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Imre Laszlo (Traducteur)
EAN : 9782842422844
157 pages
Éd. Circé (01/05/2010)
3.93/5   27 notes
Résumé :

" Pour autant qu'on pouvait le distinguer dans le crépuscule où baignait le jardin, c'était un fox-terrier, sans doute un croisement de fox à poil dur et de fox à poil ras. Son corps svelte était recouvert d'un poil blanc court et lisse, sans tache ni éclaboussure. Seules les oreilles étaient noisette, avec un trait noir à la naissance. Par une de ces coquetteries dont la nature est prodigue, le dessin et la co... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Hongrie 1948. Une jeune chienne apparait un soir dans le jardin des Ancsa, couple de quinquagénaires (il a cinquante ans et elle quarante cinq) dont le fils unique est mort à la guerre et qui, dans l'attente de l'attribution d'un appartement à Budapest, vit dans une campagne proche de la capitale. Talentueux ingénieur des mines, monsieur occupe un poste important lui procurant l'humble fierté de participer à la reconstruction de son pays et à l'édification d'une société meilleure. L'irruption de Niki dans la vie des Ancsa, toute vouée à leur deuil et à leurs responsabilités sociales de communistes méritants, est d'abord pour eux un embarras, la promesse d'un déséquilibre, un risque malvenu de surcharge sentimentale et financière. Sauf que l'animal est malicieux et leur résistance faible : leur « opposition avait des bases théoriques, et sans doute est-ce pour cette raison qu'elle n'atteignit jamais un degré suffisant d'efficacité ». Cette seule phrase est un exemple merveilleux de l'humour lucide et contestataire de Déry. Las ! les Ancsa rachèteront la chienne à ses mauvais maîtres pour l'adopter définitivement.

Tel est le prétexte d'un court récit (150 pages) émouvant et drôle qui oscille sans cesse entre la description, l'impertinence et un éloge de l'intime valant comme un pathétique hommage aux braves gens.

La précision descriptive de Déry est saisissante, véritable fontaine à hypotyposes dont la véracité finit par constituer un tombeau de Niki dans lequel l'oraison abstraite aurait cédé la place à la création, criante de vérité, d'un éthologue vidéaste. Il n'y a pas tant de textes que cela dans lesquels on voit, vraiment voir avec les yeux, ce que l'on lit. On aura rarement, on n'aura peut-être jamais vu un chien de papier si vrai, si vivant que ce chien-là, un chien si confondant de caninité évidente et qui, par là, s'éloigne de ces chiens prétextes à d'… humaines animosités comme ceux d'Octave Mirbeau ou d'Anatole France. Exemple parmi bien d'autres : la scène – oui la scène – de Niki regardant sans comprendre le bras tendu de l'ingénieur désireux de la chasser est un modèle d'observation, une performance d'exactitude et une prouesse d'écriture.

Comble de l'ironie : déclarer solennellement et... ironiquement que l'ironie n'est le fait que des esprits bas, qu'elle n'est qu'une indignité, pouah, que vraiment on ne saurait y recourir sans s'avilir en même temps. Ainsi va l'humour de Déry, qui dénonce sa propre joie, sa propre pratique avec des airs outrés et encense, voire divinise, ce qu'il méprise. Les pages sont jouissives dans lesquelles le narrateur, abordant une question complexe comme celle de la pensée animale, déclare son incompétence, recule, tout à la fois pose le débat et explique modestement ne pouvoir le mener, n'avoir ni la science ni la subtilité requises, dès lors feint de renvoyer l'aporie à ceux-là seuls qui sont de naissance omniscients et infaillibles : les chefs de l'Etat et les dignitaires du Parti ! Ce n'est pas pour avoir écrit Niki que Déry fut condamné peu de temps après à neuf ans de prison : c'est pour avoir été un des principaux chefs intellectuels de la révolte hongroise de 1956 (lire ou relire le désordonné mais beau récit de Ferenc Karinthy, L'Automne à Budapest, passionnant même si moins connu que son roman génial epépé). On imagine cependant que son merveilleux petit roman canin, sommet d'impertinence, n'aida pas à alléger sa peine !...

