Ces nouvelles ont été écrites dans les années 70 et se situent dans les années 50, au Bengale, région de l'ouest de l'Inde. On y découvre une Inde rurale, tournée vers ses traditions plus que vers l'avenir, avec des personnages qui vivent dans la misère et s'attache à survivre.
Mahasweta Devi s'attache à décrire dans ce contexte des destins de femme, tous très différents mais tous marqués par la domination masculine et le poids des traditions. Il est glaçant de découvrir que la vie des femmes était toujours subordonnée à celle des hommes. En particuliers, pour la nouvelle « La Statue » où on découvre le sort d'une jeune veuve de 6 ans. de la même façon, il revient plusieurs fois dans ces nouvelles que pour la même faute, on oubliera ou pardonnera à un homme mais qu'une femme sera marquée à vie (ce qui signifie souvent déchéance, prostitution ou mort).
On sent bien dans ces nouvelles que Mahasweta Devi a écrit aussi pour dénoncer et espérer améliorer le sort des femmes en alertant sur les dérives et la rigidité des traditions. En effet, la misère, même très présente, est le lot de tous, hommes et femmes et j'ai ressenti que ce qui rendait la vie intenable est surtout le déséquilibre entre hommes et femmes qui interdit aux femmes toute échappatoire en dehors d'un foyer « traditionnel ».
En conclusion, j'ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles, en particuliers les premières et la dernière « la Statue » qui m'ont beaucoup touchée. J'ai aimé le style de ces nouvelles qui laissent une grande place à l'énigmatique, où tout n'est pas expliqué pour des lecteurs occidentaux (et il faut bien avoué que beaucoup de choses m'ont échappé, en particuliers sur les interdits entre castes, sur les rituels religieux, sur les interdits de certaines positions), ce qui donne vraiment l'impression de plongée dans un univers étranger. J'ai eu envie à la fin du recueil de trouver d'autres nouvelles de cet auteur pour prolonger l'expérience.
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Dhauli était libre de laisser ses pensées vagabonder tandis que les chèvres paissaient dans la forêt. Parfois, elle étalait le pan de son sari et se reposait, allongée au sol. Elle n'avait pas peur ni des loups ni des léopards. Car si les humains craignent les bêtes sauvages, la réciproque est tout aussi vraie. Le calme régnait dans la forêt (...). Elle retrouvait la paix.
Une belle querelle se préparait. Sanichari s'en réjouissait d'avance. Rien de tel qu'une bonne dispute pour débarrasser l'esprit de ses scories et faire place nette. Voilà pourquoi la mère de Dhatua s'en prenait même aux corbeaux et aux milans. Une dispute, c'est bon pour le moral, pour le corps, ça vous fait circuler le sang dans les veines comme les balles d'un fusil.
D'ailleurs, aucun de ses rêves n'avait jamais vu le jour, pas même le plus modeste. Le gros peigne dont elle avait envie, elle n'avait jamais pu se l'acheter. Les bracelets de laque qu'elle n'aurait aimé garder aux poignets au moins un an, elle avait dû les enlever. Avec le temps, ses rêves avaient évolué. Avec le temps, ses rêves avaient évolué.
Quand Mary Oraon se tient debout sur la colline et qu'elle regarde passer le train, elle est aussi un objet de curiosité pour les voyageurs qui peuvent l'apercevoir. Elle a dix-huit ans, elle est élancée, a le visage rond, un nez épaté et un teint cuivré, plutôt clair. Elle est généralement vêtue d'un sari imprimé. De loin, elle semble tout à fait charmante mais, de près, on perçoit dans son regard comme une lueur d'hostilité.
Le jour dit, assis sous l'arbre, Dinu rayonnait. Dulali n'alla pas le voir. Elle resta enfermée dans sa chambre sans pouvoir parler à personne, le cœur brisé. Finalement, elle noua sa chevelure négligée en un chignon lâche, se drapa dans son sari blanc sans bordure et s'approcha lentement de l'extrémité de la cour. Elle observa Dinu de loin, contempla son dhoti de soie blanc, sa chemise écrue, le châle autour de ses épaules, la marque de santal sur son front, les anneaux d'or à ses oreilles - signe de sa lignée. Quand il la découvrit, il la regarda un long moment et se redressa. Puis il arracha la guirlande qu'il avait autour du cou, jeta son châle à terre et effaça la marque sur son front.