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sur 230 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
En 2009, un jeune homme vient assister au procès de Douch à Phnom Penh (Cambodge).
Né en 1942, Douch dirigea la prison S-21 de 1975 à 1978 et fut l'un des cadres de la police politique khmère de l'époque. Son procès est le premier instruit par un tribunal spécial (à la fois cambodgien et international) contre des responsables des crimes du régime Khmer Rouge. Douch a été condamné à 35 ans de réclusion pour crimes contre l'humanité. Des experts psychiatres et psychologues lui ont repéré une alexithymie (incapacité à ressentir et exprimer ses émotions et celles des autres). Douch a reconnu tortures et meurtres commis au S-21 mais avait demandé la relaxe, considérant que faute de Loi au Kampuchéa, il n'en avait enfreint aucune…

Pour tenter de comprendre ce procès, le jeune homme se penche sur l'histoire du Cambodge et des pays voisins (Vietnam à l'est, Thaïlande à l'ouest, et Laos au nord).
L'auteur nous fait ainsi voyager dans l'espace, avec le Mékong en fil rouge, et dans le temps avec les colonisations occidentales en toile de fond. Nous suivons explorateurs (le naturaliste, Henri Mouhot, et ceux qui lui ont succédé) et écrivains célèbres (Malraux, Loti, Conrad) dans leurs pérégrinations…
Ici, le romanesque s'efface devant l'Histoire.

L'écriture de Patrick Deville exige beaucoup d'attention de la part du lecteur. J'ai d'ailleurs dû avoir en permanence un atlas à portée de main, et l'ai consulté plusieurs dizaines de fois durant cette lecture.

Pour résumer : l'exercice de lecture fut exigeant mais cela en valait largement la peine.
Je reviendrai probablement vers cet auteur, mais après avoir relu "La Voie royale" de Malraux (dont je n'ai plus souvenir et n'avais probablement pas capté le plus intéressant ...).
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Le Kampuchéa démocratique c'est le nom officiel du Cambodge de 1975 à 1979, durant le règne cruel instauré par les Khmers rouges. « L'Angkar est à la fois le rêve d'une société monastique et du communisme ancestral des tribus, la morale stricte des chasseurs-cueilleurs et les préceptes du bouddhisme. », utopie ayant abouti à la barbarie. Dans ce récit tortueux à dessein, Patrick Deville tente, dans l'attente du verdict des tribunaux envers les ex-dirigeants des Khmers rouges, d'appréhender le monde asiatique par les nombreux conflits ancestraux disputés aux frontières du Laos, du Cambodge, de la Thaïlande et du Vietnam. La lecture s'avère exigeante autant pour la somme considérable de faits historiques dont le lecteur est bombardé que par un processus de narration non linéaire, partagée entre réflexions et rêveries. En ce sens, l'auteur s'est parfaitement intégré à l'univers dans lequel il évolue, les lents déplacements sur le long fleuve Mékong instillant chez lui mysticisme et fatalisme.
Comme dans ses deux précédents romans constituant le cycle Sic Transit (Pura Vida et Equatoria), Deville convoque écrivains renommés (André Malraux, Graham Green), explorateurs du XIXe siècle (Henri Mouhot, Auguste Pavie, Francis Garnier, Ernest Doudart de Lagrée) et hommes politiques contemporains cambodgiens, laotiens et vietnamiens (Ho Chi Minh, Norodom Sihanouk, Lon Nol, Khieu Samphan, Pol Pot, Hun Sen) afin de mieux comprendre ce qui fait tourner cette partie du monde qui reste encore bien mystérieuse aux Occidentaux.
Sic transit gloria mundi…
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L'auteur débute son périple à Bangkok. Taksin Shinawaka, ex-premier ministre corrompu de la Thaïlande a fui le pays. A Phnom Penh doit débuter le premier procès de Douch, le tortionnaire du tristement célèbre camp S21 où ont été torturées et assassinées 12 000 personnes. Né en 1942, d'origine modeste, Douch réussit de brillantes études pour devenir professeur de mathématiques, son directeur est Son Sen, futur ministre de la défense du Kampuchéa démocratique. Ils rejoindront tous deux le maquis. Amateur de poésie, Douch récite les vers du poème d'Alfred de Vigny « La Mort du Loup » à la première audience du procès :
« Gémir, pleurer, prier est également lâche
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voix où le sort a voulu t'appeler
Puis, après, comme moi, souffre, et meurs sans parler. »