Hélas les omniscients et les infaillibles s'occupent davantage des coins et des recoins de la vie de chacun que du grand mystère, pour reprendre la belle formule d'Elisabeth de Fontenay, du silence des bêtes. On ne sait trop pourquoi mais peut-être parce qu'il a renvoyé un ouvrier malhonnête hélas ami d'un haut responsable du Parti (autre très grand moment d'ironie sur les crapules et la crapulerie), Monsieur Ancsa va être plusieurs fois muté vers des postes de moins en moins importants et de plus en plus éloignés de ses compétences techniques. Puis un jour, sans explications puisque ni Madame Ancsa ni nous n'en aurons, le malheureux est arrêté, envoyé on ne sait où, déclaré traître à la patrie. Commence pour Madame Ancsa, à qui il ne reste que Niki, le long temps du désarroi et de la dèche, d'un vieillissement solitaire, d'une déroute sociale qu'elle acceptera sans se plaindre, le long temps des combines plutôt que d'un emploi car les emplois, comprenez bien Madame, ne peuvent tout de même pas être octroyés aux épouses d'un ennemi du peuple. Chose merveilleuse et terrible : pas le début d'une révolte chez cette femme humble et brave, pas plus qu'il n'y en eut chez son mari quand commencèrent les humiliations. Les Ancsa croient savoir qu'ils ne savent pas grand chose, ils ont la bonne et pathétique figure de ceux qui sont persuadés de la bienveillance du bourreau, de sa bienveillance ou du moins de ses bonnes raisons, la pathétique et déchirante bonne figure de ceux qui croyant auxdites bonnes raisons acceptent d'en être les victimes faute de les pénétrer. Rêvant à un La Boétie moderne, on se dit en frémissant que l'ironie de Déry est la face littéraire (la pudeur ?) du cauchemar vécu, que la tyrannie n'existe et ne peut perdurer que quand le citoyen, en effet, pense le tyran plus lucide, plus fin, plus savant, plus stratège, plus conscient du bien commun et des enjeux, bref moins faillible que lui. Les braves gens sont gens de bonne volonté et c'est ce qui permet qu'on les enrégimente ; ils ont l'éternelle modestie de douter d'eux-mêmes et c'est ce qui les livre, victimes muettes, à ceux qui sont plus assurés.

le reste de ce très excitant livre, c'est ce qu'on ne peut raconter ici : de la bonne et vraie littérature. Alors bonne lecture !
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Ne pas se fier au titre « Histoire d'un chien ». Même si l'on n'appartient pas au cercle des amis des animaux, même si l'on redoute les parallèles hardis ou hasardeux entre les comportements humains et ceux de "nos amis les bêtes", il faut lire ce livre. Car il s'agit de littérature, et non d'éthologie.

Niki (1948'1955) est une chienne, fox terrier, adoptée par un couple de hongrois sans enfant, puisqu'ils ont perdu le leur à la guerre. Lui, Janos Angsa, est ingénieur. Sa femme est propagandiste pour le régime. Tous deux communistes consciencieux.

Le livre est d'abord le récit de la vie exubérante de Niki, qui a su se faire adopter par le couple qui ne voulait pas s'en encombrer, et a réussi à quitter son ancien maître qui le maltraitait. Ce fox-terrier, malin et bondissant, est aussi doté d'une solide philosophie de la vie : un cynisme, version canine, qui est plutôt un épicurisme de l'instant. On est conquis par les descriptions de ses comportements fantasques, si justement croqués. Konrad Lorenz n'a pas mieux fait.

L'histoire d'un chien est une histoire d'amour. Entre l'animal et ses maitres. C'est aussi le récit de la tendre affection qui unit M. Angsa à son épouse, de l'amitié de ceux qui la soutiennent dans les épreuves. C'est l'évocation d'un quotidien difficile, où l'on doit partager son appartement, partager la pénurie, alors que d'autres propagandistes plus zélés sont payés par le régime pour vanter l'amélioration de la vie.

Car le deuxième niveau du récit est celui de la vie professionnelle de l'ingénieur, sa promotion, sa mise au rebut, brutale, son incarcération sans motif. Sa femme aussitôt perd son emploi et ses moyens de subsistance. le lecteur est alors confronté aux ravages de l'arbitraire. Et l'Histoire s'invite à pas de loup dans cette histoire, avec la description, en creux, de l'État totalitaire, qui happe le maître de Niki et lui vole sa raison d'être.

