Citations sur Miroir de sang (12)
La salle transpirait la haine.
Prologue
Septembre 1943. Prison des Beaumettes. 4 heures 30. Des flèches de pluie perforaient par rafales les pavés de la cour est. Dressée sur son pourtour, une muraille de brique formait un. rempart d’ombre qui aspirait la
nuit.
Une silhouette émergea du néant pour accrocher la pâle clarté lunaire. Elle progressait avec peine, dissimulée par une houppelande sur laquelle couraient des scintillements d’eau claire. Elle sïmmobilisa devant la grille et attendit.
Une minute.
Deux.
Un cliquetis écorcha le silence. La forme. se mit au garde-à-vous. Casquettes luisantes, manteaux de cuir, trois hommes s’engouffrèrent dans la cour. D’un pas pressé, ils se fondirent dans les ténèbres.
Vingt mètres plus haut, doigts soudés au métal des barreaux, le locataire de la cellule 36 tordait son cou pour essayer d’en savoir plus. En vain. Il pouvait juste entendre les bottes claquer sur les pierres lisses.
L'angoisse lui garrotta la gorge.
Deux voies s’ouvraient à lui.
Remonter la piste d’un psychopathe en collant le train aux limiers de la criminelle. Ou tracer tout droit vers Riad et prendre l’enquête de vitesse. Dans tous les cas, ses chances lui semblaient minces.
Paul ne se sentait pas l’étoffe d’un stratège. Son credo avait toujours été l’action, sa religion l’instant. Il remit à plus tard les choix stratégiques, enfourcha sa moto et démarra en trombe.
En route, ses pensées flottèrent vers Riad. Le Beur avait pris la tangente depuis bientôt trois jours. ll avait pété les plombs. Disjoncté. L’assassinat de sa fille l’avait propulsé de l’autre côté de la ligne.
Qu’allait-il faire ?
Le Marseillais chercha tme aspérité pour y planter un piton de logique. En vain. Son pote parlait peu, jamais de lui. Leur amitié s’était construite sur des silences partagés, des regards entendus, des émotions communes. Lors des virées en bécane, les mots laissaient la place aux sensations. Rien d’autre.
L’appartement du quartier Saint-Charles constituait un point de départ acceptable. Dans cette bulle intime, il trouverait peut-être des bribes de réponses.
Un terminal pétrolier tel une sauterelle géante.
De nuit, on avait l'impression de traverser un naufrage. Les vieux se terraient dans les villages, recroquevillés sur leur rancoeur. Les jeunes se tassaient dans les cités-dortoirs ou des pavillons de carton-pâte, abrutis par l'opium cathodique.
Les mots jaillissaient sous sa langue avec facilité, méchants parfois, précis toujours.Ses potes lui trouvèrent vite un surnom "Uzi", en référence au pistolet-mitrailleur israélien. Un débit en rafale,rapide, mordant, aux allures de mitraille. Lorsqu'il tirait, personne n'en ressortait indemne. Ses diatribes percutaient les consciences, ses réparties déstabilisaient les plus retors.
Ces fantômes semblaient débarquer de nulle part, surgis d'un néant de soleil et de terre tels des icône de glaise.
L'enfant avait poussé sur ce terreau d'aigreur, mal dans sa peau, agressif, comme un chiendent de revanche. Rien ne l'apaisait. Parents, éducateurs, conseillers en tout genre, personne n'avait pu l'infléchir. Violent, hostile, colérique, il semblait jailli d'un hoquet de haine.
On n'a plus rien en Algérie, On est tous nés ici. Dans nos générations, personne ne sait à quoi ressemble le bled. Le terreau des Beurs, c'est ces cages de merde dans lesquelles on a parqué nos rêves.
Des destins fracassés en quelques heures, par pure connerie. Parce que les mômes se maquillaient, portaient des jupes, parce qu'elles marchaient la tête haute, inconscientes, parquées par leurs bourreaux dans une prison de préjugés.