Il serait difficile de définir l’art surprenant de M. Redon; au fond, si nous en exceptons Goya dont le côté spectral est moins divaguant et plus réel, si nous exceptons encore G. Moreau, dont M. Redon est, en somme, dans ses parties saines, un bien lointain élève, nous ne lui trouverons d’ancêtres que parmi les musiciens peut-être, et certainement parmi les poètes. C’est, en effet, une véritable transposition d’un art dans un autre. Les maîtres de cet artiste sont Baudelaire et Edgar Poe dont il semble avoir médité le consolant aphorisme : « toute certitude est dans les rêves ». Là est la vraie filiation de cet esprit original ; avec lui nous aimons à perdre pied et à voguer dans le rêve, à cent mille lieues de toutes les écoles, antiques ou modernes, de la peinture.
Cet extraordinaire artiste : Redon, est au dessus — ou en dehors comme on voudra, non seulement de la compréhension ordinaire de la foule, mais même de celle du monde lettré. Peu encore le connaissent. Un certain mystère s’ajoute ainsi au mystère de son œuvre et son originalité s’augmente de son isolement et de son obscurité. Il y a certaines étoiles de première grandeur dont la lumière ne nous arrive, à travers les ténèbres de l’espace, qu’après des siècles...