Point n'est besoin de connaitre les évènements de la Hongrie de 1956, qui sont la toile de fond du récit. Il n'est d'ailleurs fait état que furtivement (p. 67) de l'arrestation de László Rajk. Car le roman est l'apologue de la terreur totalitaire, communiste, en l'occurence, mais qui pourrait aussi bien être d'une autre sorte. Par petites touches, s'instille la terreur, la jalousie, la délation et l'absurde. le récit est de son temps - celui de la révolution hongroise de 56 -, mais aussi de tous les temps. Comme une oeuvre de Kafka, ou d'Orwell.

L'art de Tibor Déry est dans l'économie de moyens. Pas de pathos. L'émotion nait de la description attentive de la vie de ce chien, à la campagne, à la ville, dans son appartement. Avec ce flou sur la question de savoir à travers qui le lecteur voit les évènements : la chienne ? ses maîtres ? l'auteur ? Ce qui donne au récit, à chaque fois, sa couleur propre, sur le mode de la tendresse, de l'humour ou de la réflexion.

L'écrivain Dery a participé à la révolution de 1956. Il appartenait aux cercles Petofi. Emprisonné, il a appris en prison au bout de deux ans que son chien, Niki, était mort.

Comme le note justement le postfacier, Laszlo F. Földényi, Niki accède au rang des animaux célèbres, véritables personnages de romans : Bauschan, le chien de Thomas Mann, Murr, le chat de E.T.A. Hoffmann, auxquels il ne faut pas oublier d'ajouter Flush, l'épagneul cocker de la poétesse Elizabeth Barrett Browning, dont Virginia Woolf a fait le portrait, et, parmi bien d'autres encore, l'inénarrable chat innommé du lettré indolent, décrit par Natsumé Sôseki.
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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Tibor Déry (1894-1977) est un écrivain, scénariste et traducteur hongrois. Partisan de Mihály Károlyi, il doit s'exiler à l'arrivée au pouvoir de Béla Kun. Il vit notamment en Autriche et en France avant de rentrer en Hongrie en 1935. Il est emprisonné sous le régime de Miklós Horthy pour avoir traduit Retour de l'U.R.S.S. d'André Gide. Exclu du parti communiste en 1953, il soutient la Révolution hongroise de 1956 et est emprisonné jusqu'en 1960. Niki ou L'histoire d'un chien roman datant de 1957 a été traduit chez nous en 2010.
Budapest au début des années 50. L'ingénieur Ancsa et sa femme, recueillent une jeune fox-terrier, Niki « le chien », sorte de compensation affective suite au décès de leur fils sur le front russe. Entre le couple et l'animal des liens profonds vont se créer et le temps passant, le rôle de soutien passera du couple au chien et inversement.
Il a vraiment une bonne bouille ce toutou, du moins celle affichée en couverture de l'ouvrage et elle reflète parfaitement le sentiment général qui se dégage de ce roman : l'écoute, l'intelligence et la bonté. Il est vrai aussi que le chien, le meilleur ami de l'homme comme on dit, ne peut être qu'un bon sujet de roman/film, sauf quand on tombe dans le mièvre, ce qui n'est pas le cas avec Niki je vous rassure immédiatement.
Restons sur le personnage du chien ; tous ceux qui ont un chien seront épatés par la manière très réaliste et juste avec laquelle Tibor Déry décrit ses actes, ses mimiques, ses réactions face aux évènements ou aux gens. Ca peut sembler un peu banal et nous dire qu'un chien est intelligent enfoncer une porte ouverte, mais quand c'est bien écrit, je dis « respect ! ».
Et ce roman est très finement écrit, tout en légèreté et petites touches brossant en arrière-plan la situation politique du pays sous le joug communiste. Pour une peccadille ayant offensé un haut fonctionnaire du Parti, Ancsa bien que communiste convaincu, est renvoyé de son poste, de mois en mois il sera affecté à des emplois de plus en plus inférieurs à ses capacités, jusqu'au jour où il disparaît, arrêté et emprisonné sans motif connu durant deux ans sans que sa femme ne sache ce qu'il est devenu.
Durant tout ce temps, Niki sera le seul soutien moral de l'épouse, toujours dans l'attente confiante du retour du disparu, toujours à japper derrière la porte quand il croit reconnaitre son pas. Son amour indéfectible pour son maître est un modèle du genre. Une manière pour Déry, sous forme de parabole, de montrer que dans cette Hongrie où l'homme n'est plus rien, à peine une silhouette dans la foule, seul un animal conserve intact ses sentiments et son amour pour son maître, entrant dans une résistance obstinée passant par peur et passion, jusqu'à l'épilogue magnifique autant que poignant.
Comme on peut le constater durant tout le roman Tibor Déry est d'une précision pointilleuse dans les noms de rues (« elles arrivèrent dans l'avenue Istvan (la future rue Landler Jenö) ») et il n'hésite pas à interpeller le lecteur maintes fois (« Imaginons maintenant l'état d'âme de Mme Ancsa… ») resserrant les liens d'empathie entre ses personnages et son lecteur.
Un roman très court, très fin, très touchant.
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C'est l'histoire d'un chien et d'un couple les Ancsa, histoire d'un amour humain-animal, ordinaire et fort. C'est aussi une satire féroce et sans concession que nous relate Tibor Déry de son pays livré à la dictature communautariste.
Cette histoire se passe durant les années sous Staline, années sombres. Mr Ancsa est arrêté et reste en détention de longues années. Mme Ancsa et le chien Niki l'attende.
Niki mourra, de tristesse le jour de la libération de son maître « l'amour était là ».
C'est un petit bijou de lecture, roman plein d'émotion et d'amour partagé. Et ça fait beaucoup bien.

