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EAN : 9782707300126
445 pages
Editions de Minuit (01/09/1967)
3.32/5   11 notes
Résumé :
" Les langues sont faites pour être parlées, l'écriture ne sert que de supplément à la parole... L'écriture n'est que la représentation de la parole, il est bizarre qu'on donne plus de soin à déterminer l'image que l'objet. " Rousseau.

Ce livre est donc voué à la bizarrerie. Mais c'est qu'à accorder tout son soin à l'écriture, il la soumet à une réévaluation radicale. Et les voies sont nécessairement extravagantes lorsqu'il importe d'excéder, pour en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
La totalité du savoir humain tient à une pensée théologique qui fait de la parole une transparence naturelle d'une vérité première, divine, mode d'expression le plus « naturel », puisqu'en phase avec la parole de dieu, le logos. le son oral, la langue parlée, a donc une primauté comme signifiant dans l'ordre du sens, de la vérité ; l'écriture n'est qu'un supplément à l'oralité, un représentant du son parlé, un signe de signe, un signifiant qui signifie le signifiant de la phoné, ce signifiant signifiant, lui, le signifié transcendantal du logos, présence intemporelle du divin. le signe (saussurien) a donc pour signifiant un son et un signifié un concept qui serait absolu en quelque sorte. Il donne du sens, mais ne peut être défini, son fondement, le signifié, le logos, restant éternellement inaccessible. Quelque chose de l'au-delà passe dans les mots parlés qui ne se laisse pas appréhender autrement que par la spontanéité du langage parlé et disparaît en fait chaque fois qu'on veut l'exprimer : la parole signifie mais son signifié lui échappe chaque fois qu'elle l'exprime.

Pour aborder le langage, il faut alors partir du mot des mots, le mot premier, celui qui justifie la présence, le mot « être ». Or, ce mot lui-même n'est qu'un mot et fait, comme les autres, disparaître ce qu'il signifie. Pour comprendre le langage, il faudrait alors atteindre ce fond absolu, transcendantal, ce signifié qui s'échappe à chaque mot qu'il produit. Il faudrait une linguistique sans mots. le logocentrisme est cette pensée de la présence du logos d'où se décline toutes les connaissances humaines, l'histoire, la philosophie, mais aussi jusqu'à la science.

On peut bien sûr comme Heidegger considérer que le mot est indépassable, qu'on ne peut creuser dessous, tout en sachant qu'il se trouve pourtant autre chose qui le génère et, pour exprimer cette pensée, énoncer le mot et le biffer tout en même temps. On peut. Mais on n'aura pas progressé dans la connaissance de la production du langage qui est production du sens. On peut alors tenter de déconstruire : et si l'écriture était première dans l'ordre du sens ? Derrida relit Saussure "à la lettre" et lui trouve d'innombrables contradictions qui mettent en évidence qu'il ne conçoit pas la linguistique sans une référence permanente à l'écriture. le moment fatal est celui de l'arbitraire du signe. Comment penser l'arbitraire du signe puisque la parole est « naturelle », qu'elle exprime le logos, se veut au plus proche de lui, dans une transparence à retrouver ? Par ailleurs, les mots écrits sont des signifiants qui s'articulent entre eux selon des règles instituées : l'arbitraire n'a rien à faire ici non plus, mais plutôt l'institution. Si bien que pour sauver l'indépendance de la parole doit naître la notion d'arbitraire du signe, comme immotivation de la phonè - après celle de l'écriture. Et puisque l'on pose que l'écriture est désormais première, il ne faut plus une science de la langue, une linguistique, mais une science de l'écriture, une grammatologie, projet « insensé » puisque la science elle-même est née du sens produit par le langage, issu donc désormais de l'écriture. Il faut alors une science de la science, une science sans concept sur un objet indéfini et que l'on cernerait sans mots. Pas facile.

