C'est beau, Montmartre, la nuit.
C'est sinistre et effrayant, quand on y vit dehors, même l'été.
C'est ici que l'on retrouve Vernon. Tel qu'on l'avait laissé - pire, même, la rue n'est pas un bain de jouvence...
Alors, ce deuxième opus tant attendu est-il aussi excellent que le premier ? Virginie Despentes avait promis qu'il serait "le plus différent possible du tome 1, sans non plus "jump the shark", c'est à dire faire tout à fait n'importe quoi". (Obsküre Magazine, avril 2015)
Différent, il l'est.
Pas si sex & drug & rock'n roll. On sort des immeubles parisiens friqués/branchés avec coke et pipes à tous les étages. On est dans la rue, entre Montmartre et le superbe parc des Buttes-Chaumont, en galère, dans le monde de la précarité, de la débrouille et de la solidarité, au côté de Vernon et puis d'autres, vous verrez...
On suit Sélim, un papa aussi ordinaire que formidable en plein désarroi depuis que sa fille ado lui a échappé avec sa conversion religieuse.
On apprend assez rapidement ce qu'il y a sur les cassettes laissées par Alex, on n'attendra donc pas le troisième opus en piaffant. Même si bien sûr, on a envie de connaître le sort des deux personnes en fuite...
On retrouve tous les personnages du premier volet. N'ayez pas peur de vous y perdre, les quelques lignes de présentation consacrées à chacun en préambule vous montreront que vous ne les aviez pas oubliés. Mais alors qu'ils étaient éparpillés dans le précédent épisode, que les changements de narration pouvaient être fastidieux à suivre, cela semble plus simple ici - il faut dire qu'ils sont souvent regroupés, dans cette histoire.
L'ambiance est donc bien différente, je l'ai trouvée plus sombre. La savoureuse touche Despentes est là, pas de souci : c'est politiquement incorrect, percutant, grinçant, et drôle grâce au sens de la formule de l'auteur. A travers les voix de ses protagonistes, Virginie Despentes balance des réflexions tous azimuts sur la politique, la religion, la société, le couple, l'éducation, l'amitié... Ces idées sont parfois dérangeantes, surtout lorsqu'elles sont très argumentées - ça donne le tournis et bouscule nos petites certitudes, tout ça. Le ton m'a semblé encore plus virulent que dans le premier tome, est-ce l'effet "7 janvier" ? Despentes serait-elle encore moins complaisante ? Gratte-t-elle encore plus là où ça fait mal ? C'est ce que j'aime chez elle, même si ça rend le propos dense et la lecture parfois plombante.
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On lit ce tome 2 avec autant de plaisir que le premier, même si le rythme est plus lent, l'intrigue, moins haletante. Et on a bien hâte de découvrir la fin de cette trilogie promise pour janvier.
Lire la critique sur le site : LaPresse
"Vernon Subutex 2" redit que solidarité et groupe peuvent être des réponses.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Despentes excelle dans l'art de photographier le monde contemporain.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Ce deuxième tome est plus politique que le premier. Virginie Despentes parle davantage de la société française d’aujourd’hui qui va mal.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Nourri d'indignation et de mélancolie, le deuxième volet de la fresque sociale de la romancière captive par sa saisie aiguë de la réalité contemporaine.
