Citations sur Le monolinguisme de l'autre, ou, La prothèse d'origine (54)
Quand on demande de croire sur parole, on est déjà, qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non, dans l'ordre de ce qui est seulement croyable. Il s'agit toujours de ce qui est offert à la foi, appelant la foi, de ce qui est seulement « croyable » et donc aussi incroyable qu'un miracle. Incroyable parce que seulement « crédible ».
Ce « trouble de l'identité », est-ce qu'il favorise ou est-ce qu'il inhibe l'anamnèse ? Est-ce qu'il aiguise le désir de mémoire ou désespère le phantasme généalogique ? Est-ce qu'il réprime, refoule ou libère ? Tout à la fois sans doute et ce serait là une autre version, l'autre versant de la contradiction qui nous mit en mouvement. Et nous fait courir à perdre haleine ou à perdre la tête.
Une citoyenneté, par essence, ça pousse pas comme ça. C'est pas naturel. Mais son artifice et sa précarité apparaissent mieux, comme dans l'éclair d'une révélation privilégiée, lorsque la citoyenneté s'inscrit dans la mémoire d'une acquisition récente: par exemple la citoyenneté française accordée aux Juifs d'Algérie par le décret Crémieux en 1870.
(il y a, douce, discrète ou criante, une terreur dans les langues, c'est notre sujet).
La citoyenneté, on le sait, ne définit pas une participation culturelle, linguistique ou historique en général. Elle ne recouvre pas toutes ces appartenances. Mais ce n'est pourtant pas un prédicat superficiel ou superstructurel flottant à la surface de l'expérience.
Surtout quand cette citoyenneté est de part en part précaire, récente, menacée, plus artificielle que jamais.
Il eut une seule mère et plus d'une mère, sans doute, mais il a bien eu sa langue maternelle, une langue maternelle, une seule langue maternelle plus une autre langue. Il peut alors dire « ma langue maternelle » sans laisser paraître, en surface, le moindre trouble […].
l'avant-première langue peut toujours courir le risque de devenir ou de vouloir être encore une langue du maître, parfois celle de nouveaux maîtres. C'est à chaque instant de l'écriture ou de la lecture, à chaque moment de l'expérience poétique que la décision doit s'enlever sur un fond d'indécidable. C'est souvent une décision politique - et quant au politique. L'indécidable, condition de la décision comme de la responsabilité, inscrit la menace dans la chance, et la terreur dans l'ipséité de l'hôte.
L'absence d'un modèle d'identification stable pour un ego — dans toutes ses dimensions: linguistiques, culturelles, etc., - provoque à des mouvements qui, se trouvant toujours au bord de l'effondrement, oscillent entre trois possibilités menaçantes [1) amnésie sans recours, déstructuration pathologique, folie ; 2) stéréotypes conformes au modèle dominant, amnésie intégrative ; 3) hypermnésie, excroissance de la mémoire, engagement vers des tracés qui portent l’anamnèse au-delà d’un passé disponible, d’un savoir enseignable].
Jamais, tu entends ce mot dans notre langue ? Et sans ? Sans jamais comprendre, tu entends ? Voilà désormais ce qu'il faut démontrer dans la scène ainsi faite.
1. On ne parle jamais qu'une seule langue — ou plutôt un seul idiome.
2. On ne parle jamais une seule langue — ou plutôt il n'y a pas d'idiome pur.