D'où la créativité sémantique de Derrida qui peine à exprimer l'inexprimable, ce fond du sens qui n'en a pas encore puisqu'il le produit. Il nomme le passage du symbole au signe "trace", mais précise qu'il s'agit d'un mouvement, d'une "différence", sous couvert que l'on se souvienne qu'elle « diffère », c'est-à-dire qu'elle articule une présence qui, parce qu'elle est là, est spatiale, et, avec son propre mouvement temporalisé, ce qui fait que le signe est toujours en retard d'un moment et que la différence qui diffère en effet la source (signifié) et le tissu de la trace (signifiant). Pour rappeler cela, on peut glisser une différence dans la différence, qui soit inaudible pour rappeler sa discrétion et la prééminance de l'écrit, et noter que la différence est « différance ». Bon, ça vaut ce que ça vaut, pas sûr que ce soit plus clair, c'est le principe qui compte de toute façon, que l'on « saisisse » ce qu'est la différence, son sens, puisqu'on ne peut la faire « être ».

Pour rappeler, à la manière des principes heideggeriens que la trace n' « est pas » quelque chose, on pourrait la nommer « archi-trace », mais ce n'est pas forcément plus explicite. Pour simplifier, Derrida, par commodité, la nomme « écriture », car c'est le pôle qui est resté le plus prégnant dans la gnoséologie, quand bien même l'écriture, on l'a compris, n'est pas le fond ultime. le plus étonnant est que la trace s'articule donc toute seule, les sens se combinant les uns aux autres. La trace est bien immotivée puisque la structure de sa source, le champ de l'étant, a déjà passé et ne peut plus être retrouvée quand elle paraît, mais elle est instituée puisqu'elle s'auto-agence toute seule. On saisit ici que la notion de temps est totalement chamboulée puisque l'articulation de la trace ne se fait pas de manière temporelle, mais spatiale, sur le champ de l'étant, et que ce n'est qu'en prenant la parole (qui est donc une écriture) ou en écrivant, que l'être parlant produit le temps, un temps linéaire, linéarisé par l'articulation des signes, mais non originel. On oublie le travail de la trace dans l'écriture qui occulte sa propre origine, la présence, et l'on se prête à croire qu'il n'y a rien avant le langage, sauf la présence, indicible et que l'on veut poser comme éternelle, le logos. Comme on a vu, rien n'est plus erroné.

Si bien que pour fonder une science de l'écriture, il faudrait malgré tout atteindre ce champ mouvant de l'étant qui n'a pas de mots. L'expérience de la réduction phénoménologique serait une solution, mais à condition que l'on déconstruise la notion d'« expérience » qui est présence et ferait facilement croire que l'on a touché le fond, lui qui n'existe pas, l'origine, qui n'est pas originaire.

L'écriture reconfigure donc totalement notre appréhension de toute connaissance : le passé devient quelque chose, lui qui n'a jamais été, et surtout pas un présent-passé ; le future s'annonce dans tout son déterminisme et sa linéarité, confiants que nous sommes dans la pureté de la ligne de notre histoire, qui s'écrit sur un fil continu et régulier. La philosophie de l'histoire s'écrit, et c'est à notre oubli (que la trace est occultée par le tissu sémantique) que nous la devons, que tout ce vide dans notre constitution du sens, la différence, l'archi-trace, l'espacement (des mots, des lettres), ces brisures, ne parvient pas à manifester assez l'évidence de la discontinuité du sens, assuré par le flux continu de la parole orale, occultant elle-même la production de l'écriture dont elle est issue.