Lire la critique sur le site : Telerama
Page 73
Patrice
… Il attrape un journal abandonné sur une table voisine. « Le résultat des élections en Italie inquiète les marchés financiers. » Une giclée de colère à l’arrière du cortex, telle une langue de goudron brûlant. Comment osent-ils imprimer ça. On visse dans les cerveaux cette idée de la dette, aucun journaliste ne fait son travail : raconter ce qui se passe vraiment. Marquer la différence entre dette publique et dette privée, raconter l’histoire dans sa complexité – appeler un chat un chat, les riches ont déclaré la guerre au monde. Pas seulement aux pauvres. A la planète. Et avec l’appui complaisant des médias, on prépare l’opinion aux réformes sauvages. Ca le rend fou. Devant les casiers de tri, le matin, les gamins n’ont que le Front national à la bouche. Ça se distille par bribes, « Marine a raison sur l’euro, on s’est bien fait avoir », comme si elle ne faisait pas partie du sérail. Ca ne les choque pas de voir l’élite s’accommoder du Front national avec tant de facilité. « On est chez nous, quand même », qu’ils disent. Chez nous. Au centre de tri où il est en CDD, ils les font commencer à 4 heures 20 le matin, pour ne pas avoir à les traiter au régime de nuit. La fonction publique, c’est comme ailleurs : tout pour les cadres. Il a fallu en nommer de plus en plus, les payer de mieux en mieux, accumuler les privilèges, et tout ce qui leur a été octroyé a été volé aux agents d’en bas. Ceux qui font vraiment le travail. Bougres d’imbéciles, comment peuvent-ils ne pas comprendre qu’on les monte les uns contre les autres, quand on les chauffe à blanc pour qu’ils cognent sur leurs voisins de palier ? Les banques vident les caisses de l’Etat sous prétexte qu’elles ont fait des conneries, on collectivise leurs déficits, on privatise leurs bénéfices, et ces connards de citoyens réclament une raclée pour les Roms.
Mélenchon est meilleur que Marine, sur tous les plans. Son seul problème, pour plaire, c’est qu’il n’est pas raciste. Les gars se sont tellement fait nettoyer la tête, depuis dix ans, que le seul truc qui les obsède, c’est pouvoir dégueuler leur haine du bougnoule. On leur a confisqué toute la dignité que des siècles de lutte leur avaient conférée, il n’y a pas un moment dans la journée où ils ne se sentent pas traités comme des poulets qu’on plume, et la seule putain de combine qu’on leur a vendue pour se sentir moins nuls, c’est de brailler qu’ils sont blancs et qu’à ce titre ils devraient avoir le droit de mater du basané. Et de la même façon que les gamins de banlieue crament les voitures en bas de chez eux et n’attaquent jamais le XVIe, le Français précaire tape sur son voisin de transport en commun. Il reste docile même dans ses agacements : à la télé, la veille, on lui a fait savoir qu’il y avait plus dégradé que lui, plus endetté, plus misérable : le Noir qui pue, le musulman qui tue, le Rom qui vole. Tandis que ce qui constituait la véritable culture de ce peuple français, les acquis sociaux, l’Education nationale, les grandes théories politiques, a été démantelé, consciemment – le tour de force de cette dictature du nanti aura été sa manipulation des consciences. L’alliance banques-religions et multinationales a gagné cette bataille. Ils ont obtenu du citoyen sans patrimoine qu’il renonce à tous ses droits, en échange d’avoir accès à la nostalgie de son impérialisme. Là encore, camarade tu te fais avoir : si tu crois que le trésor des colonies était pour tout le monde, déjà à l’époque on ne t’octroyait que le droit de te sentir blanc, c’est-à-dire un peu mieux traité que ton collègue qui ne l’était pas. Du mineur au mouton qui pousse son caddie, on n’aura pas vécu longtemps sous le règne du citoyen instruit. Il faut dire, les riches étaient à bout de nerfs : ils n’en pouvaient plus d’être obligés d’aller jusqu’en Russie ou en Thaïlande pour chercher à voir de bons pauvres, du qui crève la faim, du qui ne sait pas lire, du qui marche pieds nus, du qui te fait sentir éduqué, privilégié, forcément envié. C’est une torture pour lui, ce début de siècle, la colère l’étouffe dès qu’il entend parler de ce qui se passe autour de lui.
Les autres mères la démoralisent. " La mienne a marché à six mois, on est resté bouche bée quand on l'a vue traverser le salon". " La mienne parlait deux langues à deux ans". " Le mien a appris tout seul à lire à trois ans". "Le mien a été repéré en grande section de maternelle pour ses qualités de footballeur ". " J'ai ouvert un compte épargne pour la mienne, on m'a demandé si elle ne voulait pas faire une série de mode, moi je n'y tenais pas mais la petite adore ça , et depuis on la demande partout" . Et que je te dégaine le fil de ma progéniture en train de faire la roue, sur une poutre, de remonter un ordi les yeux bandés ou de reprendre un air d'opéra... Clara est un ange, mais pour frimer, elle ne sert à rien.
