L'être qui t'aime et l'être qui veut te tuer crient la même chose: j'aurai ta peau. (p.12)
L'épaisseur de la chair entre toi et moi n'est pas obstacle entre nous mais moyen de communication.
L'être qui t'aime et l'être qui veut te tuer crient la même chose : j'aurai ta peau.
La caresse...
La caresse est l’ensemble des cérémonies qui incarnent autrui.
C'est que la caresse n'est pas simple effleurement: elle est façonnement. En caressant autrui, je fais naître sa chair par ma caresse, sous mes doigts. La caresse est l'ensemble des cérémonies qui incarnent autrui. (p.125)
Le jour, je levais des yeux scandalisés sur la guêpe qui était un petit coup de rasoir, sur l'abeille qui brûlait comme un pistolet tenu d'une main molle, sur le frelon qui était, lui, une vraie balle, avec un éclair orangé et de la fumée. Il y avait aussi le taon, crasseux, piqueur de taureau, au dard barbelé, indécis et souillé. L'odeur d'apéro du pauvre Synthol sur la boursouflure.
La nuit, j'écoutais le moustique qui allait me donner, avec la démangeaison, l'un de mes premiers vrais plaisirs. Ce que cherche alors la main endormie qui tâtonne et trouve la surface douce et chaude, avec un peu de chagrin, avec aussi la force et l'envie de jouir, c'est le petit globe de volupté qui vient de pousser là, un organe de plaisir nomade, impair, érectile et délicieux, que le moustique déplace chaque nuit.
Une douleur, une rougeur, une chaleur, persuasive et régulière, font de la piqûre un instrument, un objet et un lieu de plaisir....
L'être qui t'aime et l'être qui veut te tuer crient la même chose : j'aurai ta peau.
Une vie …
Une vie ne remplit pas une peau, elle n’achève pas un épiderme. Non finito. Tes caresses n’en finiront jamais de dessiner ma peau. Car elle est toujours forcément esquisse, maintenue au plus près de son invention, dans la tension de ce surgissement. Elle déborde le monde de tous côtés. Inachèvement justifié car la perception elle-même de mon corps, sur la page du monde où tu vis, n’est jamais finie.
En 1895, le physicien allemand Röntgen découvre les rayons X. Une nouvelle fois, la barrière de la peau est tombée. L'anatomie lumineuse a détrôné le scalpel.
La peau fut le cuir du dermatologue, tout hérissé de naevi et de verrues, avec ses macules, avec ses muscles et ses pustules et ses papules et ses vésicules et ses tubercules, avec ses abcès, ses éruptions, ses tumeurs et ses scrofules, hésitant entre glandes sébacées, pores bouchés, pellicules mortes et comédons - ce ver dont les Anciens se croyaient rongés, au point qu'ils le nommèrent comedo, je mange -, cette peau humaine banalement teintée par les émotions, séchée par l'eczéma, ridée par le temps, fardée par les femmes en rose thé ou en rouge, et qui se traite, se teint d'un incarnat si réel qu'il procure l'illusion vraiment exacte d'une chair colorée de sang.