Si je suis responsable de l'autre, et devant l'autre, et à la place de l'autre, pour l'autre, l'animal n'est-il pas encore plus autre, plus radicalement autre, si je puis dire, que l'autre en lequel je reconnais mon frère, que l'autre en lequel j'identifie mon semblable ou mon prochain ? Si j'ai un devoir, un devoir avant tout dette, avant tout droit, envers l'autre, alors n'est-ce pas aussi envers l'animal qui est encore plus autre que l'autre homme, mon frère ou mon prochain ?
Devrait-on accepter de dire que tout meurtre, toute transgression du " Tu ne tueras point " ne peut viser que l'homme, et qu'en somme il n'y a de crime que " contre l'humanité " ?
"Can they suffer ? " : la réponse est plus vieille que l'indubitable.
(question de Bentham à propos des animaux - réponse de J. Derrida)
Nous suivons, nous nous suivons. Cette théorie d'animots que je suis ou qui me suivent partout et dont la mémoire me serait inépuisable, je ne vous en imposerai pas une exhibition. Loin de l'arche de Noé, la chose tournerait au cirque, quand un montreur d'animaux y fait défiler ses sujets tristes, le dos bas.
J’ai du mal à réprimer un mouvement de pudeur. Du mal à faire taire en moi une protestation contre l’indécence. Contre la malséance qu’il peut y avoir à se trouver nu, le sexe exposé, à poil devant un chat qui vous regarde sans bouger, juste pour voir. Malséance de tel animal nu devant l’autre animal, dès lors, on dirait une sorte d’animalséance : l’expérience originale, une et incomparable de cette malséance qu’il y aurait à paraître nu, en vérité, devant le regard insistant de l’animal, un regard bienveillant et sans pitié, étonné ou reconnaissant. Un regard de voyant, de visionnaire ou d’aveugle extralucide. C’est comme si j’avais honte, alors nu devant le chat, mais aussi honte d’avoir honte.
Mais ce chat ne peut-il aussi être, au fond de ses yeux, mon premier miroir ?
Dès lors, nus sans le savoir, les animaux ne seraient pas, en vérité, nus.
(dans une interview de Emmanuel Lévinas pas J.Llewelyn, rapporté par J. Derrida dans "L'animal que donc je suis")
Llewelyn : le fait d'avoir un visage implique-t-il l'aptitude au langage ? L'animal a-t-il un visage ? Peut-on lire "tu ne tueras point" dans les yeux de l'animal ?
Lévinas : Je ne peux pas dire à quel moment vous avez [ou on a] le droit d'être appelé "visage". Le visage humain est absolument différent et c'est seulement après coup que nous découvrons le visage d'un animal. Je ne sais pas si le serpent a un visage. Je ne peux pas répondre à cette question. Une analyse plus spécifique est nécessaire
(Référence : The Paradox of Morality : an Interview of Emmanuel Lévinas..)
[Le chat] a son point de vue sur moi. Le point de vue de l’autre absolu, et rien ne m’aura jamais tant donné à penser cette altérité absolue du voisin ou du prochain que dans les moments où je me vois vu nu sous le regard d’un chat.
ce regard dit “animal” me donne à voir la limite abyssale de l’ humain: l’inhumain ou l’anhumain, les fins de l’homme, à savoir le passage des frontières depuis lequel l’homme ose s’annoncer à lui-même