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Critique de Lutvic


En 2017, François-Henri Désérable publie « Un certain M. Pikielny » et fait la démonstration brillante de ses compétences en matière d'interprétation fictionnelle de la réalité.
A travers l'improbable personnage de M. Pikielny, ce roman jubilatoire nous éclaire autrement la vie de Romain Gary et tout un pan de l'histoire européenne ; en subsidiaire, il nous dévoile un procédé précieux et attachant : le regard en biais. Parce que F.-H. Désérable a l'intelligence de faire adopter à son narrateur une posture qui lui permet d'effleurer gracieusement les choses et les réalités, qui n'exclut ni la tendresse, ni la rêvasserie, ni l'approche tâtonnante face à son sujet, une approche soucieuse des vérités possibles autant que des faits historiquement avérés. Cela compose un livre auquel on pardonne facilement les petites maladresses, et dont on garde surtout le plaisir de lecture.
Ce plaisir de lecture – un peu coupable aujourd'hui, il faut l'avouer (l'actualité façonne et conditionne indubitablement notre réception, je le crains) – se retrouve dans « Mon maître et mon vainqueur », que François-Henri Désérable vient de sortir (aujourd'hui !) et que j'ai pu lire en avance : pour ce petit privilège estival je remercie Babelio et les Éditions Gallimard.

Qu'est-ce que c'est la passion amoureuse ? La folie des sens, l'incontinence des coeurs, la fusion des corps ? M. Désérable semble s'être posé cette question et avoir relevé le défi d'y répondre en bon élève.
Il en résulte un livre facétieux, sympa, spirituel : une Francesca da Rimini et un Paolo Malatesta de nos jours s'amourachent sur les pages des livres rares de la BNF : « Elle n'était pas du tout son genre ; il n'avait jamais été le sien. Ils n'avaient rien pour se plaire ; ils se plurent pourtant, s'aimèrent, souffriront de s'être aimés, se désaimèrent, souffriront de s'être désaimés, se retrouvèrent et se quittèrent pour de bon » (p. 28).
Savoureux, piquant, drôle, invraisemblable et banal à la fois, ludique, voire divertissant (car l'actualité façonne et conditionne indubitablement notre réception...), le plus récent livre de FHD est riche de qualités et de jeux : jeux de miroirs, jeux de mots, jeux herméneutiques, jeux intertextuels, jeux amoureux etc...
Jusqu'à ce qu'il risque de devenir, somme toute faite, un simple jeu de société. Un jeu mondain. Parce que le coeur n'y est pas : ni chez l'auteur, ni chez le lecteur. Ce dernier admire la maîtrise stylistique et savoure les références (quel beau titre, par ailleurs...!), mais constate, avec une certaine amertume, qu'il survole de loin l'histoire, sans attache(s), ni empathie.

« Mon maître et mon vainqueur » aurait fait un carton il y a 40 ans, et M. Désérable aurait pu s'expliquer joliment chez M. Pivot. Mais aujourd'hui...

François-Henri Désérable aurait peut-être eu l'envie secrète de parler de soi entre les lignes, à travers le portrait impitoyable d'un écrivain-« écrevisse » : « sa prose était vieillotte, académique, poussiéreuse, ça ne se lisait qu'à grands coups de plumeau ; c'était scolaire, appliqué comme les coloriages d'un enfant qui veille à ne jamais dépasser, en tirant la langue ; on avait envie de lui distribuer de bons points. Et puis tout cela manquait de coeur, or le bon romancier doit avoir à l'égard de ses personnages le coeur tendre et l'oeil dur ; Adrien avait le coeur sec et leur faisait les yeux doux. Je lui avais conseillé, en déployant des trésors de délicatesse, d'attendre quelques années, de travailler, puis de revenir avec un autre roman » (p. 172).

Qu'on me pardonne ce petit détournement malicieux : quand on aime, on devient exigeant : c'est pas mal, mais M. Désérable peut sans doute mieux faire.
J'attends son prochain livre. de tout mon coeur, « mon maître et mon vainqueur » dans toute lecture.
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