C'est toute la conception du temps, mais aussi des sciences, de toutes les sciences, qui s'en trouvent bouleversée. L'avenir s'annonce révolutionnaire dans un rapport au temps recomposé où la constitution du sens, désormais plus proche des phénomènes réels, perdrait son côté pépère dû à la linéarité logocentrique et prendrait au contraire la vivacité d'une contemporanéité simultanée. Reste la difficluté majeure : comment écrire les conditions de cette science aphone et analphabète ? On aurait même tort de commencer par se demander « qu'est-ce que l'écriture » parce qu'on ne sait plus seulement répondre à la question « qu'est-ce que ». Reste la possiblité de ne pas écrire ce qui est mais ce qui a été, ou mieux, ce qui est-devenu et devient sans cesse, puisque tel est le sens de la différance, de différer sans cesse. Descartes refusait une langue universelle, mais non pas la constitution d'une combinatoire sempiternellement progessive vers sa propre perfection constitutive, que l'on atteindrait à l'orée du télos linguistique. Allez, c'est parti.
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J'ai lu "De la grammatologie" parce qu'il est réputé parmi nous (c'est à dire les anglo-nord-américains)d' être le texte fondateur de la littérature et de la critique postmoderne ce qu'elle n'est pas du tout. C'est une analyse des écrits de Ferdinand de Saussure et de Jean Jacques Rousseau sur la linguistique, le langage et les langues. le but de Derrida semble être , après l'échec de Nietzsche de tuer Dieu. Dans cet effort, Derrida invente un aspect théologique de Derrida qui n'existe pas mais représente assez bien la pensée de Rousseau.
La grande mérité de Saussure aux yeux de Derrida est d'avoir bien défini les termes du débat. La thèse de Saussure selon Derrida est que la langue parlée a précédé la langue écrite qui était par le fait moins naturelle et moins pure. La langue parlée est aussi plus vrai parce qu'elle provient du "Logos" (c'est à dire l'entendement infini de Dieu.) le grand péché de Saussure est son Logocentrisme ou de croire en Dieu.
Malheureusement, Derrida représente très mal l'arguments de Saussure. D'après Saussure un mot de la langue parlée est une image acoustique d'une idée et qu'un mot écrit avec des alphabètes phonétiques est une image visuelle d'une parole de la langue parlée. Les mots écrits et parlés sont les deux des signes. Les signes sont tous les deux arbitraires et ne viennent pas de Dieu. Les êtres humains ont la capacité innée de créer des systèmes de signes (langues, musique, mathématiques, etc.) Les significations des mots reçus sont des produits d'un processus complexe de différentiation.
Derrida propose, dans un premier temps, qu'il n'y a pas de point d'origine pour les langues; et, dans un deuxième temps, que les langues parlés et écrites font partie de "l'écriture". (La musique, la monnaie, la peinture et la mathématique sont aussi englobées par l'écriture.) La langue parlé n'est pas antérieure à la langue écrite et n'est pas moins naturelle. Les mots sont des créations du processus de l'écriture. Ils ne référent pas à des vérités absolues et divines. le sens des écritures sont instables et perpétuellement différées. Derrida se trouve donc en contradiction avec la philosophie platonicienne et la théologie chrétienne. Sa vision du langage et des langues est très proche de celle de Saussure malgré le fait qu'il prétend qu'il y a des différences importantes. Ce qui est certain est que Derrida n'a rien amélioré. Son accusation contre Saussure qu'il était logocentrique est absurde.
Derrida fait mieux avec Rousseau. Il prétend que Rousseau était sur le point de faire les mêmes constats que lui mais qu'il s'est rallié in extremis à la linguistique logocentrique . Selon Rousseau la lange parlé était d'origine divine et existait avant la langue écrite. La langue parlé exprime la passion et la langue écrite exprime le besoin. L'avènement de la langue écrite a été une catastrophe comme la chute de l'homme qui l'avait expulsée l'homme du jardin d'Éden ou de sont état naturelle.
Cependant Rousseau s'approche du Derrida quand il annonce aussi que l'époque de l'homme naturelle qui précédait l'avènement de la langue écrite n'a jamais existé. Aux yeux de Derrida, Rousseau était à un pas de tirer les mêmes conclusions que lui; c'est-à-dire que les langues parlées et écrites faisaient partie d'une écriture plus grande ou Dieu n'y était pour rien.