Il a été un fidèle serviteur de l'Angkar, consciencieux, rigoureux, jusqu'à la folie, à l'absurdité aveugle.
Chaque événement de l'histoire en rappelle un autre qui a sa part dans l'avènement au pouvoir d'une poignée d'idéalistes qui ont fait leurs études à Paris, ont lu Malraux (la Voie royale), Rimbaud (Une saison en enfer), Farrère (Les Civilisés), ont rêvé de Révolution à Saint-Germain avant de se perdre dans la forêt cambodgienne. On redécouvre ces morceaux d'histoire entremêlés qui ont contribué à alimenter la guérilla, la haine de l'Occident, les désirs de pureté dans un pays corrompu par la monarchie sous Norodom Sihanouk qui rêve d'une Pnom Penh princière et réprime sévèrement les opposants Khmers rouges, par le régime militaire anti-communiste de Lon Nol, sans oublier les Américains qui ont sacrifié les populations sous les énormes bombardements envoyés sur la piste Hô Chi Minh, la longue colonisation de la France dont les intérêts étaient multiples (opium, riz, , sel, hévéa..), les territoires amputés par le royaume de Siam (Angkor), puis par les Vietnamiens (le delta du Mékong), les conflits de la guerre froide qui amèneront leur lot de soutiens ou de défections.
Mais, sans doute faut-il revenir un siècle et demi en arrière à la rencontre d'un personnage injustement oublié : Henri Mouhot, lépidoptériste, entomologiste, botaniste qui, de Londres, embarque pour l'Asie, y parcourt à pied de vastes territoires à la poursuite de papillons rares et découvre avec stupéfaction et fascination les temples d'Angkor enfouis sous la végétation luxuriante, réalise des dessins minutieux et prend des notes précises qui seront publiées à Paris et nourriront des rêves de conquête française, car la France est alors en concurrence avec l'Allemagne et l'Angleterre dans l'expansion culturelle et géographique. On croise Graham Greene, Pierre Loti, Joseph Conrad, écrivains fascinés par l'Asie et qui ont enrichi nos rêves occidentaux d'un Orient magique.
Pour Patrick Deville, c'est l'année zéro. Dès lors, les années se comptent en après HM, sur la trace des explorateurs Garnier et Lagrée à la découverte de 3000 km le long du fleuve Mékong, d'Auguste Pavie qui trace la ligne télégraphique entre Phnom Penh et Bangkok et crée une école cambodgienne à Paris dans laquelle les sinistres frères numérotés viendront faire leurs études. L'auteur rencontre le père François Ponchaud, prêtre à Phnom Penh de 1965 à 1975, date de l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges, il dénonce alors les exactions, n'est pris au sérieux ni par Paris, ni par Washington, ni par Amnesty International, ni par la Ligue des Droits de l'Homme. On croit encore à l'idéal communiste qui va déboucher sur la Terreur, la destruction de tous les papiers, les diplômes, les livres, la suppression des médecins, des cafés, des professeurs, des automobiles, des téléphones, de la vie privée et l'anéantissement de 2 Millions de Cambodgiens, sous la direction de Pol Pot (frère n°1), Nuon Chea (frère n°2), Ieng Sary(frère n°3)…
Oeuvre dense et érudite qui nécessite une bonne connaissance de l'histoire de la Cochinchine du Vietnam, du Cambodge, du Laos, de la colonisation, des trois guerres d'indochine…
