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Critique de Apoapo


Au moins depuis la bipédie, le sexe de la femme, contrairement à celui de l'homme, se soustrait au regard. Que se passe-t-il alors s'il est exhibé, ou si cette exhibition fait l'objet d'un fantasme ? Y répondent les civilisations antiques par la mythologie, qui s'accompagne de rites religieux, les civilisations dites traditionnelles par la survivance de récits mythiques, et la nôtre par des manifestations de l'inconscient dissimulées çà et là dans la langue et surtout dans les névroses et les psychoses.

L'attention de Freud (« Parallèle entre des mythes et une obsession visuelle », 1916) avait déjà été attirée par le mythe grec de Baubo ; Ferenczi (1919) avait émis l'hypothèse que la nudité pût être un « moyen d'intimidation ». Voici le mythe de Baubo : Déméter est inconsolable depuis la disparition de sa fille Perséphone, elle refuse de s'alimenter et dépérit. Un jour, sa servante Baubo, devant elle, soulève ses jupes, lui dévoile sa vulve – selon certaines sources, au moment de son accouchement – et Déméter rit puis reprend en main un calice. Il existe aussi une version égyptienne plus ancienne, concernant le dieu Rê, d'abord exténué, le geste exhibitionniste de la déesse Hathor, et le même rire cathartique – sauf que là il s'agit d'un être masculin devant le sexe féminin : c'est moins intrigant...

Le livre de Devereux est le fruit d'une réflexion de trois décennies autour de ce mythe. Il se compose d'articles de différentes longueurs, en guise de variations sur le thème, qui sont néanmoins tous complémentaires et extrêmement érudits (comportant plusieurs centaines de notes et une bibliographie en proportion...), ardus à aborder, demandant une concentration sans faille et une solide culture classique, et surtout la disposition mentale à se faire équilibriste, capable d'évoluer entre mythologie-philologie, anthropologie-ethnographie et clinique psychopathologique. Les distances spatiales et temporelles sont abolies, les fantasmes névrotiques et psychotiques règnent. Les arguments sont basés sur des fragments de texte minimes ou parfois juste sur des pièces archéologiques. La vraisemblance des interprétations de l'analyste-sémiologiste – ainsi que de l'analyste-psychanalyste ne peuvent se mesurer que par la philologie du grec antique – complexifiée par la circonstance que les textes relèvent de traditions religieuses, en particulier les mystères d'Éleusis, et sont donc par essence obscurs – ; malgré les biais interprétatifs bien connus en ethnologie ; ainsi que les ambiguïtés des manifestations de l'inconscient, surtout dans des cas cliniques plutôt éloignés de la « norme ». Par conséquent, parmi toutes ces difficultés interprétatives, il est facile que des a priori (contestables) de l'analyste lui-même se faufilent dans son analyse ; c'est le cas par ex. de cette assertion sur les relations homosexuelles :
« L'homosexuel, tout comme la lesbienne, semble incapable – même durant le coït – de ressentir l'organe du (de la) partenaire comme faisant partie de l'image de son propre corps. Cette incapacité le (la) prive de tout ce que sa composante narcissique peut apporter d'exaltant à l'expérience du coït hétérosexuel. Les homophiles ne peuvent donc obtenir cette indispensable composante narcissique du plaisir sexuel qu'au prix d'une renonciation aux délices de l'expérience (quasi-simultanée) de l'altérité du (de la) partenaire. » (pp. 160-161).

En revanche, nous assistons là au processus même de la fabrication de la pensée psychanalytique et ethno-psychiatrique. Il apparaît dans toute son évidence le mécanisme d'encodage des produits fantasmatiques de l'inconscient, tels des messages secrets ou nécessitant une initiation pour se révéler, à l'intérieur des mythes, ravivés périodiquement par des rites ; il apparaît aussi évident que les manifestations pathologiques (symptômes) découlant d'un « problème » (traumatisme) peuvent être dénouées en déchiffrant, c'est-à-dire en décodant des mythes propres à la culture dans laquelle le patient baigne. L'étude comparative de ces mythes dans les temps et sous les latitudes éloignés nous informe sur des données profondes et sensibles de la condition humaine. le décodage est d'autant plus ardu des thèmes ayant trait à la sexualité : les évidences y sont les moins pertinentes et les plus susceptibles de déconstruction. Même si la valeur heuristique des découvertes de cet essai semble limitée en-dehors de psychopathologies graves, la méthode est séduisante et l'on ne peut douter, en bonne foi, de sa puissance thérapeutique (que l'on aime Freud ou qu'on le haïsse).


Table :
Préface : « Éloge de la vulve », par Robert Neuburger

Première partie : le mythe de Baubo

Baubo : la vulve personnifiée
Notice historique
Le geste de Baubo
Iakchos = Vulve
La vulve et la tête d'enfant
Les équivalents de Baubo
Baubo en Égypte
Baubo, Gorgone étrusque
Baubo au Japon
Baubo, Aphrodite et la Sainte Vierge
Le rôle du son et d'autres stimuli
Baubo : son étymologie
Baubo = Bau-Bau
Baubo, l'esclave thrace

Deuxième partie : Interprétation du mythe de Baubo

L'exhibitionnisme névrotique
Les effets de l'exhibition de la vulve
L'incitation à la sexualité
Baubo : déclencheur de la sexualité
Deuil et sexualité
Déméter : mère ou amoureuse en deuil ?
Exhibition de la grossesse et de l'accouchement
L'exhibition anale de l'homme

Troisième partie : Vulve et phallos

La femme phallos
Baubo, ogresse phallique
Le godemiché destructeur
Poil pubien et phallos féminin
La réciprocité du vagin et de la verge
La vaginalisation de la verge
La greffe d'un pénis
L'homme tubulaire et la femme bouchée

Quatrième partie : Face et sexe

Le ventre facifié
L'étude de Freud
Le mamelon
Typologie des sculptures du type Baubo
Appendice : le double énoncé

Annexes

« Parallèle entre des mythes et une obsession visuelle » par Sigmund Freud
« La nudité comme moyen d'intimidation » par Sándor Ferenczi.
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