Néanmoins, Derrida a beaucoup d'admiration de Rousseau. Surtout il est d'accord avec la thèse de Rousseau que la langue écrite a été inventé afin d'établir un état policier.
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Un chef d'oeuvre absolu du Grand Derrida.
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Citations et extraits (83) Voir plus Ajouter une citation
L'immotivation de la trace doit être maintenant entendue comme une opération et non comme un état, comme un mouvement actif, une dé-motivation, et non comme une structure donnée. Science de l'« arbitraire du signe », science de l'immotivation de la trace, science de l'écriture avant la parole et dans la parole, la grammatologie couvrirait ainsi le champ le plus vaste à l'intérieur duquel la linguistique dessinerait par abstraction son espace propre, avec les limites que Saussure prescrit à son système interne et qu'il faudrait réexaminer prudemment dans chaque système parole/écriture à travers le monde et l'histoire.
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... on doit reconnaître que c'est dans la zone spécifique de cette empreinte et de cette trace, dans la temporalisation d'un vécu qui n'est ni dans le monde ni dans un « autre monde », qui n'est pas plus sonore que lumineux, pas plus dans le temps que dans l'espace, que les différences apparaissent entre les éléments ou plutôt les produisent, les font surgir comme tels et constituent des textes, des chaînes et des systèmes de traces.
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Platon, qui disait au fond la même chose des rapports entre l'écriture, la parole et l'être (ou l'idée), avait au moins de l'image, de la peinture et de l'imitation une théorie plus subtile, plus critique et plus inquiète que celle qui préside à la naissance de la linguistique saussurienne.
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Origine de l'écriture, origine du langage, les deux questions se séparent difficilement. Or les grammatologues, qui sont en général, par formation, des historiens, des épigraphistes, des archéologues, lient rarement leurs recherches à la science moderne du langage. On en est d'autant plus surpris que la linguistique est, parmi les « sciences de l'homme », celle dont on donne la scientificité en exemple avec une unanimité empressée et insistante.
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Nous voudrions plutôt suggérer que la prétendue dérivation de l'écriture, si réelle et si massive qu'elle soit, n'a été possible qu'à une condition : que le langage « originel », « naturel », etc., n'ait jamais existé, qu'il n'ait jamais été intact, intouché par l'écriture, qu'il ait toujours été lui-même une écriture.
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Videos de Jacques Derrida (42) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jacques Derrida
« On écrit toujours avec une main coupée »
Selon Hélène Cixous, l'écriture ne renvoie pas à un statut ni à une profession, mais à un acte : aussi écrit-elle en collaboration avec les voix qui l'habitent et la traversent. Dans cette perspective on peut à bon droit reprendre la formule par laquelle elle titre une séance de son séminaire : « On écrit toujours avec une main coupée». Ces ouvrages nous confrontent en effet au mouvement même de la vie et de la mort, à la joute entre Eros et Thanatos, au commerce des vivants et des morts. Ils équivalent à bien des égards à « sentir, penser, écrire avec les fantômes ». D'autant qu'à travers eux se déploie un continuel et profond questionnement : qui parle, qui écrit quand « j »'écrit ? On comprend dès lors que, dans ces conditions, Hélène Cixous soutienne : « Transformer sa pensée en poème, parce que c'est cela écrire ».
Première table ronde : - M. Marc Goldschmit, Directeur de programme au Collège international de philosophie : « Derrida, l'écriture, la littérature » ;
- Mme Marie-Claude Bergouignan, PR émérite, ancienne VP de l'université de Bordeaux IV: "Hélène Cixous et la cause des femmes" ;
- Mme Céline Largier-Vié, MCF Paris 3 : « 'Une présence incalculable' : l'Allemagne d'Hélène Cixous ».
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2654738/helene-cixous-mdeilmm-parole-de-taupe
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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