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Cette critique ne sera pas objective : le livre a été lu sur place, au Cambodge et j'ai donc été frappé autant par la mise en abyme avec ce qui m'entourait que par la qualité littéraire de l'ouvrage. Notamment sa construction virevoltante même pour évoquer des sujets aussi grave que la folie des Khmers rouges. Ce jeu de l'auteur entre les passages épiques et personnels, entre les époques aussi (des premiers explorateurs du Cambodge jusqu'à nos jours en passant par l'épisode Malraux) est particulièrement réussit. Il montre au passage que, si la colonisation a mal tourné, la France délaissant ses idéaux universalistes pour l'exploitation capitalistes des hommes et des matières premières, cette colonisation, donc, a aussi été, à l'origine, une formidable aventure. Aventure au sens propre, forgeant l'existence d'incroyables aventuriers remontant jusqu'au lac Tonle Sap en milieu hostile. Etonnant : l'ensemble des faits relatés dans Kampuchea, je les lisais parallèlement dans les guides qui m'accompagnaient. Et pourtant, ce n'était pas la même histoire. La relation des faits historiques d'un côté (en survol rapide dans les guides) et la littérature de l'autre. Ce je ne sais quoi en plus qui fait une oeuvre littéraire.
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Ce roman de Patrick Deville démontre encore la force de la fiction pour raconter l'histoire. le narrateur, un voyageur, journaliste, aventurier, remonte le fleuve Mékong et nous entraîne à travers le temps dans un siècle et demi de l'histoire du Cambodge, depuis la découverte des temples d'Angkor en 1860 par un naturaliste de Montbéliard, Henri Mouhot, jusqu'aux procès de Douch (le tortionnaire du S21) et des Khmers rouges. Nous le suivons à travers l'Indochine, au croisement du Vietnam, du Laos, de la Chine et du Cambodge du 21ème siècle, qui suit le déroulement des procès, dans le 20 ème siècle et les guerres , les massacres, les camps de rééducations aux millions de morts, dans le 19 ème avec la découverte des vestiges de la civilisation Khmer, avec les explorateurs, les aventuriers, les Francis Garnier, Auguste Pavie, qui se partagent les royaumes. Il retrace les parcours des leaders tel que Hô Chi Minh, Pol Pot, Kieu San Pan, notamment leurs études à Paris, leurs découvertes de l'esprit révolutionnaire, du communisme, qu'ils ont marié avec le bouddhisme, pour en faire une doctrine de répression. Il traite l'horreur de la période des Khmers rouges, les camps, la torture, sans concession mais sans excès. Grâce à la fiction ce narrateur contemporain rencontre et a un entretien avec Pierre Loti qui a immortalisé sa découverte de ces pays dans un livre paru en 1910 " le pèlerin d 'Angkor, (ce sont des pages merveilleuses, pour moi qui suis un passionné de Loti), à travers leurs écrits il croise également Malraux, Conrad et d'autres écrivains voyageurs. La force du roman s'appuie à la fois sur une connaissance incroyable, des lieux , des individus, des événements et sur une belle écriture, enlevée, grave et légère quand il faut, qui tangente parfois avec l'humour, ce qui donne un livre plaisant et passionnant à lire.
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Sur la couverture il est indiqué : "Meilleur roman français 2011- Lire". J'ai beaucoup aimé Kampuchéa mais je ne dirais pas que ce soit un roman. C'est un ouvrage difficile à classer. Mais plutôt un récit de voyage, ou un livre d'histoire.

