Le titre et sous-titre sont proprement foudroyants : « La renonciation à l'identité – défense contre l'anéantissement » ; ils m'ont immédiatement fait songer à des périodes obscures de notre Histoire – je savais que Georges Devereux était un Juif converti au catholicisme au début des années 30. J'ai appris par l'excellente préface de Robert Neuburger que son nom d'origine était György Dobó et que son patronyme francisé, prononcé par un Hongrois, signifie « le Juif »...
L'incipit est aussi, pour ainsi dire, flamboyant : « L'objet de cette étude est le fantasme que la possession d'une identité est une véritable outrecuidance qui, automatiquement, incite les autres à anéantir non seulement cette identité, mais l'existence même du présomptueux – en général par un acte de cannibalisme, ce qui transforme le sujet en objet. Les patients les plus gravement atteints cherchent à se protéger contre ce risque, en renonçant à toute véritable identité ; ceux qui sont moins atteints se constituent une fausse identité. »
Cependant, cet essai (de 1967) issu d'une communication adressée par l'impétrant déjà presque sexagénaire à la Société psychanalytique de Paris, qui ne lui accordera jamais le rang de membre titulaire (!), est beaucoup moins ambitieuse que ces indices initiaux ne l'auraient laissé augurer. Et d'abord en sont exclues toutes les considérations politiques ou de sciences sociales – alors que le pionnier de l'ethnopsychiatrie a notoirement reconnu la société à la fois comme cause de certaines psychopathologies – inadaptations de « l'homme normal » dans une société pathologique – et comme pourvoyeuse d'un nombre limité de symptômes « normalement anormaux » « qui permet[tent aux inadaptés] d'exprimer leur souffrance sans risquer de dévoiler une identité fragilisée » (dixit Neuburger), nombre réduit essentiellement à trois, dans notre Occident contemporain : dépression, syndrome bipolaire, schizophrénie.
Ici au contraire, il est question uniquement de redéfinir la résistance dans la thérapie psychanalytique.
Par ailleurs, l'identité, qui se confond progressivement avec l'individualité – malgré une précaution terminologique initiale (p. 26) [pour preuve de la confusion, cf. l'incipit ci-dessus avec la cit. pp. 65-66, infra], s'entend circonscrite à l'intégrité du psychisme individuel dans l'espace (le corps) et dans le temps (la vie) ; les failles identitaires à l'âge adulte sont reconduites à la (mauvaise) éducation des enfants par certains parents « cannibales » ; en même temps que la résistance au thérapeute consiste dans la protection de l'identité contre soi-même et contre lui : conception freudienne très classique, mais appliquée à l'identité tout entière plutôt qu'aux seuls symptômes.
L'exposé se compose d'une partie théorique, nettement plus intéressante – car elle contient de nombreux renvois et des présages de développements ultérieurs – et d'un cas clinique, étudié sur une vingtaine de pages. Les plus grosses lacunes, regrettées par l'auteur lui-même, concernent le cannibalisme comme punition de « l'outrecuidance identitaire », et la renonciation comme mécanisme de défense de l'identité. Les ancrages mythologiques de ces deux points ne sont que deux, venant de l'Odyssée : le passage de Ménélas essayant d'obtenir un oracle de Protée, et le fameux passage où Odysseus échappe au cannibalisme du cyclope Polyphème en prétendant s'appeler « Personne [au sens de Nobody] ». Rares sont aussi les références ethnologiques, ce qui est déconcertant. Je trouve aussi que le parallèle entre développement de l'identité-individualité et développement de la sexualité aurait dû à être étudié au lieu d'être simplement énoncé – et enfin pourquoi diantre le nom serait-il seulement le pénis et non le vagin ?!
Le titre interpelle. La 4ème de couverture finit de vous convaincre.
Comme ce texte s'adresse d'abord à des " spécialistes"(. Il s'agit de la reprise d'une conférence qu'il a donnée le 17 novembre 1964, dans le cadre don admission à la Société psychanalytique de Paris.) la lecture de la préface de Robert Neuburger, n'est pas à bouder ; bien au contraire. Elle ne fait pas que lever le voile sur l'enjeu du livre, elle permet de " prendre la température " avant de plonger dans le grand bain. Je le reconnais aux premiers abords certaines lignes sont parfois difficiles, pourtant ce livre restera une référence pour moi
Georges Devereux part d'une interrogation : quel est le rôle de la résistance dans la cure psychanalytique?
Avant de pouvoir démonter les raisons d'un tel mécanisme et en tirer les conclusions qui s'imposent dans sa pratique thérapeutique vis à vis de ses patients, Georges Devereux va d'abord s'employer à rappeler certaines évidences : "Dès que nous comprenons une chose ou un être dès que nous en établissons l'identité, dès que nous pouvons prévoir son comportement nous avons une emprise sur lui, nous sommes en mesure d'intervenir dans sa vie , tant pour le bien que pour le mal. " (page 38) .
Mais ce qu'il écrit quelques pages plus loin, dépasse le cadre strictement thérapeutique.
En lisant ce livre, on comprend à quel point la formation de l'identité est un processus complexe, fragile et d'une certaine manière aléatoire, qui dépend en grande partie de l'éducation reçue, et quels sont les mécanismes de défense mis alors en place pour pouvoir survivre et vivre...
Perplexe en début de lecture, après réflexion je peux entrevoir des mécanismes, décortiqués par l'auteur, autant chez moi que dans mon entourage.
Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?