Elle n'est pas rentrée pleurer dans les bras de son père. Elle est allé en voir un autre. Est-ce que ce type t'a appris à nager est-ce qu'il a parcouru tous les magasins de la ville pour trouver le jouet que tu voulais est-ce qu'il a sacrifié ses soirées pour être sûr que tu connaissais ta récitation est-ce qu'il t'a appris à faire un exposé est-ce qu'il s'est cassé la tête le soir dans sa chambre pour rattraper son retard en mathématiques et pouvoir t'expliquer l'exercice le lendemain est-ce qu'il t'a regardé tourner dix fois de suite dans le froid sur le manège avec le petit éléphant qui te plaisait tellement est-ce qu'il t'a portée sur ses épaules pour que tu ne rates rien de la parade des princesses alors qu'il avait déjà mal au dos est-ce qu'il s'est relevé la nuit pour te donner de l'eau quand tu faisais des cauchemars est-ce qu' il t'a emmenée voir les dauphins sept fois de suite parce que tu les adorais est-ce qu'il a plié tes vêtements après les avoir repassés jusqu'à l'année dernière est-ce qu'il s'est demandé comment payer tes frais d'inscription quand ils ont augmenté est ce qu'il a fait la queue deux heures pour être sûr que tu verrais Lorie ?
Les mecs sont devenus tous identiques, on dirait qu'ils prennent des cours du soir pour se ressembler le plus possible. Si on pouvait ouvrir le cerveau de Laurent en deux pour lui regarder la mécanique, on y trouverait exactement le même arsenal de conneries que dans celui du cadre sup en détresse qui fait ses abdos à côté d'eux: des poulettes ultra light, de la verroterie Rolex et une grosse maison sur la plage. Que des rêves de connard.
Si on veut se mettre en couple, l'important c'est d'être réaliste. Une fille mettable, qui fait à bouffer, qui n'a aucune habitude dégoutante et te supporte tel que tu es, sans chercher à te mettre au pas et te faire aimer les légumes verts, on ne peut pas en demander beaucoup plus à l'amour. A quelques détails près, c'est toujours la même histoire qu'on se raconte. L'important, c'est de ne pas s'acharner à chercher dans la vie de couple des choses qu'on n'y trouvera jamais.
Lecture par Anna Mouglalis, Félix Maritaud & Louise Orry-Diquéro
« J'ai lu ce que tu as publié sur ton compte insta. Tu es comme un pigeon qui m'aurait chié sur l'épaule en passant. C'est salissant et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite bastringue qui n'intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu'on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l'as eu, ton quart d'heure de gloire. La preuve : je t'écris. »
Après cette raclée infligée par Rebecca – actrice star qui commence à s'inquiéter pour sa carrière la cinquantaine advenue – Oscar entame une conversation avec elle. Il se trouve qu'ils se connaissent depuis l'enfance, Rebecca était amie avec la grande soeur d'Oscar. Voilà pourquoi sans doute le dialogue va se poursuivre en dépit de l'animosité. Dans un paysage chaotique, car Oscar, écrivain qui a connu le succès, se trouve attaqué publiquement pour sa mauvaise conduite avec Zoé, son ancienne attachée de presse qu'il a poursuivi d'une drague lourde. Sèchement évincée de la maison d'édition pour ne pas donner tort à l'auteur à succès, Zoé règle ses comptes des années après sur les réseaux sociaux et se fait la voix du féminisme d'aujourd'hui. Nous sommes donc dans l'extrême contemporain et cet échange entre Rebecca et Oscar va explorer toutes les tensions d'aujourd'hui : la question du féminisme bien sûr, mais aussi celle des transfuges de classes. Plus largement, doutes existentiels et addictions aux drogues diverses vont nourrir leurs échanges. Peu à peu la conversation sans jamais s'amollir va s'adoucir. Comment faire avec l'époque, comment améliorer la bagarre pour qu'elle devienne sinon une possibilité de réconciliation du moins la possibilité d'un dialogue qui serait alimenté par la complexité et les faiblesses humaines ?
Un grand livre sur l'époque qui prend la forme de « Liaisons dangereuses » ultra-contemporaines. Formidablement éclairant.
À lire - Virginie Despentes, Cher Connard, éd. Grasset, 2022.
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