En 2009-2011, Patrick Deville est en Indochine : Cambodge, Vietnam, Laos. Il voyage à travers la région et en profite pour raconter l'histoire des lieux où il se trouve et des personnes qui ont fait cette histoire. Ses pérégrinations lui rappellent aussi des voyages plus anciens, en Amérique du sud notamment.

A Phnom Penh, on est en train de juger Douch, bourreau khmer rouge qui dirigea le centre de torture S21 où il fut responsable de la mort de milliers de personnes. Patrick Deville évoque alors ces années de terreur quand l'Angkar, l'Organisation, distillait ses slogans : "Nous savons que parmi vous se cachent encore des officiers, des militaires, des fonctionnaires, des étudiants, des ingénieurs ! Mais nous arriverons à les connaître et les tuerons tous !"

Puis le procès est suspendu. Patrick Deville quitte alors la ville pour Angkor. C'est l'occasion de raconter la vie de Henri Mouhot qui en découvrit les ruines en 1860. Quand il remonte le Mékong, il nous présente Garnier et Lagrée qui explorèrent le fleuve à la fin du 19° siècle. Puis Auguste Pavie qui traça les frontières du Laos, lesquelles sont encore en vigueur aujourd'hui.

Le charme et en même temps la difficulté de l'ouvrage c'est que tout ceci suit les déplacements vagabonds de l'auteur : un coup le 20° siècle, puis le 19°, puis de nouveau le 20°. Une fois le Cambodge, le Vietnam, le Laos et retour au Cambodge. Si on n'a pas quelques références chronologiques, on peut facilement s'y perdre. C'est pareil pour la géographie. J'ai sorti un atlas, je l'ai ouvert à la page Asie du sud-est et ça m'a facilité la lecture. Cependant Patrick Deville, lui, ne s'égare pas en route et tient le fil de son récit. On retrouve des clins d'oeil au lecteur suivis tout au long de la lecture, ce que j'ai trouvé très plaisant.

Il me reste à ajouter que Patrick Deville a un vrai talent de conteur, qu'il rend passionnant tout ce dont il s'empare, que c'est fort bien écrit et souvent très amusant. L'auteur se met parfois un peu en avant mais je ne lui en veux pas tellement tout cela est fait intelligemment. Kampuchéa est pour moi une très belle découverte d'un auteur que je ne connaissais pas.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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En 2009, Patrick Deville part au Cambodge pour assister au procés de Douch, un des responsables du régime Khmer rouge. Il va parcourir la péninsule du Sud Est asiatique, de Phnom Penh à Angkor, du Laos au Vietnam, sur les traces des explorateurs français Henri Mouhot, Pierre Loti, André Malraux, ...
A travers le récit de son voyage, l'auteur donne un point de vue sensible sur l'histoire mouvementée et sanglante de cette région, qui a été à la fois un eldorado et un enfer pour les colons européens. Une lecture un poil exigeante mais une façon passionnante et poétique de raconter L Histoire, quand bien même tragique.
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Entre reportage, histoire et journal intime, Kampuchéa est une clairvoyante et passionnante synthèse de l'histoire de l'Indochine française et de ses "héros" visionnaires ou mythomanes mise en parallèle avec les années 0 des khmers rouges jusqu'à leur chute.
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Fascinant voyage au Cambodge, et autour de lui, du XIXème siècle au temps présent.

Publié en 2011, le neuvième ouvrage de Patrick Deville se sortait plutôt brillamment de l'un des grands défis auxquels est confronté le roman dit (souvent abusivement) "d'écrivain voyageur" : proposer un contenu qui ne soit pas uniquement fulgurance anecdotique, et disposer d'un fil conducteur qui permettre d'irriguer la géographie visée en en traversant les époques sans (trop) d'artifice.

Pour nous inviter à parcourir à ses côtés Cambodge, Laos, et dans une moindre mesure, Vietnam, l'auteur a su habilement utiliser le procès international à grand spectacle alors en cours à Pnomh Penh, celui des Khmers Rouges, donnant ainsi immédiatement au propos à la fois épaisseur et tragique, et a choisi intelligemment de structurer le voyage autour du Mékong, seul véritable axe de circulation de la région, et formidable frontière naturelle qui, chamboulée par le heurt des colonialismes français et anglais à la fin du XIXème siècle, ne put finalement jamais jouer ce rôle...

