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Foire du livre de Bruxelles 2011 : du stand de mon éditeur sis à côté de celui de Gallimard centenaire, va-et-vient, effervescence du public, présence d'auteurs plus ou moins connus, gens du show-biz ; sur un coin de table, j'accepte une interview, des photos (dont je n'aurai jamais de « retour ») et dédicace Lettre sans mots, roman fraîchement sorti. J'ai à peine le temps de percevoir un accent belge dans ces quelques mots échangés avec l'un des visiteurs autochtones, qui sourit discrètement en emportant mon livre et ma carte de visite. Quelques semaines s'écoulent, l'homme me livre ses impressions via le mail. Je suis surprise, cette modestie sur son visage m'avait caché ses talents : il écrit, lui aussi, depuis plus de vingt ans, fidèle aux très poétiques « Carnets du Dessert de Lune » qui crèche rue de Venise, à Bruxelles. Une maison d'édition écolo publiant sur papier recyclé, sorte d'écrin naturel à des textes rêveurs. Patrick Devaux en fait partie. Et puis, au fil de l'eau et du temps, ce généreux auteur s'offre à découvrir : toiles, photos, font partie de son bagage, mais aussi livres, bien sûr. Je reçois un exemplaire par la Poste ; Les mouettes d'Ostende, il s'intitule. Déjà une échappée pour votre imaginaire... J'avais lu et tant aimé La Rêveuse d'Ostende d'un autre belge, la septentrionale station balnéaire m'avait moi-même inspiré quelques lignes romanesques, ma mémoire littéraire n'était donc pas vide de ces souvenirs de bord de mer. Je lis. Et me retrouve avec l'auteur et son personnage sur la digue. C'est l'histoire de Sébastien qui, à quarante ans ou plus, suite à un licenciement professionnel, se retrouve en fin de saison sur la côte belge où il vient d'emménager. En marge. Et libre, enfin, d'observer, d'agir à sa guise, et de peindre tout son temps. Libre, aussi, de partir à la dérive dans ce livre où le Temps passe (la montre bleutée, symbole des jours chronophages). Avec Patrick Devaux, on ne comprend pas tout. Il ne faut surtout pas chercher à comprendre. Est-ce que l'on tente d'élucider les poèmes d'Eluard ? La poésie est un reflet ; lumineux mystère tiré de cette force inconsciente. C'est cela qui nous touche. Rien d'autre. Ou bien, c'est de tenter de comprendre qui nous émeut, je ne sais pas. Tout cela n'a pas d'importance. L'important, c'est de refermer la dernière page empreint d'une émotion signifiante. Et les émotions essentielles parcourent Les mouettes d'Ostende, soucieuses de dévoiler notre sens esthétique : le personnage, à l'image de Giotto ou de Munch mentionnés, est un artiste, l'auteur aussi, qui peint sous nos yeux ravis. Ce livre est un lavis ou une aquarelle étirant ses plages et ses cieux délavés. Nuances blanches, grises, mauves ou vertes de la mer, qui se confondent souvent à la couleur des yeux quand les blonds parlent des mèches de cheveux comme du sable. Émotions validées par cet autre personnage néfaste : le crabe. Quel autre lieu que la mer, me direz-vous, aurait pu mieux accueillir, dans ce long poème, la métonymie de la douleur ? Si dans Les mouettes d'Ostende, espace et paysages ne rétrécissent pas comme dans L'écume des jours mis en parallèle, l'espoir se bride à travers la métaphore filée d'une souffrance qui remue, bouge, pince et picote, et assiège. Douleur cardiaque dépressive, ou sentimentale. Absence d'un(e) autre, peut-être ? Car le crabe de Sébastien ne s'en prend pas vraiment à l'abdomen. C'est le coeur de l'artiste qu'il grignote, et par là son âme amoureuse. Comme si ces apparitions du bord des digues d'Ostende, qu'elles s'échappent d'une affiche ou qu'elles se donnent à voir le long de la mer, dans les bistrots ou ailleurs, belles mouettes, n'étaient que les formes révélatrices d'un manque. Celui d'être aimé à sa juste valeur. © Bénédicte Fichten + Lire la suite |