Limoges - que je connais bien pour en être originaire - est terre de contradictions. Ville rouge depuis la Révolution, noyautée par les frères maçons, elle reste toutefois profondément ancrée dans le culte de ses deux figures emblématiques : saint Étienne, premier martyr chrétien qui donne son nom à la massive cathédrale, et saint Martial, premier évêque de Limoges qui orne le blason de la ville.
Une ambivalence exploitée par
Julien Deslembre dans le Manuscrit des Parfaits, son premier roman sous-titré "Chroniques Limousines", dont je remercie Babelio et Les Ardents Editeurs pour l'envoi dans le cadre de l'opération Masse Critique. Cette fiction historique, sur fond d'hérésie cathare, recèle une vertigineuse énigme religieuse qui mérite amplement de dépasser les frontières du Limousin. de là à dire que
Julien Deslembre marche sur les plates-bandes de
Dan Brown ou de
Kate Mosse (non, pas le mannequin, mais l'auteur de
Labyrinthe), il y a un pas que je ne franchirai pas... mais qui sait ?
Le récit se compose de trois parties. Les deux premières servent de prologue attestant la présence de mystérieux hérétiques à Limoges en 1034, puis dans le hameau corrézien de Gimel en 1324. L'intrigue principale débute en 1794 à Limoges sur les pas du jeune avocat révolutionnaire Alexandre Lonelet, dont le frère, prêtre à Gimel, a été exécuté par les soldats de la République. En cherchant à comprendre les circonstances de la mort de son jumeau, Alexandre va découvrir de curieux manuscrits qui le conduiront, au péril de sa vie, à de sidérantes révélations.
Bravo à l'auteur, agrégé d'histoire, pour les sources historiques qui étayent son récit. La mise en scène de grands noms comme Adémar de Chabannes ou Raynaud de la Porte, et son choix de situer l'enquête pendant la Révolution, donnent du cachet à l'énigme. Mais si le fond est parfait, la forme ne m'a pas convaincue.
En effet, pourquoi appeler "chroniques" de simples récits utilisant un narrateur omniscient ?
Julien Deslembre aurait pu aller au bout de son idée en faisant raconter chaque histoire par un de ses protagonistes. D'autant plus que le style parfois désuet, voire précieux, qu'il emploie aurait pu s'y prêter.
Mais c'est surtout le manque de profondeur des personnages qui m'a empêchée d'être emportée par l'intrigue, pourtant menée au pas de charge. le plus travaillé est le ténébreux Alexandre. Cependant, avec son allure de poète maudit, incapable d'aimer, et noyant son mal de vivre dans le laudanum, je l'ai trouvé plus antipathique qu'attachant. Quant aux autres, ils sont ébauche ou stéréotype, en particulier les rares personnages féminins (une jeune servante enamourée, une riche fiancée éconduite) qui ne servent que de faire-valoir au héros. Heureusement, les illustrations de
Michaël Bettinelli, en clair-obscur, procurent d'agréables pauses dans le récit en appelant à la rêverie. le côté régressif de ce procédé emprunté à la littérature jeunesse m'a ravie.
Il est fort possible qu'après cette aventure ésotérique, vous soyez tentés par une visite du vieux Limoges sur les traces d'Alexandre. Peut-être même irez-vous vous faire photographier devant la magnifique châsse en émail dédiée à saint Étienne dans la petite église de Gimel-les-Cascades - comme d'autres le font au Louvre devant la pointe de la pyramide inversée ? Pour ma part, j'irai sûrement y jeter un oeil lors de mon prochain séjour en Limousin.