On apprécie donc dans le périple le style sec et toujours subtilement ironique, parfois à la limite du décharné et du moqueur, adopté par Patrick Deville, ses sauts référentiels qui savent ici rester discrets et pertinents (y compris ses fétiches personnels, Savorgnan de Brazza - sujet de son précédent opus, "Equatoria" - et Arthur Rimbaud), et sa froide sagesse dans l'appréciation d'événements historiques parfois singulièrement embrouillés.

Aux côtés de Pierre Loti et d'André Malraux, bien sûr, mais aussi des explorateurs / militaires / aventuriers Doudart de Lagrée et Francis Garnier, et surtout des innombrables personnalités politiques, souverains et dictateurs ayant précédé l'innommable, le régime honni des idéalistes jusqu'au boutistes Khmers Rouges, et leurs 3 ans et demi de pouvoir ayant tenté de démontrer jusqu'où pouvait aller la folie politique, aux côtés de leurs rares dénonciateurs précoces comme de leurs soutiens bien peu éclairés (surtout rétrospectivement, toutefois - ce que ne manque pas de noter l'auteur avec sa sombre malice...), ou encore de ceux qui choisirent, las de 20 ans de guerres indochinoises et encore prisonniers de leur grille de lecture "Spéciale Guerre Froide" (e.g. "mieux vaut des illuminés pro-chinois que de redoutables expansionnistes vietnamiens pro-soviétiques"), de détourner quelque peu le regard durant ces trois années de malheur...

Suffisamment étonnante, brillamment cultivée, toujours efficace, une belle réussite dans ce genre parfois risqué...