Un véritable coup de coeur pour moi et compte bien lire « Derrière le mur de briques » de Tibor Déry, véritable révélation.
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Le chien en question est une femelle fox terrier, adoptée par un couple, les Ancsa. Lui, il est ingénieur. Communiste depuis toujours. Et qui finit par occuper dans la Hongrie d'après guerre, de hautes fonctions. Avant d'être destitué. Puis arrêté. Pourquoi ? Personne ne le sait. Sa femme et Niki attendent son retour, en survivant comme elles peuvent. Plutôt mal. Dépérissant progressivement.

Livre parabole. Qui traite de thèmes tels que l'amour, la liberté, la solidarité, la capacité à résister. Et évoque bien sûr les vicissitudes de l'histoire que traverse la Hongrie et ses habitants. Joliment écrit, dans une forme à l'apparente simplicité. Mais à mon goût, peut être un peu trop sentimental, surtout vers la fin. Mais un livre touchant et intéressant incontestablement.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Un attroupement assez considérable s’était formé entre temps derrière Mme Ancsa, qui criait furieusement, et les employés, dont les semelles claquaient sur le pavé. Les gens manifestaient bruyamment leur indignation devant cette chasse ignoble et, amassés sur le trottoir, ils livraient passage à la chienne tout en gênant la course de ses poursuivants. Du reste, les agents de la fourrière ont toujours été impopulaire à Budapest et, à la faveur de la tension générale qui régnait alors sur la ville, toute la rue fit cause commune contre eux. Avec eux, on ne se gênait pas pour dire bien haut ce qu’on pensait. Or, comme il s’agissait de trois gaillards taillés en hercule, on leur conseillait de se choisir un autre gagne-pain, comme par exemple travailler dans une mine ou sarcler les pommes de terre. On les traitait aussi de bourreaux.
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« Les Ancsa étaient payés pour savoir que l’affection n’est pas seulement un plaisir pour le cœur mais aussi un fardeau qui, en proportion de son importance, oppresse l’âme autant qu’il la réjouit’. »
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C'est là un problème ardu entre tous, et nous ferions mieux de nous fier, pour le résoudre, à des cerveaux plus subtils et plus vastes que le nôtre, par exemple à des cerveaux d'hommes d'Etat qui sont, à notre avis, en tant que tels, sans exception et dès leur naissance, experts en toutes choses et infaillibles, notamment, en psychologie. (p.79)
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« Ajoutons deux grands yeux luisants à la base d'une tête allongée en triangle, à la pointe duquel brillait un petit nez noir comme astiqué au cirage, et nous aurons dessiné à grands traits la gracieuse silhouette qui venait de s'installer aux pieds d'Ancsa. »
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Il n'existe pas de dictature plus féroce ni plus sournoise que celle de l'amour. Quand l'amour s'accompagne de faiblesse ou de détresse, il peut vaincre non seulement l'antipathie mais l'indifférence. (P 23)
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