la fin de son temps. Il rencontre Thérèse, femme de colonel, dont le chien, aimé comme un fils, a été mortellement mordu par un serpent, et qu'il aidera à l'enterrer dans un endroit d'où les eaux ne le délogeront pas; il voit se battre tête contre tête deux soldats qui jouent, yeux bandés, mains liées derrière le dos, à se donner des coups jusqu'à rendre l'un K.O.; il se rappelle un grand type qui lui avait parlé des petites Tchadiennes affamées qui venaient délivrer d'amour contre des biscuits de jeunes soldats en proie à la solitude et à la détresse, "fratrie innocente qui porte la violence et la beauté" de ceux qui, moins que rien, sont très éloignés du pouvoir.
Djibouti est donc un "océan de néant", où des hommes errent "tous yeux bandés, perdus au fond d'une nuit d'ivresse", où l'on fait l'expérience du "doux et douloureux chaos", de l'insignifiance et de la solitude de l'être emporté dans le roulement de l'univers indifférent. Mais c'est aussi le lieu de traces ineffaçables, d'amours belles et tristes, le temps d'une "jeunesse folle dépensée en pure perte dans les rues sombres de Djibouti".
En pure perte? Eprouver son rien dans la grandeur du tout, dans un pays inquiétant et somptueux, et consigner cette tranche de vie, brûlée de soleil et d'alcool, dans un livre dense à l'écriture épique et tragique, quand on a plus de souvenirs que si on avait mille ans, et tirer du voyage un savoir effrayant par son contenu et qui semble conforter l'intuition qu'on en avait, c'est vraiment quelque chose. Et en plus ce savoir-là, effroyable et saisissant, servira.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Du nord au sud, ce n’est qu’un grand paysage dévasté, où des champs de pierres volcaniques se disputent quelques pitons décharnés. Tout est mort. Le soleil écrase l’étendue silencieuse. Sous l’effet de la chaleur, la rocaille brune se désagrège et couvre le sol de traînées rougeâtres.
Une heure durant, l’ombre de l’avion glisse inlassablement sur les mêmes décors, les mêmes oueds asséchés et les mêmes talwegs cernés de crêtes tranchantes. Çà et là, dispersés entre les rangées de sièges vides, les voyageurs attendent en silence – les visages tendus, sans que l’on puisse dire s’il s’agit d’angoisses ou de rêveries – attendent en silence qu’apparaissent dans un lointain mirage les premiers reflets de la mer Rouge.
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Mais il faut tellement d'obscurité pour tellement de rêves ! Des profondeurs de la terre, ils montent en brume invisible comme les songes qui s'élèvent du corps des femmes endormies quand, tressaillant dans la nuit, leurs petites mains se serrent et leurs douces lèvres balbutient. Là seulement, après tant de souffrances et de misères, le Djiboutien harassé tombe en pleurs aux pieds de son superbe et terrifiant pays, et, installé contre un mur ou somnolant sous un ventilateur, se laisse rouler vers les suaves visions que le khat révèle à ceux qu'il a soumis. La nuit l'envahit, pleine de couleurs grandioses et des torrents de rêves l'emportent, minuscule, à mille lieues du désert aride contre lequel il s'endort. Comment soupçonner tant de délires cachés sous ces austères paysages ? Mais si l'on broute ses feuilles, si l'on goûte sa sève obscure ! La nuit s'embrase de pétrole noir, et de cette lumière impossible, de tout ce néant sans espoir, la beauté jaillit, irrésistible. Dans les ténèbres glacées qui l'enserrent, le cœur de l'homme se gonfle tout à coup et gonfle encore, gonfle comme une immense voile où le vent chaud et profond de la vie s'engouffre. C'est minuit !
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Un roman magistral nous dit-on en quatrième de couverture. Magistral à condition de ne pas craindre le sordide. Car dans ce domaine on pourra difficilement faire plus avilissant que les scènes de débauche en cette veille de retour en France pour Marckus, lieutenant de la coloniale en séjour à Djibouti. Un ouvrage sans autre intrigue que celle de vivre une dernière soirée dans les bars à prostituées de la Corne de l'Afrique, avant de rentrer au pays de l'aménagement du territoire et de l'égalité homme-femme.