"Ponchaud [NDC : le missionnaire catholique présent à l'époque au Cambodge qui fut le tout premier à dénoncer la folie des Khmers Rouges, ici interviewé en 2010] lève les bras au ciel. Les luttes sont sociales et environnementales. C'est le désastre naturel et l'impossibilité de toute contestation. "Que restera-t-il du Cambodge dans dix ans ? Les autorités cambodgiennes ont vendu toutes les forêts, ont bradé des concessions énormes aux étrangers. Les Cambodgiens sont dépossédés de leurs propres terres, avec le cortège de spoliations, d'expulsions. Les affres du présent comptent bien plus pour les Khmers que les tragédies d'il y a trente ans." Toute dénonciation des injustices est impossible à cause du passé khmer rouge. Devant la moindre revendication d'équité, on brandit la menace du retour au communisme. "On peut dénoncer les massacres et exactions en tous genres des Khmers rouges, mais à part Ieng Sary, aucun d'entre eux ne s'est enrichi, ni n'a placé un magot à l'étranger. C'étaient des nationalistes intransigeants et utopiques. On ne peut en dire autant des dirigeants actuels, qui dépècent le pays à leur propre profit." Ces dirigeants sont en majeure partie d'anciens cadres khmers rouges ayant appliqué les préceptes de l'Angkar. Ponchaud soutient l'idée de Sihanouk : il faut en finir, incinérer les ossements des deux musées, organiser une cérémonie bouddhiste. La gestion du charnier de Choeung Ek est aujourd'hui sous-traitée à une société japonaise qui vend des billets pour la visite. Ponchaud semble se dire qu'il faudrait ici une bonne révolution."
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Autour de notre voyage au Cambodge, on avait lu il y a peu la biographie romancée de Henri Mouhot, premier re-découvreur occidental des temples d'Angkor, élégamment racontée par Maxence Fermine dans un style qui nous évoquait celui du Patrick Deville de Peste et Choléra.
De quoi nous motiver pour relire le Kampuchéa de ce Patrick Deville dont une première lecture nous avait laissé un peu perplexe.
Cette relecture en plein périple cambodgien s'est avérée la bonne : il faut en effet une bonne connaissance de l'histoire de l'Indochine en général et du Cambodge en particulier pour apprécier ce bouquin foisonnant comme l'est la géopolitique complexe de la région.
En 2009, Patrick Deville est sur place à Phnom Penh pour 'couvrir' le procès des Khmers Rouges.
L'occasion pour lui de parcourir la région, non seulement le Cambodge mais également le Laos où mourut Henri Mouhot, et de rendre visite aux voisins encombrants que sont le Vietnam et la Thaïlande. Et l'occasion de parcourir à grandes enjambées l'histoire récente et tourmentée du pays que Pol Pot et ses Frères appelèrent pendant quelques années le Kampuchéa Démocratique.
Tout y passe : bien sûr la découverte d'Angkor par le chasseur de papillons(1), les voyages des autres pèlerins comme Pierre Loti, Graham Greene, André Malraux et d'autres encore, moins connus, le bourbier créé par les antagonismes des puissances coloniales, la lâcheté royale(2) dont surent si bien profiter ces mêmes puissances coloniales (et réciproquement), les guerres indochinoises, les invasions des voisins trop bienveillants et bien sûr les années noires des Khmers rouges.
Son portrait des Khmers rouges et de leur doctrine est d'ailleurs bigrement intéressant car réussissant à dépasser la diabolisation trop facile. L'auteur arrive à restituer toute l'ambiguïté de ces intégristes fanatiques mais purs qui surent profiter du bénéfice du doute au départ des américains et de notre trop bienveillante cécité occidentale, aveuglés que nous étions par leur charme 'rouge', on s'en souvient.
Patrick Deville, historien voyageur, excelle dans l'art de mélanger les époques et les régions, de tracer des perspectives inattendues et d'établir des rapprochements étonnants. Sautillant entre les événements, les lieux et les personnages, il esquisse des portraits souvent féroces, toujours intéressants.
Et pour peu que l'on dispose des connaissances de base sur la région et son histoire, son bouquin est passionnant : plus difficile et moins fluide que sa biographie d'Alexandre Yersin mais tout aussi enrichissant.
Patrick Deville fait feu de tout bois, y compris de ses propres précédents bouquins, un peu à la manière d'Emmanuel Carrère. Il adore également tirer des raccourcis géographiques ou historiques, au risque parfois de tracer des lignes droites par trop réductrices. Cela peut déranger certains mais nous on aime bien ces regards inattendus, ces perspectives originales, ces angles étonnants : l'auteur n'a pas de thèse à défendre et tout cela n'a pas d'autre prétention que de nous secouer un peu les neurones.
Ce livre est une excellente occasion de s'intéresser à ce petit pays qu'est le Kampuchéa, coincé entre la Thaïlande et le Vietnam qui l'envahirent périodiquement, un état qui semble n'avoir dû sa survie qu'aux apprentis géographes coloniaux, un royaume khmer autrefois rayonnant à qui l'on doit les temples d'Angkor, un pays pauvre et affaibli aujourd'hui, vendu aux compagnies étrangères(3) par des dirigeants corrompus : c'est désormais l'heure de la néo-colonisation pour les bienveillantes puissances amies qui s'étaient entre temps racheté une bonne conscience avec le procès des Khmers rouges.
La semaine dernière nous remontions sur diverses embarcations le Mékong écrasé de chaleur, de Saïgon vers Phnom Penh et Angkor : le soir, on se laissait bercer par la prose savante de Patrick Deville qui, quelques cinq ans plus tôt, remontait lui aussi le cours tranquille du fleuve et celui, plus tumultueux, de l'Histoire.

(1) - l'auteur démarre son Histoire du Cambodge en 1860, année de la découverte, l'année 0, l'année HM selon Deville, comme il y eut avant et après JC
(2) - Norodom Sihanouk est un animal politique stupéfiant : établi par l'administration coloniale française, il se fera plus tard porte-drapeau de l'indépendance et réussira même à survivre à Pol Pot !
(3) - on retrouve évidemment là-bas Total ou Vinci pour ne citer que des sociétés d'origine hexagonale
Pour celles et ceux qui aiment l'histoire-géo.
Lien : http://bmr-mam.blogspot.com/..
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