"Nous sommes les enfants de la violence et de la beauté" avait retenu Marckus d'un de ses congénères qui décrivait ainsi la vie des militaires en poste en Afrique. Pour être exhaustif dans l'exploration de la nature humaine, il ne faut certes pas craindre d'aborder sa laideur. Quant à la beauté, Pierre Deram nous la développera sans doute dans un prochain ouvrage. On sort de celui-ci avec la conviction qu'il avait un compte à régler avec la grande muette, à nous la peindre sous ses travers les plus ignobles. Car s'il y a des péripéties qui pourraient élever le débat dans le domaine de la sensibilité, elles sont consciencieusement noyées dans d'autres qui donnent plutôt envie de vomir.

S'il faut trouver un créneau d'originalité pour être édité, celui qui fait sortir Pierre Deram de l'anonymat vient du fond du caniveau. Attendons donc le prochain ouvrage pour aborder le bon côté de la nature humaine.
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Alors midi approche. Dans un silence de mort, les dernières flaques de ténèbres se dissipent. Tout ce qu’il y avait d’immense et de vertigineux dans l’étendue des paysages disparaît avec les ombres qui en donnaient la mesure. Il n’y a plus que la verticalité pure. Une grêle d’or s’abat sur la ville. Le grand soleil déchire les cieux. La pointe de la mosquée Hamoudi rejoint l’aplomb de son ombre et les aiguilles de la place Menelik s’alignent au sommet de leur cadran. L’immonde cathédrale du Bon-Pasteur sombre dans l’obscurité tandis que les fonds des puits asséchés s’illuminent. Tombant droit comme des fils à plomb, les rayons du soleil semblent soudain monter du sol et ouvrir la cime du ciel. Alors, réfugiés au fond d’une chambre tiède ou sous un escalier noir, cherchant un peu de fraîcheur derrière les fentes d’un moucharabieh, les hommes chuchotent dans la pénombre et, tombant de leurs lèvres indolentes, le même mot se répercute à l’infini dans tous les faubourgs de Djibouti : Dohori ! C’est midi !
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Enfin, la circulation se canalisa sur une seule voie et le taxi atteignit l’entrée de la rue d’Éthiopie. Tout s’éclaira soudainement. Les enseignes lumineuses des bars conjuraient d’un seul coup l’obscurité rampante. Bleue, verte ou rouge : toute la rue clignotait comme un grand flipper. Trente enseignes crachaient de toutes leurs forces pour repousser les ténèbres qui menaçaient déjà de les dévorer, attendant la moindre panne pour tout engloutir. Sous les lumières électriques et violentes des néons, une foule bruyante se massait en désordre. La rumeur des conversations se mêlait au tintamarre des klaxons. L’ivrognerie et la tension sexuelle étaient partout palpables. Des légionnaires en chemise, des marins, des soldats et des nayas vulgaires se poussaient d’un bar à l’autre, s’interpellant, se croisant, se mélangeant. ici, quelques légionnaires avinés empêchaient l’un des leurs de pénétrer dans le bar dont il venait de se faire exclure, là un type ivre qu’un autre soutenait titubait sous les arcades, ailleurs une fille giflait son amant d’un soir, plus loin quelques vendeurs discrets se glissaient entre les colonnades, contre un mur un groupe de gendarmes fumait des cigarettes en regardant du coin de l’oeil les matraques qui pendaient aux ceintures d’une patrouille de la police militaire, dans un coin deux ou trois aventuriers fomentaient on ne sait quelle expédition au fin fond du désert, de ce désert si proche que chaque nuit le voyait gagner mètre après mètre sur les faubourgs de la ville. Le taxi avançait lentement au milieu de l’agitation.
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Vidéo de Pierre Deram
Pierre Deram - Djibouti .A l'occasion des Correspondances de Manosque 2015, Pierre Deram vous présente son ouvrage "Djibouti" aux éditions Buchet Chastel. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/deram-pierre-djibouti-9782283028445.html Notes de Musique : © Mollat www.mollat.com Retrouvez la librairie Mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat You Tube : https://www.youtube.com/user/LibrairieMollat Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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